«Elizabeth Deux, […] Reine du Royaume-Uni, du Canada et de ses autres royaumes et territoires, Chef du Commonwealth, Défenseur de la Foi», de son titre officiel, «ferait l’histoire simplement par l’écoulement du temps», concède pour sa part l’ex-sénateur et constitutionnaliste Serge Joyal.
Ce dernier rappelle cependant que la reine Elizabeth n’est pas la seule monarque britannique au long règne. Il y a eu Victoria, qui a occupé le trône pendant 63 ans, de 1837 à 1901, et George III pendant 59 ans, de 1760 à 1820. «[Elizabeth II] marquerait une étape sans aucun précédent dans la monarchie britannique», ajoute-t-il.
Selon Wikipédia, Elizabeth II passera sous peu au 11e rang du classement des règnes européens les plus longs. Louis XIV [1643-1715] arrive au huitième rang. Sept souverains en Asie et trois en Afrique ont régné plus longtemps qu’Elizabeth II. Le record de longévité de règne appartiendrait à Mohammed-Ainla-Lamuye au Nigéria qui a été souverain pendant plus de 89 ans.
«Ce qui est remarquable, aussi, c’est que la Reine n’a jamais perdu intérêt pendant les 70 années de son règne», note Serge Joyal. À ses yeux, celle qu’il appelle Sa Majesté est d’un dévouement exemplaire. «On pourrait penser que quelqu’un qui occupe la même responsabilité professionnelle pendant 70 ans finit par se lasser», observe-t-il.
D. Michael Jackson a croisé la reine Elizabeth II à trois reprises, alors qu’il était chef du protocole en Saskatchewan, de 1980 à 2005. Il a rencontré une personne gentille, drôle, professionnelle. «Elle est bien renseignée sur ce qu’elle fait, elle porte beaucoup d’intérêt au contexte», se rappelle-t-il.
Serge Joyal renchérit. Il l’a rencontrée deux fois, et après 25 ans, elle se souvenait de lui. «Ce n’est pas juste des poignées de main anonymes, elle qui voit des centaines et des centaines de chefs d’État, de ministres, d’ambassadeurs. Ce que je tire comme conclusion, c’est qu’elle prend un intérêt réel à sa fonction.»
Les 22 visites de la reine au Canada de 1957 à 2010 ont d’ailleurs été des moments marquants pour bien des personnes, et non seulement pour les dignitaires. Le professeur de droit à l’Université d’Ottawa François Larocque se souvient que sa grand-mère parlait souvent avec émotion du passage de la reine dans le Nord ontarien en 1951. «C’était vraiment un grand moment de fierté pour tout le monde, anglophone et francophone. Il y a un attachement symbolique. Le fait qu’elle est notre chef d’État, ce n’est pas vide de sens», souligne-t-il se remémorant l’effet de cette visite qui a perduré.
Elizabeth II et les identités nationales
L’attachement envers la reine varie selon l’époque et la région. Une dizaine d’années après la tournée évoquée par François Larocque, le couple royal était à Québec pour souligner les 100 ans des conférences de Charlottetown et de Québec. En pleine Révolution tranquille, la présence de quelques centaines de manifestants a entrainé le déploiement de 4 000 soldats et policiers à Québec. Ce jour d’octobre 1964 a été surnommé le samedi de la matraque.
«Au Québec, c’est délicat, parce qu’on peut envisager le monarque britannique comme un symbole de colonialisme, mais de l’autre côté, la Couronne a été un des instruments pour protéger et sauvegarder l’identité et les droits des francophones au Canada», rappelle D. Michael Jackson. Il ajoute que «la Couronne est instrument de l’autonomie des provinces, qui a contré la vision centralisatrice du gouvernement fédéral.»
Dans un éditorial, en 1967, le quotidien The Globe and Mail qualifie Elizabeth II de «living symbol of our heritage, both English and French».
C’est Elizabeth II qui aura officialisé l’adoption du drapeau canadien, en 1964, et de l’hymne national, en 1980, mais aussi qui aura reconnu les torts causés par l’administration britannique avec la déportation des Acadiens, de 1755 à 1763.
En 1990, l’avocat louisianais Warren Perrin avait repris des revendications formulées par des Acadiens en exil en 1760. Ceux-ci avaient notamment demandé «une reconnaissance qu’une tragédie était arrivée et que les actions [de déportation] étaient contraires aux lois britanniques et anglaises», explique l’homme d’origine acadienne, auteur et président du Musée acadien de la Louisiane. Il aura fallu attendre 13 ans pour voir la signature de la proclamation royale reconnaissant les torts, en décembre 2003.
Cependant, Warren Perrin estime que la souveraine aurait pu simplement faire fi de la demande. «Quand j’ai commencé ça, personne ne pensait qu’on y arriverait ; tout le monde pensait qu’on nous ignorerait.» Or, la reine est allée encore plus loin : «elle a désigné le 28 juillet comme Journée annuelle de commémoration du Grand Dérangement», ce qui est aussi inattendu que phénoménal, se félicite Warren Perrin.
