«Dans une campagne électorale, ce qui est important, c’est que les gens soient informés», amorce la chercheure au Groupe de recherche en communication politique (GRCP) de l’Université Laval, Mireille Lalancette.
Or, le blocage des médias canadiens sur les plateformes de Meta accentue les risques de désinformation : «Beaucoup de gens sont moins informés, ont des informations qui n’en sont pas. Ils vont être informés par des influenceurs, par des annonces, par des gens qui ne sont pas assujettis à une éthique journalistique.»
Étant donné que la plupart des Canadiens préfèrent ouvrir les réseaux sociaux qu’un journal ou qu’un site Web d’information, le risque de n’être exposé qu’aux propos de personnalités politiques et de leadeurs d’opinion est encore plus grand depuis le blocage.
Et quand la seule information dont disposent les gens est fausse ou politisée, «ça soulève des questions importantes sur l’avenir de la démocratie et de la manière dont on peut prendre des décisions importantes, comme celle d’aller voter», dit Mireille Lalancette. «Ça peut faire une grosse différence sur les élections en général.»
À lire aussi : Une «tempête parfaite» pour la désinformation électorale
L’importance des journaux locaux
Selon le président de Réseau.Presse (l’éditeur de Francopresse) et directeur général du Courrier de la Nouvelle-Écosse, Nicolas Jean, la «manipulation de l’opinion» au travers d’informations trompeuses reste «le risque principal».
«On sait à quel point ces plateformes, dont Facebook, sont utilisées dans nos communautés. Si je prends le cas de la Nouvelle-Écosse, des communautés rurales que l’on desserre, c’est une plateforme extrêmement utilisée, rapporte-t-il. Tout passe par Facebook.»
Malgré la hausse de trafic sur le site Internet du Courrier de la Nouvelle-Écosse depuis le blocage de Meta, sans la présence de ses contenus sur les réseaux sociaux, le média perd une partie de son pouvoir d’information.
«Je pense qu’on a un rôle important à jouer en période électorale, évidemment. On pense aux médias comme contrepouvoir. […] Que ce soient des élections municipales ou fédérales, il y a aussi un rôle éducationnel auprès des populations», commente-t-il.
Par exemple, pour expliquer les enjeux électoraux, les décisions «qui pourraient affecter la vie dans ces communautés en situation minoritaire» ou «le positionnement des conservateurs sur l’éducation en français [et] sur la place des médias dans ces communautés-là», il estime que son journal s’avère crucial.
À lire aussi : Les journaux francophones après un an de blocage de Meta
Des «opinions qui nous confortent»
Selon le chercheur en communication politique à l’Université Laval, Bader Ben Mansour, le contenu journalistique permet de diluer les chambres d’écho sur les réseaux sociaux en offrant du contenu neutre et des points de vue variés.
Les chambres d’écho, qu’est-ce que c’est?
Les chambres d’écho désignent des environnements médiatiques où les individus sont principalement exposés à des opinions similaires aux leurs, ce qui renforce leurs idées et croyances, tandis que les perspectives opposées sont minimisées ou ignorées.
Ce phénomène, souvent observé sur les réseaux sociaux, serait notamment favorisé par le phénomène des bulles de filtres et par la tendance des gens à privilégier spontanément les informations qui confortent leurs croyances, rapporte l’Office québécois de la langue française (OQLF).
À lire aussi : Notre cerveau primitif : pourquoi croit-on toujours avoir raison? (Édito)
En ayant uniquement accès à du contenu généré par des organisations politiques et des internautes citoyens, on se retrouve souvent devant des «opinions qui nous confortent», observe-t-il : «L’information qui va être proposée dans notre fil d’actualité [sera] plus du contenu partisan que du contenu journalistique.»
Pourtant, le contenu journalistique favorise parfois «un certain débat dans les commentaires», note le chercheur. «Ça permet de voir des avis différents, divergents, sur certaines positions de partis politiques par exemple.»
«C’est très difficile de percer des phénomènes comme les chambres d’écho, accorde le professeur en d’études politiques à l’Université d’Ottawa, Elie Serge Banyongen. [Les médias] peuvent apporter un contrediscours, une approche rationnelle à l’information et aux faits.»
Selon lui, l’environnement médiatique actuel «a effacé la distinction capitale entre les faits, les sentiments et les opinions».
L’équilibre qu’apportent les médias sur les réseaux sociaux est d’autant plus important à la lumière de l’évolution de la communication politique. Le professeur rappelle la prépondérance actuelle de l’«infotainment», des «soundbites» et des jeux de mots qui alimentent la communication de politiciens.
«Mais derrière le jeu de mots, il y a des conséquences», prévient-il.
À lire aussi : La campagne électorale est commencée (Chronique)
«Très bien» pour les politiciens
«Pour les politiciens, c’est très bien, parce qu’il n’y a plus de filtre», souligne Elie Serge Banyongen.
Les réseaux sociaux permettent aux candidats politiques de «directement parler aux individus». Mais l’absence des médias sur ces mêmes plateformes empêche des éléments importants : «la vérification, l’approche rationnelle, la lecture et l’analyse des informations», regrette-t-il.
Les utilisateurs qui ont le réflexe d’ouvrir les journaux papier ou de visiter leurs sites ne forment qu’un «très petit» pourcentage, relève Bader Ben Mansour.
Le spécialiste affirme que le blocage de Meta a tout de même des répercussions négatives sur les politiciens, car ces derniers ont toujours besoin des médias traditionnels.
Sur les réseaux sociaux, auparavant, le contenu journalistique offrait une grande visibilité aux messages des organisations politiques, analyse-t-il. «Il est plus crédible également parce qu’il a été écrit [avec] une déontologie journalistique.»
«Pour les politiciens qui croient en la démocratie, ça ne les arrange pas du tout, estime Mireille Lalancette. Les politiciens respectent les médias, veulent que les citoyens soient informés, que la démocratie fonctionne.»
À lire aussi : Quel diagnostic pour la démocratie au Canada?
Un avenir incertain
Le blocage de Meta est encore récent, la recherche scientifique sur ses impacts n’est donc pas complète. En attendant, Mireille Lalancette espère que la situation «va prendre une autre tournure».
Elle fait remarquer que les médias et leurs lectorats ont trouvé des moyens de contourner le blocage, comme en ajoutant des lettres à retirer au début des hyperliens qui mènent vers les articles de presse. D’autres partagent, sur les plateformes de Meta, une publication existante sur la plateforme X dans laquelle l’article est accessible.
«Mais je m’imagine que X et Facebook ne sont pas dupes, dit Mireille Lalancette. Ils ne vont pas laisser faire ça longtemps.»