le Jeudi 22 mai 2025

La «merdification» est une traduction du terme «enshittification» lancé en 2022 par l’écrivain d’origine canadienne Cory Doctorow pour décrire le processus par lequel une plateforme numérique met en marché un service utile à perte pour créer une base d’utilisateurs, qui en deviennent dépendants.

Ensuite, les données de ces utilisateurs sont vendues, aussi à perte, à des clients, qui en deviennent également dépendants.

Le service devient alors un passage obligé et l’entreprise se sert de ce monopole, ou quasi-monopole, pour augmenter ses prix, la quantité de publicité, etc. – selon le modèle de revenus – pour mettre le plus d’argent possible dans ses poches et celles de ses actionnaires.

À cette étape, il n’est plus nécessaire d’offrir un service de qualité, et les paramètres des relations utilisateurs-entreprise-clients peuvent être modifiés sans préavis, toujours pour soutirer plus d’argent.

Le blocage des médias au Canada par Meta est un bon exemple d’un paramètre modifié rapidement dans le but d’éviter d’avoir à céder une part de ses profits. Meta est aussi un exemple de baisse de qualité du produit, puisque la plateforme offre maintenant beaucoup moins d’informations de qualité qu’avant.

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Presque toutes les grandes entreprises du Web sont dans la phase de recherche du profit. En conséquence, les résultats de recherche sur Google, par exemple, sont de moins en moins fiables, pollués par un grand nombre de publicités et par des sites préoccupés davantage par les clics que par la qualité du contenu.

Amazon est devenu un incontournable de la vente en ligne. Mais il impose des conditions d’utilisation ou des prix qui étouffent les petites entreprises essayant de vendre sur cette plateforme. Surtout quand Amazon veut s’approprier leurs produits ou leurs parts de marché.

Il y a aussi Uber, qui a fait concurrence à un secteur bien règlementé sans suivre les règles en place. L’entreprise s’est imposée en offrant des courses à des prix inférieurs à ceux des taxis et en payant très bien ses chauffeurs. Maintenant qu’Uber a réussi à couper l’herbe sous le pied aux taxis, les prix sont comparables et ses chauffeurs sont payés sous le salaire minimum.

Et arrive l’IA…

Si ChatGPT a piqué votre curiosité et que vous avez mis à l’essai l’intelligence artificielle (IA) génératrice de textes la plus connue, vous avez pu le faire gratuitement. Vous aurez remarqué que cet outil donne des résultats qui peuvent être convaincants, malgré les défauts qu’on lui connait.

ChatGPT en serait donc à la première étape du processus de «merdification» : un produit jugé comme étant performant et offert à perte.

Fin juillet, The Information rapportait justement que l’entreprise derrière ChatGPT, OpenAI, serait en voie d’enregistrer des pertes financières de 5 milliards de dollars américains cette année.

Ce déficit annoncé n’inclut cependant pas les droits d’auteur qu’OpenAI n’a pas payés. L’entrainement de ChatGPT s’est fait à partir de contenus qui se trouvent sur Internet et qui, dans certains cas, sont protégés par des droits d’auteur. Or, OpenAI n’a demandé aucune permission ni compensé qui que ce soit pour avoir utilisé ce contenu.

Pas étonnant que le New York Times poursuive OpenAI et que d’autres créateurs emboitent le pas ou concluent des ententes payantes.

De plus, OpenAI semble avoir mis de côté ses intentions de développement éthique au profit des… profits.

OpenAI devra également faire face à de la concurrence. Google a déjà annoncé la transformation de son moteur de recherche pour y intégrer une intelligence artificielle.

Ces embuches laissent entrevoir les prochaines phases de la «merdification» : augmentation des couts d’utilisation et baisse de la qualité.

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L’augmentation des couts d’utilisation s’explique d’elle-même. En revanche, la perte de qualité pourrait être tributaire de plusieurs facteurs. Il se pourrait que, si OpenAI n’a plus accès à autant de sources pour entrainer son IA, la qualité de ses résultats – déjà discutables en termes de véracité – s’en trouve directement touchée.

Malgré toutes les possibilités que laisse entrevoir cette technologie, elle ne peut fonctionner sans humain pour lui fournir de la matière.

Une recherche menée par des chercheurs anglais et canadiens et publiée dans Nature montre que lorsqu’une IA générative est entrainée à partir des générations successives antérieures de l’IA, la qualité des résultats dégringole.

