La première affaire vise la professeure Michelle Stewart*, de l’Université de Regina. Au mois de juin dernier, la Cour du Banc du Roi de la Saskatchewan a jugé qu’elle avait écrit des propos diffamatoires en qualifiant de «racist garbage» (pourriture raciste) le livre autopublié – et non la personne – de l’autrice albertaine Candis McLean.
Le juge a conclu qu’une campagne menée par la Saskatchewan Coalition Against Racism, et encouragée par Michelle Stewart, pour faire annuler les évènements de promotion du livre avait mené à une rupture de contrat pour l’autrice.
Le problème tient à la nature du raisonnement du juge.
Celui-ci écrit que des commentaires comme ceux de l’universitaire font partie de la «cancel culture» (culture de l’annulation) qui s’en prend à la personne plutôt qu’aux positions ou à l’œuvre.
Le juge déplore le désir de supprimer ou d’interdire tout livre, ce qui, selon lui, met la démocratie en péril. Il affirme avoir lu le livre et ne l’avoir pas trouvé raciste.
Un tel raisonnement ne tient que si l’on rejette ce que Michelle Stewart a écrit ou dit ailleurs à propos des idées, de l’argumentaire et de l’absence de rigueur du livre de Candis McLean.
Le livre cherche à innocenter deux policiers liés à la mort de l’adolescent autochtone Neil Stonechild à la suite d’une pratique policière nommée «starlight tour» qui visait les personnes autochtones à Saskatoon. Les policiers ont été congédiés suite à une enquête.
Le danger de ce jugement, c’est qu’il crée un précédent juridique qui pourrait affecter toute personne qui dénonce publiquement une action ou un discours comme étant raciste.
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Le droit de parole des députés limité
La seconde affaire concerne la députée néodémocrate fédérale de Winnipeg Centre, Leah Gazan, qui est d’origine lakota, chinoise et juive. À la fin du mois de juin, dans un échange à la Chambre des communes, elle a affirmé que les propos d’un autre député étaient colonialistes.
Le président de la Chambre des communes a l’autorité de déterminer quels mots peuvent entrainer l’expulsion ou une réprimande pour les députés.
La leadeure adjointe du gouvernement à la Chambre, Arielle Kayabaga, a invoqué un rappel au Règlement, affirmant que le langage utilisé était non parlementaire et que cette affirmation était une insulte.
Le vice-président adjoint de la Chambre, qui agissait comme président lors de la séance, a signalé son accord en demandant à la députée Gazan de retirer ses propos. Celle-ci a refusé de le faire, ce qui a mené à une délibération hors de la Chambre.
Le rappel à l’ordre lancé par la députée libérale Kayabaga cherchait d’abord et avant tout à défendre la politique attaquée par Leah Gazan. L’accord du président de la session signale que le mot «colonialiste» pourrait entrainer une expulsion lorsqu’il est prononcé (la décision n’a pas encore été prise).
Une telle limitation viendrait soutenir les actions du Parti libéral, puisque le projet de loi C-5 donne la possibilité au gouvernement de déroger à son devoir de consulter les peuples autochtones. S’il s’en prévaut, il pourrait ainsi mener une politique colonialiste sans s’exposer aux critiques ou à la nécessité d’y amener des amendements.
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Nommer n’est pas insulter
Dans les deux affaires décrites ci-dessus, le fait d’être traité de raciste ou de colonialiste est présenté comme une insulte.
Toutefois, puisqu’il s’agit ici de décisions d’une cour et du Parlement, il faut aller au-delà des intentions et des réactions pour comprendre les arguments et les conséquences. Parler d’insulte dans ces cas relève d’une confusion des registres.
Tant Michelle Stewart que Leah Gazan cherchent à faire voir le racisme et le colonialisme dans notre société, que ce soit dans les débats publics ou au sein des institutions politiques.
L’utilisation des mots «raciste» et «colonialiste» ne vise pas à insulter, mais plutôt à mettre le système face à ses paroles et ses actes, qui lui permettent de rester inchangé. Nommer le racisme et le colonialisme est une condition de la lutte contre ces structures.
Le discours politique est une question politique
Ainsi, devant de tels débats, il faut voir ce que seraient les conséquences de mesures visant à interdire la dénonciation du racisme et du colonialisme. Surtout, quelles populations seraient touchées.
