Le 14 mars dernier, l’Université de Sudbury et l’Université d’Ottawa annonçaient la signature d’un protocole d’entente pour offrir de nouveaux programmes en français dans le Nord-Est de l’Ontario, dès septembre 2025.

Le 2 mai, le recteur de l’Université de l’Ontario français, Pierre Ouellette, annonçait sa démission.
Le 18 mars, l’Université de Hearst nommait Aurélie Lacassagne comme rectrice pour succéder à Luc Bussières.
Le 2 mai, on apprenait la démission surprise du recteur de l’Université de l’Ontario français, Pierre Ouellette, remplacé au pied levé par Normand Labrie. Soit un quatrième changement de rectorat en cinq ans pour l’établissement basé à Toronto.
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C’est dans ce courant de changements que la nouvelle rectrice de l’Université de Hearst – officiellement en poste depuis le 1er juillet – s’apprête à naviguer. Une navigation qui, d’après elle, requiert coopération et collaboration.
«Mais en même temps, dans un contexte où il n’y a pas plus d’argent, il y a une forme de compétition aussi, il faut le dire», lance Aurélie Lacassagne, lucide. Mais la compétition peut être saine, «si chacun respecte ses partenaires».
Un paysage bilingue
L’Ontario compte trois universités de langue française : l’Université de Hearst, l’Université de Sudbury et l’Université de l’Ontario français située à Toronto.
Les autres établissements universitaires qui offrent des programmes et des cours en français dans la province sont bilingues, comme l’Université d’Ottawa, l’Université Laurentienne à Sudbury, le Collège Glendon de l’Université York à Toronto et l’Université Saint-Paul fédérée avec l’Université d’Ottawa.
Une crise partie pour durer
«La crise dans le postsecondaire franco-ontarien dans laquelle on vit depuis 2021 n’est certainement pas terminée», assène Stéphanie Chouinard, professeure agrégée de science politique au Collège militaire royal du Canada à Kingston, en Ontario.

«L’indépendance, c’est tout faire tout seul. L’autonomie, c’est la capacité d’exercer un pouvoir sur son avenir», statue Serge Miville.
«On demeure dans une situation précaire et, tant que le provincial ne décidera pas de faire les investissements dans le secteur postsecondaire francophone en particulier, c’est malheureusement une précarité qui va demeurer.»
En attendant, les partenariats entre établissements semblent avoir le vent en poupe.
Pour le recteur de l’Université de Sudbury, Serge Miville, l’entente entre son établissement et l’Université d’Ottawa offre «le meilleur des deux mondes». «Toute la rapidité qu’on peut avoir comme Université de Sudbury et la sécurité qui vient avec le grade et l’infrastructure de l’Université d’Ottawa.»
L’historien se veut aussi pragmatique. «Il y a 85 % des étudiantes et étudiants franco-ontariens qui vont à l’Université d’Ottawa, dont plusieurs qui viennent du nord de l’Ontario. Ce qu’on est en train d’offrir c’est une option de proximité, une alternative à l’exode rural.»
Selon lui, l’entente entre l’Université de Sudbury et l’Université d’Ottawa ne remet pas en cause le par et pour, bien au contraire. «La façon que le partenariat est structuré et organisé, ça doit avoir nos programmes, nos cours, nos profs, nos crédits qui vont mener à nos diplômes.»
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Le danger de l’assimilation
Le par et pour constitue précisément la limite à ne pas franchir, surtout quand il est question de créer un réseau.

Le 14 mars dernier, l’Université de Sudbury et l’Université d’Ottawa ont annoncé la signature d’un protocole d’entente.
Dans un rapport commandé par le gouvernement ontarien, un comité de spécialistes recommande la constitution d’un réseau pour le postsecondaire francophone. La suggestion qu’il soit sous l’égide de l’Université d’Ottawa ne plait cependant pas à tous.
«Ça pour nous, ce serait un recul, ce serait un danger parce qu’on viendrait toucher à l’autonomie des institutions et particulièrement celle des institutions francophones, qui sont plus petites», alerte le directeur général du Regroupement étudiant franco-ontarien, François Hastir.
Un rapport controversé
En novembre 2023, le gouvernement de l’Ontario publiait un rapport intitulé «Assurer la viabilité financière du secteur de l’éducation postsecondaire de l’Ontario».
Le document proposait trois options pour les établissements francophones : fédérer l’Université de l’Ontario français et l’Université de Hearst à l’Université d’Ottawa, les fédérer au Collège Boréal et au collège La Cité, ou mettre en place un réseau intégré ou un consortium qui favoriserait la collaboration entre tous les établissements d’enseignement postsecondaire francophones et bilingues et qui serait «logiquement» chapeauté par l’Université d’Ottawa.
L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AOF) avait alors réagi au rapport en insistant sur le caractère «non négociable» du «par et pour» dans la gouvernance du système postsecondaire francophone.
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«Ça peut être une très bonne chose parce que ça répond aux besoins des étudiants, aux besoins du marché. À l’ère du cours de l’enseignement hybride, il y a des opportunités pour l’accès à l’éducation postsecondaire en français dans les régions plus rurales, plus éloignées. […] Mais il faut pouvoir offrir une vie étudiante et sociale aussi en français, [sinon] il y aura quand même de l’assimilation qui va [se] faire», nuance François Hastir.