L’entrainement des IA sera peut-être bientôt en face d’un mur, car les contenus produits par les IA génératives se multiplient très rapidement. D’ailleurs, des experts prévoient que dès l’année prochaine, 90 % de la production de contenu sur Internet sera faite par des IA.

La médiocrité est-elle évitable?

La solution pour se sortir des cycles de «merdification» devra en partie venir du gouvernement américain, qui semble pour le moment soucieux de sévir pour casser les monopoles des géants du Web.

Un juge a statué au début d’aout que Google a enfreint la loi antitrust en limitant la possibilité pour la concurrence de se tailler une place dans le marché des moteurs de recherche. Cette décision pourrait servir de jurisprudence dans des poursuites similaires contre Apple, Amazon et Meta.

De leur côté, les internautes doivent surtout reconnaitre que ces entreprises les exploitent. Une personne, une fois prise dans l’engrenage, n’a presque aucun moyen de se défendre autrement qu’en abandonnant le navire – ce qui n’est pas toujours possible ou même souhaitable. Il faut donc presser les gouvernements de mettre en place des garde-fous contre les pratiques prédatrices.

Les survivant·es des pensionnats pour enfants autochtones parlent depuis longtemps du décès d’élèves et de leur enterrement au cimetière attenant à l’école. De nombreuses familles ont également partagé n’avoir jamais été informées du décès ou de la disparition d’un enfant. Un volume entier du rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) est d’ailleurs consacré à cette question.

Des recherches sont ainsi en cours pour retrouver la trace de ces enfants et pour trouver l’emplacement exact de tombes sans sépultures. 

Tandis que le Centre national pour la vérité et la réconciliation a pu retrouver jusqu’à présent 4139 noms d’enfants disparus, mon travail de soutien auprès des communautés autochtones effectuant le même travail laisse déjà entrevoir que ce nombre sera beaucoup plus élevé.

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De l’espoir à la déception

Il est d’ailleurs important de savoir que la plus grande partie du travail de recherche est effectué par des équipes créées par des Premières Nations ou encore par des organismes qui les représentent. Dans l’espace de quelques semaines, ces équipes ont vu leur travail reconnu, puis arrêté.

Le rapport historique de l’interlocutrice spéciale indépendante, Lieux de vérité, lieux de conscience, met en lumière la difficulté de ces recherches, l’état actuel des cimetières et des archives, ainsi que les réseaux complexes qui liaient les pensionnats à une série d’autres institutions où les enfants pouvaient être envoyés, et souvent mourir, à l’insu de leurs parents.

Cette publication valide les résultats préliminaires des équipes de recherche et aurait dû encourager le gouvernement fédéral à appuyer leur travail. Mais ce dernier a fait volteface et a annoncé une limite aux fonds disponibles pour ces recherches.

Parler de «plafonnement» est simplement une manière d’éviter le mot «coupures». Ces fonds avaient été promis plusieurs années après la publication du rapport de la CVR, qui les réclamait déjà, et seulement après l’annonce de la découverte de tombes sans sépultures aux anciens pensionnats de Kamloops et Marieval par les Premières Nations, qui avaient lancé ces recherches elles-mêmes.

La limite de 500 000 dollars par année fait qu’un nombre très restreint de personnes peuvent être embauché·es, que les voyages pour accéder aux archives, retrouver des survivant·es éparpillé·es partout au Canada seront limités ou qu’il sera plus difficile d’assurer la participation des survivant·es au processus.

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Des besoins à long terme

Dans son rapport provisoire de juin 2023, l’interlocutrice spéciale indépendante, Kimberly Murray, indiquait déjà une série de besoins liés notamment à l’accès aux documents et aux sites, aux délais à prévoir, à la protection contre les réponses du public allochtone ainsi qu’au soutien et au financement des équipes de recherche.

Pour que la recherche soit menée d’une bonne manière, la souveraineté des peuples autochtones doit être reconnue et le Canada doit assumer ses responsabilités.

Le travail ne peut se limiter à la recherche archéologique et à la recherche archivistique des données.

En effet, les abus et le nombre des décès n’étaient pas notés dans les documents officiels; ce sont les survivant·es qui ont préservé cette mémoire. Or, ces personnes sont désormais d’un âge avancé et leurs décès sont de plus en plus fréquents. Les communautés perdent donc la seule source possible d’information pour mener à bien certaines recherches.