Notons que la professeure Stewart se voue à la défense des personnes autochtones qui – rappelons-le – sont beaucoup plus susceptibles d’être interpelées ou arrêtées par la police et condamnées. Elle le fait tant par ses travaux universitaires que par son travail pour la rédaction de rapports Gladue.
Notons également que la députée Leah Gazan a déposé en 2024 un projet de loi pour criminaliser les discours négationnistes sur les pensionnats autochtones – projet qui n’a pas abouti en raison du déclenchement des élections.
Toutes deux combattent l’injustice dans le traitement des personnes et des peuples autochtones. Cette possibilité serait limitée si nommer le racisme et le colonialisme était interdit.
Ni la cour ni le Parlement ne sont neutres. Bien entendu, le racisme est présent dans les actes et paroles des gens qui y œuvrent. Mais le racisme y est aussi systémique, c’est-à-dire inclus et reproduit par la structure même des institutions.
Le colonialisme est par ailleurs à l’origine de la création du Canada et l’existence même du pays dépend des divers subterfuges juridiques utilisés pour réclamer la souveraineté sur des territoires que les peuples autochtones n’ont jamais cédés. De telles décisions le rappellent un peu trop clairement.
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*Note : Michelle Stewart, Ph. D., est une collègue de l’auteur de la présente chronique à l’Université de Regina. Malgré leur appartenance à la même faculté, il n’y a aucune relation d’autorité entre eux.
Jérôme Melançon est professeur titulaire en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent généralement sur les questions liées à la coexistence, et notamment sur les pensionnats pour enfants autochtones, le colonialisme au Canada et la réconciliation, ainsi que sur l’action et la participation politiques. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie (MétisPresses, 2018).
On peut débattre de la pertinence du terme «épidémie» dans les circonstances, mais on ne peut ignorer que beaucoup de personnes – de tous les âges – souffrent de solitude.
Selon Statistique Canada, à la fin de l’année 2024, 13,4 % des personnes déclaraient se sentir seules presque tout le temps; 36,9 % parfois seules. Des chiffres très similaires à ceux de la fin de l’année 2021, au cœur de la pandémie de COVID-19.
Les géants derrière les outils de génération de textes – ou les outils d’intelligence artificielle (IA), si vous préférez – ont flairé la belle affaire et arrivent en sauveurs avec une solution à ce problème sociétal.
Des thérapeutes sont accessibles instantanément à partir de votre clavier ou de votre micro. Le fondateur de Meta, Mark Zuckerberg, veut même que l’IA s’insère dans votre fil Facebook, comme un nouvel ami que vous n’avez jamais rencontré.
Les besoins sont tellement grands qu’il est difficile de ne pas voir la panacée dans cette solution fourretout. Et elle a certains mérites. Il y a des personnes qui bénéficient de l’appui psychologique fourni par une simple conversation où elles se sentent écoutées et soutenues.
Mais comme d’habitude, les promoteurs de ces remèdes miracles ne vous indiquent pas les contrindications.
La solitude n’est pas considérée comme un problème de santé mentale, mais elle a des effets négatifs sur celle-ci qui sont connus.
Une personne seule court davantage de risques de se retrouver avec des troubles de dépendance, de comportements antisociaux ou de dépression. Chez les personnes âgées, on a observé une augmentation du risque de démence.
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Les générateurs de textes et les robots conversationnels ont tendance à offrir des réponses qui feront plaisir à la personne qui les interroge. Ils peuvent également se tromper et inventer des solutions inefficaces. Du point de vue de la santé mentale, ces suggestions peuvent même être dangereuses.
Récemment, un homme de 60 ans s’est retrouvé à l’hôpital, victime d’un empoisonnement au bromure. ChatGPT lui avait suggéré de remplacer le sel (ou sodium) dans son alimentation par du bromure de sodium – plus proche parent des nettoyants que du sel de table.
Dans un autre cas, un homme de 76 ans a répondu à l’invitation d’une interlocutrice virtuelle – donc un robot conversationnel – qui lui avait donné rendez-vous à une adresse fictive. Il s’est blessé en chemin et est décédé, selon Reuters.
Ces cas extrêmes ne sont pas la norme, mais ils illustrent le manque d’empathie réelle de ces machines et les risques encore largement inconnus lorsqu’elles sont utilisées pour jouer avec les émotions humaines. Les psychologues ne nient pas leur utilité, mais font plusieurs mises en garde.