Pour François Hastir, les institutions bilingues n’ont pas les mêmes «réflexes» que leurs homologues francophones.
Aurélie Lacassagne ne voit pas non plus d’un bon œil la recommandation du comité : «Formaliser ça avec l’Université d’Ottawa qui chapeaute [l’entité], j’avoue ne pas bien comprendre pourquoi. Et qu’est-ce qui ferait que l’Université d’Ottawa, mis à part sa grosseur, [ait cette] légitimité?»
«Oui, il y a l’Ontario français, bien sûr, mais il y a quand même des identités assez fortes et des réalités surtout complètement différentes, observe-t-elle. Si on était chapeautés par un organisme qui ne connait pas nos communautés, qui ne connait pas nos réalités, ça pourrait être inquiétant.»
«C’est évident qu’on veut être des bons joueurs, qu’on veut être des partenaires. On veut juste s’assurer que, si on fait ça, ce n’est pas pour être avalés», insiste la nouvelle rectrice.
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Un réseau oui, mais pas n’importe lequel
«Le modèle de relation de réseau, peu importe comment on veut l’appeler, n’existe probablement pas encore. Il va falloir le créer. À quoi ressemblera-t-il? Je ne peux pas prédire, admet Serge Miville. Mais ça va nécessiter quand même beaucoup de volonté institutionnelle pour s’y rendre.»

«On a une table de concertation des établissements postsecondaires bilingues et francophones qui se rencontrent régulièrement», assure Normand Labrie.
Néanmoins, «il y a un éléphant dans la pièce, c’est l’Université d’Ottawa», lâche Stéphanie Chouinard. Une institution «énorme», au «pouvoir démesuré par rapport aux autres».
«À l’intérieur de cette institution-là, il est possible de fonctionner un peu sous le mode du par et pour, mais ça demeure une bataille de tous les instants. Et effectivement, l’Université d’Ottawa ne fera jamais des décisions que pour les francophones et ça, ça peut avoir des impacts démesurés, notamment en situation de contrainte budgétaire», craint-elle.
Cependant, l’Université de l’Ontario français, comme l’Université de Sudbury, ne s’interdit pas de collaborer avec des institutions bilingues.
«Lorsqu’on développe des partenariats et des programmes, on doit passer par tous les processus de gouvernance internes […] Mais ça n’empêche pas des universités bilingues […] d’appuyer des projets qui aident au développement de leurs propres programmes en français et qui desservent des populations francophones», déclare Normand Labrie, recteur et vice-chancelier de l’Université de l’Ontario français.
La crise, au-delà de l’Ontario
«On perd énormément d’élèves au système de langue anglaise, au système d’immersion […] Tout ça crée un cycle vicieux», s’inquiète de son côté Serge Miville.

Selon sa rectrice, Aurélie Lacassagne, l’Université de Hearst est bien plus qu’une institution postsecondaire : c’est un moteur économique pour le Nord-Est de l’Ontario.
«Ultimement, [ça] va poser des enjeux d’ordre existentiel pour l’Ontario français et pour l’ensemble de la francophonie canadienne. Est-ce que l’indépendance vaut ça?», s’interroge-t-il.
«La question du financement dans le postsecondaire est beaucoup plus globale que seulement celle des institutions bilingues ou francophones», souligne Normand Labrie.
«On est à une croisée des chemins. C’est sûr qu’il y a des reconfigurations qui vont être faites ou en tout cas qui sont, je pense, souhaitées par tout le monde, mais le résultat n’est peut-être pas le même attendu par tout le monde», résume pour sa part Aurélie Lacassagne.
Et la nouvelle rectrice d’ajouter : «Ce qu’on voudrait, c’est un engagement fort et pérenne, et de la part du fédéral […] et de la part du gouvernement de l’Ontario, pour que nous ne puissions pas simplement survivre, mais nous épanouir.»
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