Le Parti libéral du Canada, qui se dirigeait tout droit vers une cuisante défaite, a fait une remontée spectaculaire dans les intentions de vote en un temps record. Ce retournement de situation s’explique par un ensemble de facteurs : un nouveau chef, un nouvel enjeu de campagne et des leadeurs d’autres partis qui sous-performent.
Un autre élément exceptionnel dans cette campagne électorale est la prodigalité manifestée par tous les partis. Le message que l’on entend depuis le premier jour de la campagne est le suivant : le Canada fait face à une crise existentielle qui ne pourra se résoudre que si on dépense. Que si on dépense beaucoup, devrait-on préciser.
Combien? C’est peut-être la question à 100 milliards de dollars…
Car on n’a aucune idée du cout de l’ensemble des promesses faites jusqu’à maintenant par chacun des partis.
Certes, certaines estimations ont été présentées. Mais c’est plus l’exception que la règle.
Par exemple, les libéraux promettent de créer un programme d’aide à l’industrie automobile qui sera doté d’une enveloppe de 2 milliards de dollars.
Les conservateurs s’engagent à mettre en place un programme de prêts pour les entreprises frappées par les tarifs douaniers américains d’une valeur de 3 milliards de dollars.
Les néodémocrates proposent d’offrir des subventions et des prêts à faibles taux d’intérêt pour encourager la rénovation énergétique résidentielle à hauteur de 1,8 milliard de dollars par année pendant 10 ans.
Sur les 41 engagements faits par les trois principaux partis qui ont été recensés par le Toronto Star à ce jour, il y en a seulement 9 pour lesquels les partis ont jugé bon de fournir eux-mêmes une estimation de couts : 5 par le Parti libéral, 2 par le Parti conservateur et 2 par le Nouveau Parti démocratique.
Pourtant, les promesses faites jusqu’à présent vont couter cher : réductions d’impôt, programmes d’aide aux entreprises, projets d’infrastructure, etc. On parle de dizaines de milliards de dollars pour chacun des partis.
Sans compter la perte de revenus qui risque de se produire si une récession se produit. Ce qui semble de plus en plus probable.
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Les chefs des trois plus grands partis font beaucoup de promesses sans préciser le cout de celles-ci.
Ce peu d’informations tranche avec les élections passées.
En 2021, chacun des trois principaux partis avait présenté une plateforme chiffrée détaillée. Le cout de toutes les promesses était présenté.
Ainsi, on savait que la valeur totale des promesses libérales s’élevait en moyenne à 16 milliards de dollars par année pour les cinq prochaines années, celle des conservateurs à 10 milliards et celles des néodémocrates à 43 milliards.
La même chose s’était produite à l’élection de 2019. Tous les partis avaient présenté une plateforme présentant l’ensemble de leurs promesses accompagnées d’un cadre financier détaillé.
À vrai dire, il semblait désormais acquis que le dévoilement de cadres financiers était devenu incontournable en campagne électorale.
Il y a de bonnes raisons pour cela. En chiffrant chacune de leurs promesses, les partis politiques peuvent ainsi convaincre les électeurs qu’ils ont un plan réfléchi et réaliste. Ils montrent aussi qu’ils ont bien fait leurs devoirs et qu’ils acceptent de se soumettre à la critique. On pourra examiner, commenter, critiquer leurs propositions.
Bref, les partis qui présentent un cadre financier font preuve à la fois de sérieux et de transparence.
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Les parlementaires ont même voulu aider les partis politiques à entreprendre cet exercice en leur offrant des ressources supplémentaires.
En 2017, la Loi sur le Parlement a été modifiée afin de permettre au directeur parlementaire du budget d’évaluer les promesses électorales. Tout parti qui le voulait pouvait lui demander d’entreprendre une évaluation indépendante du cout financier de ses promesses.
Chaque parti était libre de choisir quelles promesses il voulait soumettre à l’analyse du directeur parlementaire du budget et quelles promesses chiffrées il voulait rendre publiques.