Les journalistes Kashmeer Hill et Dylan Freedman ont montré que la tendance à flatter dans le sens du poil pousse des outils d’IA à renforcer les affirmations faites par l’internaute, peu importe leur niveau de véracité.
À noter : L’équipe d’OpenAI a tenté d’éliminer cette tendance de ChatGPT avec le lancement de la version 5. Elle a été confrontée à une vague de messages comparant ce changement à un deuil ou à une peine d’amour. Elle a en partie fait marche arrière.
Si des internautes sont si attachés à un outil de génération de texte, c’est parce que le besoin de connexion est là et bien réel. Il ne faut pas minimiser cette partie de l’équation.
Par contre, un réseau social en ligne qui offre une solution à l’isolement social est la définition même d’un paradoxe.
Le modèle d’affaire des réseaux sociaux, rappelons-le, consiste à nous garder captifs. Mark Zuckerberg veut que nous restions sur Instagram le plus longtemps possible – loin des interactions en personne. Offrir des amitiés virtuelles n’est qu’une façon d’isoler davantage une personne seule.
Bien qu’il existe bien sûr des communautés accueillantes sur Internet, tout ce qui est offert en ligne n’est pas nécessairement bon pour tout le monde.
Des études publiées dans les revues Group Processing and Intergroup Relations en 2020, Sage Journal en 2021 et Political Psychology en 2022 arrivent à des conclusions similaires : la solitude et l’exclusion sociale font partie des principaux facteurs menant à l’adoption de points de vue extrémistes.
La solution ultime se trouve dans l’vrai monde.
Côtoyer davantage de gens en personne permet de développer davantage ses habiletés sociales, son empathie, sa capacité à socialiser et à entretenir des conversations sans en arriver aux injures.
Une personne âgée qui s’ennuie dans une maison de retraite a davantage besoin d’un humain pour l’écouter, discuter ou jouer aux cartes avec elle que d’une machine qui se fait l’écho de ses pensées.
Faites du bénévolat. Participez aux activités de la francophonie. Inscrivez-vous à des cours. Vous pourriez aussi y rencontrer de nouveaux amis qui vous veulent du bien.
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Kukum, de Michel Jean, Éditions Libre Expression, 2019.
Almanda ne se doutait pas que son existence basculerait le jour où son regard croiserait celui de Thomas, un jeune Innu. L’orpheline blanche quittera la ferme de son oncle et sa tante pour embrasser une vie nomade, sur les rives de la Péribonka et du lac Pekuami. Elle gagnera peu à peu sa place au sein de la communauté, jusqu’à en devenir sa base : libre, forte, et résiliente.
Expropriation, réserves, pensionnats, nature ravagée : avec Kukum, Michel Jean livre le récit de son arrière-grand-mère, mais aussi celui d’un peuple. Dans une langue à la fois dépouillée et d’une puissance inouïe, il dépeint les blessures du passé, la violence du déracinement et le pouvoir de l’amour. Un voyage à travers le temps et la terre.
– Camille Langlade
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Les aventures d’Alphonse Lapin, de Jean-Claude Alphen, D’eux, 2023.
Alphonse Lapin part pour un grand voyage autour du monde. Tantôt en avion, en bateau ou même en montgolfière, il visite Paris, Londres, Tokyo, Amsterdam et de nombreuses autres villes. En gondole à Venise ou devant l’opéra de Sydney, Alphonse s’émerveille. À Moscou, il assiste au ballet Le Lac des cygnes. New York, en plus de sa célèbre statue, lui réserve une belle exposition ainsi qu’une délicieuse gourmandise. De retour à Québec et malgré de nombreuses aventures, notre ami voyageur n’aura qu’une envie : repartir!
Cet album sans texte est une invitation aux voyages, aux découvertes et aux discussions. Idéal pendant les vacances d’été!
– Marine Ernoult
Le prince africain, le traducteur et le nazi, de Didier Leclair, Éditions David, 2024.
En plein cœur de la Seconde Guerre mondiale, Jean de Dieu, traducteur pour un prince africain à Paris, doit déjouer les machinations du major Baumeister de la Gestapo. Il protège les richesses de son employeur, le prince Antonio, déjà au Portugal. Mais ce dernier a une autre demande pour Jean : aider Sarah, une Polonaise d’origine juive, et leur enfant à s’échapper.