Les membres des équipes de recherche doivent avoir la possibilité de recevoir des formations, afin de développer la capacité de recherche au sein des communautés autochtones. Elles pourront ainsi continuer à diriger leurs propres travaux… et éviter que des compagnies privées ne les arnaquent ou n’exploitent les ressources financières dédiées à ces projets.

Malgré de belles paroles en faveur de la vérité et de la réconciliation par le gouvernement de Justin Trudeau, le plafonnement du financement pour la recherche sur les résidents des pensionnats autochtones est en fait un recul sur une promesse. 

Photo : Domaine public

Un long chemin pour la réconciliation

Dans un contexte où même le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones reconnait les défis et manquements actuels, la décision de limiter les fonds pour ces recherches par le gouvernement fédéral ne peut avoir que deux explications.

La première hypothèse est le paternalisme. Le gouvernement ne fait pas confiance aux capacités des peuples autochtones et désire contrôler davantage le processus . Il veut éviter que les Premiers peuples prennent le contrôle et exercent leur souveraineté. Il préfère que des experts externes soient embauchés.

Autrement dit, il veut éviter que l’expertise se développe dans les communautés autochtones. En limitant le financement, il maintient la dépendance des Premières Nations à son endroit ainsi qu’à l’endroit des centres d’archives qui ne sont pas gérés par les peuples autochtones et qui n’arrivent pas, eux non plus, à faire tout le travail nécessaire.

La seconde hypothèse est plus cynique. C’est que le gouvernement, ou les organismes et institutions qui font pression sur lui, ne veulent pas que ce travail se fasse. 

En effet, le travail actuel reste critique. Les témoignages des survivant·es lors des travaux de la CVR ont montré ce que les enfants et adolescent·es ont vu, le travail dans les archives disponibles à l’époque a exposé les politiques étatiques.

Mais avant d’avoir accès aux archives qu’ouvrent désormais peu à peu les églises et les congrégations religieuses, nous ne savions pas comment les pensionnats étaient gérés et opérés, ni quelles étaient les politiques mises en place par les religieux sur place. Cette connaissance semblait à portée de main… Elle est désormais beaucoup plus éloignée.

Il est toujours difficile, voire impossible, pour les peuples autochtones de faire confiance aux églises ou à l’État pour ce travail, étant donné la teneur des relations et surtout la responsabilité pour les torts causés par les écoles. Sans oublier les morts d’enfants et le non-respect des corps.

D’une manière ou d’une autre – et en fait des deux –, le gouvernement agit à l’encontre de la volonté de réconciliation qu’il revendique pourtant, et détruit à nouveau une partie du travail de réconciliation qui a eu lieu jusqu’à présent.

Douceur fransaskoise

Ce printemps, l’autrice-compositrice-interprète fransaskoise Alexis Normand présentait quelques-unes de ses plus belles chansons francophones. Avec Empreintes, elle nous invitait dans un univers rempli de tendresse et de mélancolie.

Elle a fait appel à deux réalisateurs chevronnés, Marc Pérusse et James Bunton, qui ont bien su comprendre son univers folk auquel ils ont ajouté des nuances de blues et de jazz.

Couverture de l’album Empreintes d’Alexis Normand. 

Photo :alexisnormand.com 

La douceur de la voix d’Alexis livre toute la puissance de chaque mot. Ces chansons nous interpellent sur divers sujets, comme l’exploitation des ressources naturelles, la richesse de la famille et le retour aux sources.

Ce nouvel album comprend une dizaine de chansons, dont quelques petits bijoux savoureux. Il faut  parle de l’exploitation des ressources naturelles avec une force extraordinaire.

Le country folk Tous les matins est vraiment touchant et offre un beau moment de tendresse. L’album se termine par un duo avec Daniel Lavoie Sing me home. Il s’agit de l’une des plus belles chansons de la Fransaskoise. Cette ode au retour aux sources est tout à fait sublime.

Depuis environ une quinzaine d’années, Alexis Normand a forger un parcours musical qui démontre toute sa richesse artistique. Avec Empreintes, elle offre une parcelle de ses plus belles chansons. Elle nous livre un univers folk riche et une voix remplie de tendresse.

Sing me home
Album : Empreintes

Bijou caché en Alberta

Mon plus grand plaisir lorsque je fais des commentaires sur des albums, c’est de découvrir de petits bijoux irrésistibles. Tel est le cas avec Girlz with Guitarz, un trio féminin de la région de Plamondon, en Alberta.