L’élection générale de 2019 a été la première à se tenir avec ces nouvelles dispositions. Ce fut un succès. Le directeur parlementaire avait publié sur son site Web le cout de 115 promesses électorales.
En 2021, le nombre de promesses évaluées par le directeur parlementaire avait été plus faible, soit 72. Il faut dire que l’élection avait été déclenchée deux ans avant la date prévue par la loi. Les partis politiques n’ont peut-être pas pu se préparer adéquatement pour élaborer un ensemble de propositions.
Cette fois-ci, en 2025, la situation est complètement différente. Aucune estimation n’a encore été publiée par le directeur parlementaire du budget. C’est comme s’il n’existait plus.
Par ailleurs, seul le Bloc québécois a présenté une plateforme jusqu’à maintenant. Nous sommes pourtant dans la troisième semaine de campagne. Il commence à se faire tard.
En fait, il ne serait même pas surprenant que les autres partis dévoilent leur plateforme et leur cadre financier pendant la dernière semaine de campagne seulement, soit après les débats des chefs. Certains partis pourraient même décider tout simplement de ne pas présenter de cadre financier.
Est-ce un point de vue trop cynique? Peut-être pas, puisque c’est exactement ce qui s’est produit il y a quelques semaines en Ontario lors de l’élection provinciale.
Les partis ontariens ont promis des milliards de dollars supplémentaires en raison de la crise commerciale qui se dessinait avec les Américains, mais n’ont pas jugé nécessaire de fournir des données financières détaillées (à l’exception du Parti vert).
Le directeur parlementaire du budget a quand même profité de la campagne électorale pour mettre à jour les perspectives financières du gouvernement fédéral. Il estime que le déficit pourrait atteindre entre 42 et 47 milliards de dollars cette année, sans tenir compte du cout des promesses électorales.
En incluant ces dernières, nous dirigeons-nous plutôt vers un déficit de 60 milliards? 80 milliards? 100 milliards?
Ces chiffres ne sont pas si farfelus. Rappelons que le déficit avait été de 140 milliards de dollars en 2021 en raison d’une autre crise : celle de la COVID-19.
C’est peut-être celle-là, la question à 100 milliards de dollars…
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Geneviève Tellier est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias de tout le pays.
Le duo Prairie Comeau tente de partager une bride du riche patrimoine musical francophone d’Amérique du Nord avec son album L’emprunt(e) Anique Granger (Saskatchewan) et Benoît Archambault (Québec) unissent leurs deux univers pour rendre hommage à la bonne chanson.
Pochette de l’album L’emprunt(e).
Avec douceur et justesse, Prairie Comeau nous invite à nous laisser bercer au son des guitares et autres instruments acoustiques. Des arrangements très épurés donnent toute la place aux voix remplies de sobriété. On a rapidement l’impression d’être témoin d’un rendez-vous privé, d’une rencontre exceptionnelle qui révèle la richesse de la musique francophone d’Amérique du Nord.
Du superbe duo Tout passe à Je sais bien quelque chose, Anique Granger et Benoît Archambault livrent des interprétations magistrales. La chanteuse fransaskoise poursuit avec une version remplie de mélancolie de Partons la mer. Un autre moment fort est Comment veux-tu, chanson sur laquelle on retrouve la voix de Michel Lalonde du légendaire groupe Garolou.
Les amants malheureux est l’empreinte d’un autre duo magique. On poursuit avec La chère maison, une interprétation a cappella incroyable, le point culminant de l’album. Pour celles et ceux qui sont passionnés d’improvisation, Benoît Archambault offre La feuille d’érable, l’hymne national de la Ligne nationale de l’improvisation (LNI).
Prairie Comeau offre une œuvre de douze chansons tirées d’un répertoire de bonnes chansons en français. Avec beaucoup de justesse et de respect pour les extraits choisis, le duo propose un moment très intimiste.