Le prince africain, le traducteur et le nazi oscille entre le roman d’espionnage et historique. Didier Leclair ne passe pas beaucoup de temps à nous faire rêver à la Ville lumière, mais les descriptions des personnages, des petits appartements et de l’action nous plongent dans une série de péripéties bien ficelées qui donnent envie de connaitre la suite. Si on ne connait pas mieux Paris après la lecture, il nous laisse avec une meilleure compréhension de la vie angoissante dans la ville occupée.
– Julien Cayouette
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La très catastrophique visite du zoo, de Joël Dicker, Rosie&Wolfe, 2025.
La narratrice, Joséphine – qui aspire le plus sérieusement du monde à devenir inventeuse de gros mots quand elle sera grande –, tente d’expliquer à ses parents, avec sa logique implacable d’enfant, l’enchainement de péripéties loufoques qui ont fait que la sortie au zoo de sa classe «spéciale» a tourné à la catastrophe.
Rempli d’humour, de bonnes intentions et de grande sensibilité, ce roman arrive, comme trop peu d’ouvrages savent le faire, à tenir les petits en haleine, mais aussi à combler les grands. Chacun peut y trouver son bonheur.
Avec ce récit, les grands-parents qui attendent la visite de leurs petits-enfants pendant les vacances d’été ou les parents qui sont en quête de moments de qualité avec leurs enfants réussiront à faire oublier les écrans et à resserrer les liens intergénérationnels. À lire à voix haute en famille!
– Martine Leroux
Deux heures avant la fin de l’été, de Sébastien Pierroz, Éditions David, 2023.
Deux heures avant la fin de l’été nous plonge dans l’histoire de Damien, un expatrié français qui rend visite à son village natal. Cet endroit – marqué à jamais par le meurtre d’une jeune fille survenu des années plus tôt et commis par un immigrant algérien – regorge de mystères qui attirent notamment une jeune journaliste franco-ontarienne. Elle fera la rencontre de Damien et de son frère, et l’équipe partira à la recherche de réponses.
Des allers-retours entre 1976, 2002 et le présent font découvrir au lecteur une foule de personnages brillamment écrits et, bien sûr, leurs secrets. En trame de fond se trouve une analyse subtile, mais pertinente, des effets de la mondialisation sur la France rurale. En première ligne, un hommage magnifique à l’amour, au deuil et au courage. Rythmé et intrigant, c’est le genre de roman que l’on pose difficilement sur notre table de chevet.
– Marianne Dépelteau
Ru, de Kim Thúy, Éditions Libre Expression, 2009.
Ce roman semi-autobiographique raconte le parcours d’une personne qui fuit le Vietnam en tant que boat people pour s’installer au Québec. Elle écrit sur divers sujets, dont l’exil, l’adaptation, les souvenirs d’enfance et la reconstruction de soi dans un nouveau pays, grâce à des passages poétiques.
Kim Thúy mêle les petites anecdotes du quotidien à des réflexions sur la mémoire, l’identité et la résilience du côté de l’histoire vietnamienne que l’on entend peu souvent. Ses histoires sont authentiques, touchantes, voire bouleversantes. Ce qui marque le plus est sa vie en tant que réfugiée, de son départ du Vietnam à son arrivée au Canada, et ce qu’elle a dû vivre tout au long du trajet. C’est un livre qui se lit vite, mais qui reste longtemps en tête.
– Lê Vu Hai Huong
Sophie Montreuil, directrice générale, Acfas
Martin Maltais, président, Acfas
Jean-Pierre Perreault, président sortant, Acfas
Il est urgent que le gouvernement fédéral reconnaisse la contribution fondamentale des scientifiques francophones et qu’il adopte des mesures concrètes pour soutenir et valoriser leur travail.
Sophie Montreuil est la directrice générale de l’Acfas.
La science en français n’est ni un caprice ni un particularisme régional ou folklorique. Elle est l’expression d’une des deux langues officielles du Canada, le reflet d’une culture vivante, dynamique et, surtout, d’une communauté de recherche qui contribue activement à l’avancement des savoirs et à leur mobilisation, tant au pays qu’à l’international. Pourtant, cette communauté se heurte à une série d’obstacles qui freinent son développement et compromettent la vitalité économique de la nation canadienne.
Les données parlent d’elles-mêmes : alors que les francophones représentent environ 21 % de la population universitaire canadienne en recherche, à peine 5 % à 12 % des demandes de subvention aux grands conseils fédéraux sont rédigées en français.