Couverture du EP de Girlz with Guitarz. 

Photo : girlzwithguitarz.ca

Ce trio est composé des sœurs Tracy Gauthier Lord et Karen Gautier Levoir accompagnées de leur tante Michèle Gauthier. Ces multi-instrumentistes aux voix harmonieuses nous captivent avec un univers folk dont la richesse se trouve dans les arrangements musicaux. Les harmonies vocales constituent souvent la force maitresse des chansons proposées.

Girlz with Guitarz débutent leur EP avec l’un des plus beaux textes de l’album, Langage de la poésie. Mon corps dit en est un autre sur le mal d’amour. La pièce maitresse est sans aucun doute Feel Good chanson. Une superbe valse country sur un texte vraiment touchant.

Le trio de musiciennes folk offre un EP éponyme des plus intéressants. Le temps de six chansons, Tracy, Karen et Michèle offrent un univers folk riche et harmonieux.

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Langage de la poésie
Album : EP Girlz with Guitarz

Musique à tous les étages 

Au printemps 2020, Soir de semaine lançait son 3e album, Au gré du vent. Cette formation du Yukon poursuivait ainsi sa démarche artistique avec originalité et diversité.

Couverture de l’album Au gré du vent du groupe yukonnais Soir de semaine. 

Photo : soirdesemaine.com

La diversité des genres musicaux est une force pour Soir de semaine. Rock, pop rock, ska et reggae, de plage en plage, l’auditeur est interpellé par une humeur différente et ne s’ennuie jamais. En revanche, les thèmes ne sont pas dépaysants : la famille, les amis, les fêtes ou encore les voyages.

Champagne m’a beaucoup séduit avec un reggae digne du groupe The Police. La pièce titre, Au gré du vent, également offerte en version instrumentale, se démarque également par une belle musicalité. Tes yeux est un autre excellent texte inspirant, appuyé par une belle trame musicale.

Parlant de trame musicale, je termine mon commentaire par Olivier. Une belle pièce instrumentale avec une progression d’accord qui nous captive de seconde en seconde.

Soir de semaine, ce sont des musiciens talentueux et généreux à l’énergie communicative, qui a offert un merveilleux 3e opus à la musicalité solide et aux textes puissants.

Champagne
Album : Au gré du vent

Marc Lalonde, dit Lalonde des ondes, est chroniqueur musical depuis plus de 25 ans au sein de la francophonie musicale canadienne et animateur de l’émission radiophonique Can-Rock. Il se fait un malin plaisir de partager cette richesse dans 16 stations de radio à travers le pays chaque semaine.

Pendant près de 15 ans, de 2001 à 2015, deux grands fabricants – Weston et Canada Bread – ainsi que cinq détaillants – Loblaw, Sobeys, Metro, Walmart Canada et Tigre Géant – auraient fixé les prix du pain en épicerie. Le stratagème aurait permis à ces entreprises d’engranger un surprofit de près de 5 milliards de dollars durant cette période.

Le règlement survenu la semaine dernière permet à Loblaw et Weston de mettre fin aux actions collectives contre elles. Bien que le montant puisse paraitre énorme, ce n’est que l’équivalent d’une petite tape sur les doigts plutôt qu’une punition sérieuse, vu les profits excédentaires possiblement enregistrés et la taille des entreprises visées.

Une tape sur les doigts

Loblaw et Weston avaient reconnu leur responsabilité dans cette affaire dès 2017, après l’ouverture d’une enquête du Bureau de la concurrence. Loblaw avait offert un remboursement de 96 millions de dollars à ses clients à l’époque. Ce montant est donc déduit du règlement qui vient d’être conclu. Weston paiera 247,5 millions. Loblaw acquittera les 156,5 millions restants.

Pour le géant de l’alimentation, cela représente au final un recul du profit net de son dernier trimestre de 10 % par rapport à la même période l’an passé. Son profit trimestriel s’élève tout de même à 457 millions de dollars sur un chiffre d’affaires de près de 15 milliards. Pas de quoi s’énerver. L’action de l’entreprise a perdu 3 % le jour de l’annonce, mais a vite remonté le lendemain.

Les résultats de l’enquête du Bureau de la concurrence, eux, se font toujours attendre, depuis sept ans maintenant.