Elizabeth II en quatre dates
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- Naissance le 21 avril 1926
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- Élévation au rang de princesse héritière le 11 décembre 1936, à l’abdication d’Edward VIII
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- Accession au trône le 6 février 1952
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- Couronnement le 2 juin 1953
La Constitution
Serge Joyal tient aussi à signaler la souplesse dont fait preuve la monarque. À titre de souveraine de plusieurs nations, même si l’ascendance de la Couronne s’est amenuisée au cours des sept dernières décennies, elle a su respecter les réalités nationales. «Elle a toujours présidé à une évolution en douceur et non pas en confrontation. […] Elle s’est ajustée aux différentes époques et aux différents changements, aux modifications fondamentales qui sont arrivées dans plusieurs pays dont elle est la souveraine.»
Lors d’une visite au Québec en 1990, Elizabeth II déclare : «Je ne suis pas seulement une amie des bons jours.»
M. Joyal ajoute aussi que la reine a signé le rapatriement de la Constitution canadienne en 1982, qui confère au Canada une autonomie complète par rapport au Parlement britannique, «une évolution considérable pour le pays, explique-t-il. Ça faisait 50 ans que différents premiers ministres s’attelaient à la tâche de trouver une solution. On a fini par la trouver.»
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Le professeur François Larocque rappelle qu’en signant la Constitution, la reine signait la Charte canadienne des droits et libertés, «qui contient des droits linguistiques qui protègent la francophonie canadienne à l’extérieur du Québec et qui donne droit à l’éducation dans la langue de la minorité (article 23).»
Le juriste franco-ontarien nuance son propos : «La reine n’a pas de mot à dire dans l’adoption d’une loi, autre que la sanction royale. Même là, c’est par l’entremise de ses représentants au Canada, les gouverneurs généraux et les lieutenants-gouverneurs.»
Malgré ce lien très formel, la francophilie que nourrit personnellement Elizabeth II est claire. «Je pense qu’elle a dû voir d’un bon œil le fait qu’on enchâssait dans la Constitution du pays les articles 16 à 23.»
Elizabeth II, la francophile
D. Michael Jackson souligne l’attachement de la Couronne britannique, et non pas seulement de la souveraine actuelle, à la dimension francophone du Canada. Il estime qu’une tradition de respect des monarques pour le Québec, le Canada français, remonte à la Conquête. «Le Roi George II a manifesté beaucoup de sympathie pour ceux qu’il appelait “ses sujets canadiens et catholiques”. Il a appuyé fermement l’Acte de Québec, où on a toléré la religion catholique romaine, ce qui est inouï pour la Grande-Bretagne protestante du 18esiècle.»
Par ailleurs, la reine mère, issue de la noblesse écossaise, était elle aussi francophile. Avant même d’être héritière du trône, une toute jeune Elizabeth a ainsi appris la langue de Molière. Son défunt époux, Philip, la parlait aussi. D’autres membres de la famille royale, dont la sœur, les enfants et les petits-enfants d’Elizabeth II, maitriseraient jusqu’à cinq langues, dont le français.
D. Michael Jackson en a été témoin. Il se souvient du passage de la princesse Margaret en 1980 pour le 75eanniversaire de la Saskatchewan : lors d’un diner, elle a conversé en français, parce qu’un des membres du personnel était francophone. Il a entendu le prince Charles parler en français à Zenon Park et la princesse Anne à Gravelbourg. «Il faut se souvenir que la famille royale est vraiment internationale.»
Et il rappelle que la reine est cheffe du Commonwealth, «titre dont devrait hériter Charles. Ils sont très sensibles à cela et, dans ce cadre, au fait canadien, aux francophones, aux Autochtones et aux Néo-Canadiens.»
Lors de la visite de 1964 durant laquelle a eu lieu le samedi de la matraque, Elizabeth II a déclaré devant l’Assemblée nationale du Québec : «Je suis heureuse de penser qu’il existe dans notre Commonwealth un pays où je peux m’exprimer officiellement en français.» (Source)
«[La reine Elizabeth] parle français sur la tribune publique quand elle le peut et qu’il convient de le faire, observe François Larocque. «Ça rend encore plus drôle que ses représentants dans le pays ne parlent pas français, laisse-t-il tomber, faisant allusion à certains gouverneurs généraux et lieutenants-gouverneurs.
Selon Serge Joyal, la reine «est un exemple qui sert, à mon avis, d’inspiration aux hommes politiques, aux femmes politiques. Quand on a une responsabilité publique, on s’y donne complètement.»
L’ex-sénateur vante le bilan de la reine, à ce chapitre. «On a un seul exemple qui est remarquable en tous points de vue.»
Il conclut : «Notre idée de la monarchie, c’est celle qui est incarnée par Elizabeth II. […] Elle a établi des standards pour au moins deux générations.»