Le fonds «Couverture du Canada : Élections 2025» a été créé à la hâte en avril 2025, lors du déclenchement de la campagne électorale fédérale, par le Forum des politiques publiques (FPP), la Fondation Rideau Hall et la Fondation des Prix Michener.
Ce fonds ponctuel invitait des médias locaux à soumettre des demandes de bourse pour payer les déplacements de journalistes responsables de couvrir la campagne électorale. Sans cet argent, ces déplacements auraient été impossibles en raison des ressources limitées de ces médias.
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Couverture élargie
Dans le rapport L’information en question, publié à la fin juillet, le FPP explore les effets de la pauvreté de nouvelles locales sur l’élection fédérale. Les deux autrices et l’auteur de ce document concluent que la démocratie canadienne est en péril.
«Il n’est pas exagéré d’affirmer qu’en raison de la débâcle des nouvelles locales et de l’interdiction des actualités sur Facebook, les élections fédérales de 2025 ont probablement été les moins couvertes de l’histoire moderne du Canada», peut-on lire dans le rapport.
Trente-neuf journaux et radios ont obtenu du financement du fonds. Parmi ceux-ci figurent trois médias écrits francophones en milieu minoritaire : Le Droit en Ontario, La Liberté au Manitoba et L’Eau vive en Saskatchewan.*
Le Droit a utilisé les fonds pour que leur journaliste politique produise des reportages sur des enjeux régionaux dans les Maritimes et en Alberta, confirme le coordonnateur à l’information, Jean-François Dugas.
La Liberté a embauché trois journalistes pour assurer une «couverture exhaustive des 14 circonscriptions» de la province, indique le rapport.
À L’Eau vive, «la bourse a permis de faire circuler un journaliste dans cinq communautés de la province pour recueillir des perspectives de l’électorat francophone», a indiqué par écrit à Francopresse Frédéric Dupré, directeur général de la Coopérative des publications fransaskoises, qui publie le journal.
Réserver des ressources pour les Autochtones
Dans la première recommandation de son rapport, le FPP encourage la création d’un fonds permanent qui permettrait de remettre des bourses aux médias lors des élections fédérales. Il pourrait plus tard être élargi aux élections provinciales, territoriales et municipales.
Le FPP recommande aussi de réserver une partie du fonds aux médias autochtones et de former un comité distinct pour évaluer les demandes de subventions de ces médias.
L’une des autrices du rapport, Sara-Christine Gemson, explique en entrevue avec Francopresse que la distinction pour les Autochtones vient des consultations faites avec ce groupe. «Ils nous ont dit : “Vous êtes en train de faire votre deuil d’une réalité qu’on n’a jamais connue.”»
Les médias autochtones n’ont jamais eu les mêmes ressources que les autres médias pour couvrir des élections. Tout est à construire de ce côté, précise-t-elle.
D’ailleurs, aucune candidature provenant de médias appartenant à des intérêts autochtones n’a été reçue pour le fonds en avril. Une autre raison pourquoi la recommandation a été faite.
Le Nunatsiaq News a reçu une bourse du fonds «Couverture du Canada : Élections 2025». Ce média couvre le Nunavut et le Nunavik, mais n’appartient pas à des intérêts autochtones. Avec l’argent obtenu, il a pu dépêcher un journaliste pendant huit jours à Grise Fiord, sur l’ile d’Ellesmere. Cette localité est la communauté la plus au nord du Canada et compte une population de 150 personnes.
Nous savions que les enjeux de la campagne, comme la souveraineté de l’Arctique, les relations internationales et le cout de la vie, étaient les enjeux qui intéressent toute la population canadienne.
Il dit avoir aimé la rapidité du processus. Il espère qu’un organisme parviendra à le nationaliser. «Nous appuyons l’idée de créer un fonds permanent. Je pense que c’est une bonne idée d’offrir le fonds aux journaux qui couvrent les enjeux autochtones.»

Le rapport L’information en question indique que certains médias se portent quand même bien. C’est le cas du Nunatsiaq News, affirme le directeur de la rédaction, Corey Larocque.
La francophonie fait partie du tout
Le rapport ne propose pas de réserver une partie du fonds pour les médias de langue officielle en situation minoritaire.