Canada Bread, l’autre fabricant impliqué dans cette affaire qui détient les marques Dempster’s et POM notamment, a reconnu sa responsabilité l’année dernière et a été condamné par le Bureau de la concurrence à payer une amende de 50 millions de dollars. Encore une fois, cette somme peut paraitre bien faible par rapport à l’ampleur de la fraude.

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Les limites de la police antitrust

Le Bureau de la concurrence est le principal gendarme qui s’occupe de protéger la concurrence. Il traite les plaintes et lance des enquêtes quand des entreprises sont soupçonnées de fixer les prix.

L’enquête interminable du Bureau et les montants dérisoires des amendes et règlements dans le cas du cartel du pain ne laissent cependant présager rien de bon quant à l’avenir de l’antitrust au Canada.

Le cas de la fixation des prix du pain ne devrait pas prendre plus de sept ans à régler. Après tout, les deux instigateurs du stratagème, Weston et Canada Bread, ont reconnu leur responsabilité et participent à l’enquête. Des courriels font expressément référence à l’entente. Il y a des preuves écrites. C’est un cas classique de fixation des prix, et non une ruse très élaborée.

Si le Bureau de la concurrence peine à mener cette enquête à bien, comment peut-on croire qu’il aboutira dans des cas plus complexes? Il vient d’ailleurs d’entamer ce printemps une enquête contre les géants de l’épicerie Sobeys et Loblaw, qui limiteraient la concurrence par l’entremise de leur contrôle immobilier.

Ces entreprises ne sont pas que des épiciers; elles gèrent aussi des divisions dans la pharmacie, le vêtement, les services financiers et, oui, les investissements immobiliers.

Le Bureau de la concurrence soupçonne ces épiciers de contrôler le type de commerce qui peut s’établir dans les centres commerciaux par l’entremise d’ententes restrictives ou directement d’acheter des terrains vacants pour empêcher d’éventuels compétiteurs de s’installer et de les concurrencer.

Ce type de pratiques qui limitent la concurrence seront assurément plus complexes à prouver que le cas du cartel du pain.

La confiance du public

L’alimentation n’est pas le seul secteur économique où l’on observe une grande concentration des entreprises. Le secteur du transport aérien, le raffinage et la distribution d’essence ou la téléphonie cellulaire sont quelques autres exemples de biens et services qui coutent plus cher au Canada qu’ailleurs.

On peut évidemment soupçonner que des pratiques anticoncurrentielles sont la cause de ces prix élevés, mais encore faut-il le prouver. Seul un régulateur fort disposant de moyens conséquents peut y arriver.

Au-delà de l’impact économique sur nous tous, c’est surtout la confiance du public qui est en jeu dans ces histoires. Les pratiques anticoncurrentielles peuvent prendre de nombreuses formes et ne se limitent pas à des ententes directes sur les prix.

Les consommateurs doivent avoir des recours et avoir confiance que les institutions publiques qui les protègent ont les moyens de faire valoir leur droit, surtout devant des entreprises milliardaires qui opèrent à la grandeur du pays. Pour l’instant, les résultats sont, au mieux, mitigés.

Vous avez probablement croisé les expressions «summer body», «objectif bikini» ou «body goal» sur les réseaux sociaux ou dans vos magazines préférés à l’approche de l’été. Même si la société évolue, les injonctions persistent. 

En 2015, une campagne publicitaire dans le métro londonien demandait : «Are you beach body ready?». Bien entendu, il n’était pas question de posséder un maillot de bain, ce que l’on pourrait penser la seule condition plus ou moins nécessaire pour se rendre à la plage, mais bien d’être suffisamment svelte. 

Quand on parle de «summer body», il est évident que l’on parle de minceur. La grossophobie est omniprésente. Les personnes en surpoids se retrouvent stigmatisées, renvoyées à l’idée qu’elles manquent de volonté. 

Mais ce n’est pas tout. Les normes estivales excluent aussi les personnes âgées et celles en situation de handicap, dont les corps sont considérés comme indésirables – tare ultime dans une société obsédée par la jeunesse et la performance.

Cette exclusion souligne l’âgisme et le capacitisme, des formes de discrimination qui jugent les individus uniquement sur leur apparence et leur conformité à des standards irréalistes.

En conséquence, ces personnes sont souvent marginalisées et invisibilisées, ce qui renforce leur sentiment d’inadéquation et de rejet dans des espaces censés être inclusifs et accessibles à tous et toutes.