Pour le renouveau, celle qui nous invitait chez elle en 2020 nous revient avec le bouquet de nostalgie Les Échos. Le 2e opus de l’autrice-compositrice-interprète Jeannine Guyot fait du bien à l’âme. L’artiste de Fannystelle, au Manitoba, réussit à nous transporter dans ses souvenirs les plus profonds.
Jeannine Guyot.
Elle nous interpelle sur les moments intimes, les départs et les absences. En toile de fond, les mélodies de Jeannine Guyot sont remplies de nostalgie et le piano guide les harmonies. Parfois tout en douceur, parfois plus rythmée, elle livre des textes touchants sur les étapes du vieillissement.
Entre Prélude et Réflexion, les deux pièces instrumentales, l’auditeur a droit à de petites perles. La pièce-titre Les Échos témoigne des traces de la vie de sa grand-mère. La chanson L’important nous invite à vivre le moment présent et, finalement, Les yeux de Heidi est un instant de tendresse entre Jeannine et sa mémé.
L’autrice-compositrice-interprète franco-manitobaine livre un moment de tendresse et d’amour. Avec beaucoup de nostalgie dans la voix, elle rend un brillant hommage à sa grand-mère qu’elle aimait tant.
En terminant, je reviens vers une artiste de la Baie Georgienne en Ontario. L’autrice-compositrice-interprète franco-ontarienne Joëlle Roy nous offrait en 2018 son album Paysage intérieur.
Dès la première plage, Identité épaillée, on est interpelé par des arrangements sur lesquels on se laisse bercer. Les textes font beaucoup référence aux contacts humains, aux sentiments envers les autres et à l’intégrité.
Pochette de l’album Paysage intérieur.
Il y a de beaux petits bijoux sur ce disque, dont Ça me fait chier de t’oublier, un country folk à la Harvest Moon de Neil Young. Plus jamais de détour est un petit univers Dixieland jazz des plus accrocheurs et charmants. Insatiablement est la pièce la plus rock de cet opus avec un beau changement d’humeur dans le bridge avec les enfants.
La pièce-titre Paysage intérieur et la belle reprise, J’entre – qu’elle a écrite en début de carrière – nous amènent dans un niveau d’émotion plus profond. Autant la force des mélodies, que la puissance des textes nous interpellent avec des sentiments de quiétude et de sérénité qui nous touchent au plus profond. L’album se termine en beauté sur une belle reprise du classique de CANO, Dimanche après-midi.
Paysage intérieur de Joëlle Roy est une invitation à arrêter le temps. L’autrice-compositrice-interprète nous interpelle avec des mélodies parfois zydeco, parfois country folks, mais toujours agréables.
Je terminerai en vous disant qu’elle vient de lancer sur YouTube un excellent vidéoclip pour une nouvelle chanson : Dans mes bras.
Marc Lalonde, dit Lalonde des ondes, est chroniqueur musical depuis plus de 25 ans au sein de la francophonie musicale canadienne et animateur de l’émission radiophonique Can-Rock. Il se fait un malin plaisir de partager cette richesse dans 16 stations de radio à travers le pays chaque semaine.
En mettant de l’avant un choix entre des leadeurs qu’ils présentent comme forts, les partis politiques font oublier à l’électorat canadien qu’il ne vote pas pour un premier ministre, mais bien pour une représentation locale qui participe à un parti diversifié.
L’image du chef devient alors celle du parti et efface celle des candidats et candidates de chaque circonscription.
Comme cela a d’ailleurs été la norme au fil de l’histoire canadienne, les partis présentent également l’image d’un gouvernement qui tourne autour du premier ministre. Ce dernier est celui qui décide des personnes qui l’appuieront à titre de ministres ou de cadres de son équipe rapprochée.
Un tel fonctionnement tend à limiter la possibilité d’exiger des comptes de la part du premier ministre et à renforcer un gouvernement plus hiérarchique, fondé sur l’autorité. Il devient plus aisé de se défaire de ministres qui remettraient en cause l’orientation du gouvernement.
On passe dès lors de l’idée de solidarité ministérielle liée à des décisions prises en groupe, à l’obéissance de chaque personne à un patron qui peut les ignorer ou les remplacer selon son bon plaisir.