Ce déséquilibre flagrant n’est pas dû à un manque d’intérêt ou de compétence des chercheurs, mais bien à un système qui, dans ses pratiques, décourage l’usage du français. Les craintes de malentendus, d’évaluations biaisées ou inéquitables, de même que l’absence de mécanismes de soutien adaptés, poussent bon nombre de scientifiques et de jeunes chercheurs à se détourner de leur langue maternelle pour pouvoir être entendus.
Depuis plusieurs années, l’Acfas tire la sonnette d’alarme. Son rapport de 2021, largement diffusé, documente en détail les freins institutionnels, structurels et linguistiques qui minent la recherche en français au Canada1.
D’autres organisations, comme l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne et le Réseau de l’Université du Québec, ont aussi pris position. Malgré ces démarches, les gestes posés par le gouvernement fédéral demeurent timides, voire symboliques.
Jean-Pierre Perreault est le président sortant de l’Acfas.
Prenons l’exemple de la réforme du système de soutien à la recherche, amorcée à l’automne 2022. Un premier rapport, en mars 2023, inclut une recommandation sur le français… sur 21! Pire encore : sur les 10 000 mots d’un autre rapport, paru en octobre 2024, à peine 184 sont consacrés à la question de la recherche en français. Ce traitement marginal reflète une tendance constante : considérer la science francophone comme périphérique, voire accessoire.
Il serait injuste de ne pas reconnaitre certains efforts. Patrimoine canadien, en particulier, a manifesté une réelle volonté d’agir. Il a mis en place un groupe consultatif externe sur la recherche en français à l’automne 2024 et appuyé des initiatives concrètes, notamment à travers le Plan d’action sur les langues officielles 2023-2028.
Mais avec un financement de seulement 8,5 millions de dollars sur cinq ans pour l’ensemble des sciences en français au Canada – soit moins de 1,7 million par année –, on est loin d’un engagement structurant. Surtout, Patrimoine canadien ne peut pas porter seul cette responsabilité. Les trois grands conseils subventionnaires (CRSH, CRSNG, IRSC), qui gèrent ensemble plus de 3,1 milliards en financement annuel, doivent impérativement faire leur part.
Il est temps de passer des constats aux actions. Le gouvernement a tous les outils en main : des rapports clairs, des recommandations précises et un cadre législatif – la Loi sur les langues officielles – qui lui impose d’agir.
Ce qu’on attend, c’est un engagement fort et structurant pour la recherche en français, à la hauteur de ce qu’elle représente pour le pays.
Concrètement, cela signifie revoir les processus d’évaluation pour garantir un traitement équitable des demandes soumises en français; assurer une représentativité adéquate des chercheurs francophones dans les comités décisionnels; allouer un financement récurrent et significatif à la recherche menée en français; surtout, intégrer la dualité linguistique dès la conception des nouvelles structures de gouvernance scientifique.
La science en français n’est pas un luxe. Elle est un levier stratégique pour l’innovation, l’inclusion et les relations internationales du Canada. Notre pays a une occasion unique : bâtir un système de recherche réellement bilingue, équitable et ouvert sur le monde.
Il faut maintenant avoir le courage d’agir. L’audace de l’égalité linguistique doit devenir la norme. Elle doit être le moteur du repositionnement national du Canada face à l’obscurantisme consommé que l’on observe au sud de nos frontières.
* Le 17 juin dernier, l’Acfas a envoyé une lettre aux ministres Mélanie Joly et Marjorie Michel et à la Dre Mona Nemer. Cette lettre inclut les signatures de 1062 personnes, qui ont appuyé les constats et les demandes de l’Acfas.
La formation terre-neuvienne Port-Aux-Poutines s’est fait un devoir de garder la langue française vivante en terre d’Amérique, où la francophonie est souvent un combat de tous les jours. Avec son nouvel album Oui B’y, le groupe veut plus que jamais la partager et l’enseigner à la jeunesse.
Les membres de la formation veulent rendre hommage aux gens qui ont défendu le français, notamment à Terre-Neuve, perdue au milieu de l’Atlantique Nord.
Pochette de l’album Oui B’y.