Patriarcat et capitalisme

Les injonctions sur le «summer body» s’inscrivent dans une volonté plus large du patriarcat de maintenir les femmes dans une position d’objet. En imposant des standards de beauté inatteignables et en critiquant constamment leur apparence, la société perpétue un contrôle sur ces dernières. 

Les normes esthétiques servent à détourner l’attention des femmes de leurs ambitions personnelles et professionnelles, les maintenant focalisées sur leur apparence physique.

La société préfère les femmes préoccupées par leur poids plutôt que par leurs droits

Mais il y a une autre force à l’œuvre : le capitalisme. Ce système économique encourage constamment à consommer plus, en exploitant nos insécurités. Les industries de la mode, des cosmétiques et de la nutrition prospèrent en vendant des produits et des régimes censés nous aider à atteindre ce «summer body» idéalisé. 

L’objectif? Nous faire dépenser toujours plus, tout en maintenant une pression constante pour améliorer notre apparence. Cette pression de la consommation perpétue ainsi le cycle de l’insatisfaction et de l’achat compulsif.

Paradoxalement, les femmes ne sont pas seulement jugées pour montrer leur corps, mais aussi pour se couvrir. Les critiques s’abattent sur celles qui choisissent de porter des vêtements couvrants à la plage, souvent perçues comme déviant des normes de liberté corporelle attendue en été. 

Une amie qui préfère porter des tenues modestes pour des raisons personnelles a souvent fait face à des remarques désobligeantes. Elle m’a dit un jour : «Je ne suis jamais assez. Si je montre trop, je suis jugée. Si je ne montre pas assez, je suis aussi jugée.»

Rejetons les normes imposées et les modèles irréalistes. Toutes les formes sont belles. 

Photo : Carlito - Pixabay

Une plage pour tout le monde

Le «summer body» est une construction sociale oppressive. Plutôt que de céder à cette tyrannie, acceptons la diversité des corps et rejetons les normes imposées. La plage est là pour tout le monde, que l’on porte des tailles petites ou X, que l’on ait des vergetures, de la cellulite, un fauteuil roulant ou des cicatrices.

Cet été, au lieu de préparer nos corps pour la plage, préparons nos cerveaux et nos cœurs pour la révolte, l’amour et la bienveillance. Et mettons quelques grains de sable dans les rouages du patriarcat!

L’imaginaire du progrès nous aide à nous cacher les répercussions de nos modes de production et de consommation actuels. À tout problème existerait une solution technologique.

Mais même les voitures électriques et l’énergie solaire ou éolienne causent des problèmes environnementaux. Même si ces technologies sont plus durables et beaucoup moins destructrices que celles qui dépendent des énergies fossiles, leur durabilité demeure aussi limitée et leur impact environnemental n’est pas négligeable.

À lire : Le progrès, contre une meilleure vie?

Nous devons ainsi reconnaitre que les activités économiques humaines ont leurs limites, qu’elles dépendent de ce que la planète offre ou de la destruction qu’elle peut endurer.

Au-delà du dérèglement climatique, l’activité humaine amène de grands changements à l’équilibre des environnements où elle a lieu. Plusieurs de ces changements sont irréversibles. Évidemment, il s’agit de déséquilibres, et l’on peut s’attendre à ce qu’après un certain temps, nos environnements arrivent à de nouveaux équilibres.

Toutefois, ces nouveaux équilibres amèneront des environnements qui ne permettront plus les mêmes genres de vie humaine et qui, dans les cas de désertification ou de submersion des terres, pourraient ne plus permettre la vie humaine.

Et tandis que les personnes les mieux nanties dans le monde pourront se déplacer pour tenter de maintenir leur niveau de vie, il y a déjà de plus en plus de réfugiés climatiques qui ont tout perdu.

Les limites planétaires

L’idée des limites planétaires nous aide à penser à de telles transformations à grande échelle des processus naturels qui ont rendu possible la vie ainsi que les existences humaines telles que nous les connaissons.

Le changement climatique n’est que l’une des neuf limites planétaires, selon le nombre établi par différentes sources. Les autres sont :

Or, la plupart des neuf limites planétaires ont été atteintes.

La température a déjà augmenté considérablement. La diversité de la flore et de la faune décroit chaque année. Les coupes de forêts affaiblissent la part que peut jouer la végétation dans tous les autres processus. Les microplastiques et les produits chimiques ont transformé les océans et donc les environnements des espèces marines, ainsi que tout ce qui peut servir de nourriture. Et nombre de sols ont été asséchés ou inondés.