Pour Sara-Christine Gemson, l’inclusion de trois médias francophones en milieu minoritaire et d’au moins un média anglophone du Québec montre qu’il y a «eu un effort énorme pour assurer la représentation de toutes les régions, de toutes sortes de différents médias, de différentes tailles, de différents groupes».
Si un fonds était mis sur pied de façon permanente, elle y voit la possibilité d’ouvrir la porte à d’autres critères pour «assurer une certaine équité», convient-elle.

Marie-Linda Lord rappelle que les critères imposés par le gouvernement fédéral empêchent plusieurs médias de langue minoritaire d’avoir accès à certains programmes d’aide financière.
La professeure à la retraite en information-communication de l’Université de Moncton, Marie-Linda Lord, considère que cette étude du FPP revêt une grande importance et permet une prise de conscience des dangers qu’entraine une faible couverture médiatique locale.
Elle estime cependant que l’absence d’une reconnaissance spécifique des besoins des médias francophones en milieu minoritaire est une occasion manquée.
Elle rappelle que les médias de langue française sont souvent oubliés, comme dans les critères d’admissibilité au titre d’organisation journalistique canadienne qualifiée (OJCQ), une désignation qui permet d’avoir accès à certaines mesures fiscales du gouvernement fédéral.
Pour devenir une OJCQ , un média doit compter au moins deux journalistes, ce qui n’est pas le cas d’une majorité de médias de langue officielle en situation minoritaire. «Quand on a un [seul] journaliste, ça veut dire qu’on en a besoin de plus», souligne Marie-Linda Lord.
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La démocratie en péril
Avec le rapport L’information en question et le sondage Ipsos qui l’accompagne, le FPP soutient que la rareté ou l’absence de médias dans certaines régions du pays empêche l’électorat de faire un choix éclairé.
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Franco-Ontarienne d’origine, Sara-Christine Gemson a, entre autres, travaillé comme journaliste à Radio-Canada en Saskatchewan.
Selon le sondage, 70 % des répondants et répondantes croient qu’ils auraient été mieux informés à propos de la campagne électorale s’ils avaient eu accès à plus de nouvelles locales dans leur communauté.
De plus, 34 % des gens qui vivent dans des régions sans nouvelles locales n’ont pas voté, comparativement à 22 % dans les communautés alimentées en nouvelles locales.
Le FPP précise ne pas avoir assez de données pour affirmer qu’il y a bien une corrélation entre l’absence de nouvelles locales et le désintéressement envers la politique, mais il note que des indices pointent en ce sens. Le sondage a été mené en ligne auprès de 1000 personnes de plus de 18 ans. Il n’est pas possible d’attribuer de marge d’erreur à ce type de sondage.
Sara-Christine Gemson explique que suivre l’actualité locale de façon régulière – même seulement par l’entremise des grands titres de sources fiables sur les réseaux sociaux – crée «un point de référence, un contexte dans lequel [les gens] peuvent ensuite […] mieux juger de la validité de ce qui est mis de l’avant».
L’argent reste le nerf de la guerre
En plus d’un fonds récurrent, le rapport recommande aux gouvernements de recommencer à acheter de la publicité dans les médias locaux, plutôt que d’affecter une large partie de son budget publicitaire à des entreprises des États-Unis.
«Donnons la chance de prouver que les gens reviennent [vers les médias locaux] en mettant de la publicité sur [leurs] pages. Je suis pas mal certaine que Meta, X, LinkedIn, etc. n’ont pas besoin des revenus du gouvernement fédéral à l’échelle qu’ils sont en train de les recevoir», note Sara-Christique Gemson.
L’une des recommandations souligne le rôle que les médias ont à jouer. Ils doivent être ouverts à l’innovation et la collaboration, en plus de repenser stratégiquement la monétisation de leur audience.
Le FPP propose également de faire davantage de sensibilisation contre la désinformation auprès de la population et de lui donner plus d’outils pour la repérer.
Finalement, il demande la mise en place d’un système de collecte de données plus robuste sur les médias locaux.
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* Ces trois journaux sont membres de Réseau.Presse, qui est l’éditeur de Francopresse.