Le tout débute avec Chapeau, un hommage non seulement aux Français de l’ile, mais aussi de partout en Amérique. Ports-Aux-Poutines célèbre également les pêcheurs, avec une superbe valse country, Mon Grand-Père, l’un des plus beaux textes du disque. Ils n’oublient pas le territoire rude auquel il faut s’adapter, comme le démontrent les chansons Les Aurores Du Labrador et Les Bancs De Terre-Neuve.
Quelques pièces m’ont beaucoup touché, comme Le Héros, qui nous parle des premiers matelots à toucher terre en Amérique, sur un fond musical breton. Il y a aussi une magnifique version de Le Rossignol, avec un superbe trio vocal des plus captivants.
J’aimerais enfin faire une mention spéciale à la version revisitée d’une chanson traditionnelle popularisée par Zachary Richard dans les années 1970 : L’Arbre Est Dans Ses Feuilles, tout à fait savoureux.
Sur ce disque, Ports-Aux-Poutines nous offre une douzaine de chansons de style folklorique; un ensemble de pièces originales et de reprises qui saura captiver l’attention des auditeurs tout en nourrissant la fierté francophone.
L’une des voix les plus emblématiques de l’Acadie nous revient avec un autre moment de tendresse. Daniel Léger nous présente Acadienneté, un 6e opus à l’image de son grand talent de conteur.
Depuis 2004, il n’a cessé de progresser, nous offrant des textes magnifiques qui nous interpellent sur l’histoire, l’amour, le quotidien du village et les légendes. Cette variété de sujets est déposée sur de superbes mélodies country, bluegrass et folk.
Daniel Léger a sorti un nouvel album, Acadienneté.
L’auteur-compositeur-interprète acadien réussit encore une fois à nous captiver en nous livrant des mélodies profondes d’une musicalité hors du commun.
Lorsque l’on pense à Daniel Léger, on pense à des chansons puissantes. Eh bien, sur Acadienneté, on n’est pas en reste. Il y a deux hymnes à l’Acadie sur ce disque, Je renais de mes cendres et L’Acadie, je l’ai dans le tchoeur, deux textes extrêmement puissants sur la fierté acadienne. Mention spéciale pour la pièce Reviens-t’en, une valse country très touchante due à la richesse de son arrangement.
Le 15 aout, jour de la Fête nationale de l’Acadie, pourquoi ne pas s’offrir un nouveau produit rempli de richesses musicales. Grâce à sa voix paisible, l’interprète nous captive encore une fois par la force de ses mélodies et la profondeur de ses textes.
Après les Maritimes, je termine en souvenir, dans les Prairies. Il y a quelques mois je vous parlais d’une voix forte et captivante, d’un univers particulier.
Pochète de l’album L’autre bord du mur.
Née dans une famille de musiciens, c’était naturel pour Flora Luna de vouloir ouvrir ses ailes et de prendre la place qui lui revient. Elle nous présentait à la fin mars 2024, un premier microalbum dont elle signait paroles et musiques, avec quelques collaborations d’Anique Granger et Éric Burke. La jeune Franco-Manitobaine nous invitait dans son univers, L’autre bord du mur.
Tout au long de ce microalbum, elle nous interpelle sur des thèmes profonds, comme la maladie mentale, l’exploitation de l’image et la persévérance. La force des mots est gage d’une auteure dotée d’une sensibilité indéniable.
Ce microalbum dévoile six pièces aux arrangements puissants. De Mon sort à I’m Gonna let You in – l’unique pièce anglophone –, nous sommes séduits par d’excellentes trames de piano et de guitare, signes d’une grande compositrice.
L’autre bord du mur, une carte de visite impressionnante, met en valeur tout le talent de Flora Luna. Une voix exceptionnelle nous livre de superbes textes qui nous touchent les uns après les autres.
Presque tous les médias se demandent en ce moment comment utiliser l’intelligence artificielle (IA) pour maximiser l’efficacité de leur fonctionnement. De quelle façon peut-elle servir à améliorer la couverture médiatique, à accélérer le travail, à accroitre l’auditoire et à augmenter les revenus?
Or, il est impossible de se poser ces questions en faisant fi du fait que cette technologie existe grâce aux contenus qu’elle a volés, que ses immenses centres de données polluent énormément et que les hallucinations qu’elle génère donnent l’impression qu’elle est alimentée aux champignons magiques.
Pour les médias en milieu minoritaire, un défi s’ajoute. La performance des grands modèles de langage (GML) – les ChatGPT, Gemini et Claude de ce monde qui peuvent produire des textes – est supérieure lorsqu’ils ont été entrainés à partir d’une grande quantité d’information.