Différents rapports avancent que six ou sept des limites ont été dépassées. Peu importe le nombre exact de limites, il règne toutefois un consensus : il existe des limites, et ces limites sont dépassées ou en voie de dépassement.

Cela signifie que la Terre, prise comme un système, est en déséquilibre et que les conditions pour toutes les formes de vie ne sont plus les mêmes. Autrement dit, la catastrophe a déjà lieu, et la vie dans toutes ses formes n’est plus la même.

Les mesures prises pour protéger la couche d’ozone montrent qu’une concertation internationale et un engagement citoyen peuvent avoir un effet positif sur certaines des conséquences de notre régime actuel de production et de consommation.

Même si le temps presse pour agir, il faut cependant noter qu’il est déjà trop tard pour deux des processus, qui ont maintenant atteint un stade irréversible.

Toutefois, ce n’est pas la présence humaine en elle-même qui pose problème, mais bien les activités polluantes et destructrices qui accompagnent nos manières actuelles de vivre et d’établir un rapport à ce que nous nommons les «ressources naturelles».

Les limites à la croissance

Le constat est le même si l’on parle en termes économiques plutôt qu’écologiques.

Parler des limites à la croissance, c’est se concentrer sur les activités humaines qui causent de telles transformations aux environnements : l’industrialisation (et la manière dont elle a lieu); la production alimentaire (et ses effets directs sur l’environnement); l’utilisation des ressources naturelles (et la perspective de leur épuisement); ainsi que la pollution (vue comme un choix délibéré).

Chacune de ces dynamiques a une influence sur les autres.

Ces idées proviennent du rapport du Club de Rome, qui a désormais plus de 50 ans, mais qui a récemment été mis à jour. Il existe de nombreuses critiques sur son approche, dont plusieurs sont fondées.

Toutefois, le constat demeure le même aujourd’hui : il faut arrêter la croissance. Même l’idée d’une croissance dite «verte» est à rejeter, étant donné l’impact des nouvelles technologies sur les mêmes processus.

Arrêter la croissance à l’échelle planétaire, cela n’implique pas d’arrêter l’amélioration de la qualité de la vie humaine. C’est plutôt rééquilibrer la production et la consommation pour arrêter les excès ici et permettre une amélioration ailleurs.

À lire : L’écocide, au-delà du crime

Choisir les bonnes limites, et bien choisir

Les personnes qui s’y connaissent auront remarqué que je n’ai pas inclus la croissance démographique parmi les limites à la croissance. Cette décision découle d’un problème central du Rapport du Club de Rome, qui, par son racisme, voit la croissance démographique comme un problème… en Afrique et en Asie.

La limite démographique suppose ainsi une perspective eugéniste et antidémocratique, où des chercheurs et politiciens des pays du Nord décideraient de la population du reste du monde.

Notons toutefois que d’autres aspects du rapport fonctionnent contre ce racisme en proposant un rééquilibre de la consommation et de la production, et en éliminant les inégalités.

Vivre avec des limites suppose de tenir compte de notre incidence immédiate sur ce qui nous permet de vivre, mais aussi sur la vie des autres. Pour cela, nous avons besoin de deux formes complémentaires de démocratie et plus largement de participation.

Il faut d’abord des mécanismes pour permettre aux populations du monde entier de participer aux décisions liées à la production et à la consommation.

Ces décisions sont pour l’instant la chasse gardée des entreprises privées dites multinationales, mais leurs profits reviennent à des classes situées dans les endroits les moins affectés par les changements climatiques.

Il faut ensuite une participation politique accrue des populations des pays où la plus grande partie des décisions sont prises. Le fait d’adopter un mode de vie plus sobre ne suffit plus à éviter les grandes transformations à l’échelle de la planète.

Les changements au style de vie quotidien ne pèsent pas beaucoup par rapport aux conséquences des projets d’extraction de ressources naturelles qui n’amèneront des profits qu’après des dizaines d’années.

Produire et consommer selon des limites ne sera possible qu’avec des luttes sociales et une imposition de limites là où le profit et les intérêts empêcheront tout ralentissement ou changement d’orientation.

Jérôme Melançon est professeur en études francophones et interculturelles ainsi qu’en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent notamment sur la réconciliation, l’autochtonisation des universités et les relations entre peuples autochtones et non autochtones, sur les communautés francophones en situation minoritaire et plus largement sur les problèmes liés à la coexistence. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie (MétisPresses, 2018).