L’information qui existe sur le Web concernant les communautés francophones en milieu minoritaire est cependant loin de répondre aux critères de ce qui constitue une «grande quantité d’information».
Les GML sont plus performants maintenant qu’ils peuvent parcourir le Web et voler du contenu en temps réel. Malgré cela, ChatGPT a répondu à une requête toute récente que Michel Ouellette avait fondé le Théâtre du Nouvel-Ontario de Sudbury, en Ontario.
Pourtant, en 1971, année de fondation du Théâtre, Michel Ouellette avait 10 ans et vivait à Smooth Rock Falls, à 400 km au nord de Sudbury.
En toute transparence : d’autres GML à qui la même requête a été soumise ont fourni une bonne réponse, soit que le Théâtre a été fondé par un collectif de jeune issu de l’Université Laurentienne, dont André Paiement. L’un des modèles interrogés précise même avoir pris de l’information auprès de sources fiables, comme Francopresse…
À lire : Intelligence artificielle : les véritables enjeux au-delà des craintes
Chaque média doit trouver la limite qu’il ne veut pas franchir quant à la production de contenu et l’expliquer à ses lecteurs et ses lectrices.
Les nouvelles technologies ont de tout temps modifié le travail des journalistes. L’IA aura aussi un effet. Quelques outils permettent déjà d’économiser du temps pour résumer des documents ou retranscrire des entrevues audios, par exemple.
Mais ces outils et les GML ne changent pas l’un des principes de base du journalisme : parler de l’expérience humaine en connexion avec la société dans laquelle nous évoluons.
Les GML peuvent écrire rapidement et avec précision la description d’un match de hockey, déchiffrer un rapport de police ou résumer un rapport économique. Ils ne peuvent cependant pas interroger des spécialistes et des gens lors d’un évènement.
La francophonie minoritaire a survécu parce que les êtres humains qui la composent se sont serré les coudes. Ils ont crié pour dénoncer les injustices, ils se sont levés pour raconter leurs histoires et rappeler leurs succès.
Pendant que chaque média explore quel rôle les outils d’IA peuvent jouer dans la salle de nouvelles, il ne faut pas perdre de vue ce qui distingue les journalistes d’une machine à recracher des mots.
Les journaux en milieu minoritaire sont le reflet de leur communauté. Vos médias ont besoin de vous pour y arriver. Ils ont besoin que vous les lisiez, mais surtout que vous leur parliez, aussi bien pour les remercier que pour les inviter à faire mieux, et que vous leur transmettiez de l’information.
Les IA ne pourront jamais jouer ce rôle de façon empathique. Elles ne seront jamais par et pour la francophonie minoritaire.
Et si les médias francophones disparaissaient, les GML n’auraient plus de sites où tirer les actualités de la francophonie. Dans ce cas, où allez-vous les trouver?
À lire : Bonjour Gemini, au revoir nouvelles sur la francophonie (Éditorial)
Francopresse a toujours mis les enjeux et les êtres humains de la francophonie de l’avant. Ce désir reste une priorité. Nous ne croyons pas que l’information est authentique si le texte qui présente aux lecteurs et lectrices l’expérience d’une personne était écrit par une machine.
Francopresse n’a jamais publié de texte écrit par une IA et ne prévoit pas emprunter cette voie.
Cela dit, l’équipe de Francopresse utilise à l’occasion certains outils alimentés par l’IA pour faciliter certaines tâches. La transparence étant au cœur de la confiance, Francopresse affichera dorénavant de quelle façon ces outils ont été utilisés dans la production et la révision d’un texte.
Si un outil a servi à résumer un rapport, à transcrire une entrevue menée par un ou une journaliste ou à raccourcir un paragraphe, nous le préciserons en fin de texte. Nous n’allons pas privilégier les images faites par l’IA, mais si nous devons en utiliser une, nous l’indiquerons.
Des êtres humains en chair et en os continueront d’écrire tous les textes, et les informations trouvées grâce à des outils d’IA feront toujours l’objet d’une vérification.
Cette façon de faire respecte nos valeurs de rigueur, d’exactitude et d’esprit critique. Elle constitue aussi une façon de rester branchés à notre humanité collective et à notre instinct de défense de nos droits en tant que minorité linguistique.
À lire : L’IA est-elle une menace pour la création littéraire francophone?