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Nous sommes témoins des effets de la personnalisation du leadeurship depuis plusieurs années.
Elle a permis à Justin Trudeau de cultiver un grand espoir, qui l’a mené à la tête du Parti libéral, puis du pays avant de faire place à un mouvement spécifiquement anti-Trudeau qui n’a cessé de croitre et finalement à une mobilisation interne contre le chef au sein de son parti.
Le même effet initial s’est produit avec Mark Carney, quand son nom a commencé à circuler comme successeur de Justin Trudeau : le Parti libéral a rebondi dans les sondages.
Le Parti conservateur aussi a employé cette stratégie. Il a cherché à faire voir son chef autant que possible, tout en changeant son image. Il a accusé Justin Trudeau à répétition d’être la source des problèmes du Canada, et il s’en prend désormais au Parti libéral par le biais de son association avec l’ancien chef.
On voit aussi l’affrontement entre les chefs des partis libéral et conservateur tourner autour du choix de la personne qui sera la mieux placée pour négocier avec le président américain – ou de façon plus réaliste, pour lui tenir tête.
Homme fort contre homme fort, métaphores guerrières, hausse de ton, manifestations d’agressivité contre ses adversaires des deux côtés de la frontière… Chacun cherche à se faire voir.
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L’emploi du masculin ici est voulu. Mis à part le Parti vert qui est dirigé conjointement par un homme et une femme et qui demeure fortement associé à la figure d’Elizabeth May, non seulement les autres partis ont-ils choisi des hommes pour les mener, mais ils ont aussi déployé une stratégie qui s’appuie sur des traits traditionnellement masculins.
Autant de traits qui s’opposent au style que Trudeau avait adopté – plus rassembleur et collaboratif, ouvert à la diversité (fut-elle de surface) – mais aussi au parcours réel des deux chefs les plus susceptibles de remporter l’élection fédérale.
Ni Pierre Poilievre, le politicien de carrière, ni Mark Carney, l’économiste, n’ont encore pu gagner leurs lettres de noblesse à la tête d’un parti au pouvoir qui a une autorité politique et qui doit prendre des décisions. Ni l’un ni l’autre n’a manifesté l’ensemble des qualités que les deux croient être requises pour le poste de premier ministre.
L’un a choisi une approche populiste et doit faire croire à une proximité avec la population canadienne moyenne, tandis que l’autre doit se détacher de son expertise pour faire croire à sa capacité de maitriser les codes de la politique. Chacun semble chercher les avantages de l’autre à travers cette figure de l’homme fort.
On sent ici un refroidissement de la politique, un resserrement des rangs, un serrement des poings. Finie la représentation substantielle des groupes qui sont marginalisés en politique et dans la société : la diversité, l’inclusion, les personnes en situation de handicap, les femmes et l’égalité des genres n’ont plus de ministre dédié uniquement à ces dossiers.
Autant de questions qui ne sont pas à l’avant-plan dans la campagne électorale, du moins jusqu’à présent… et dont l’absence risque de se faire sentir après les élections.
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Or, c’est justement cette tentative de s’ouvrir à la diversité et de maintenir des services publics d’envergure qui distingue le Canada des États-Unis dans bien des esprits.
Tandis qu’il serait possible de rassembler l’électorat canadien autour de ces valeurs, tant le Parti libéral que le Parti conservateur préfèrent contribuer au patriotisme et à l’antiaméricanisme des boycottages de bonne conscience. De ce fait, l’image de pugilat persiste et il devient très difficile d’entendre ce que les autres partis ont à suggérer.
Surtout, il existe un risque que les moyens mis en œuvre pour obtenir la victoire électorale ne deviennent la norme après celle-ci. Nous continuons de faire face à la montée de l’autoritarisme et du fascisme.
Il est encore temps de le combattre pour ceux et celles qui sont membres des partis, pour les journalistes qui décident des thèmes de leur couverture et qui ont la chance de poser des questions aux chefs… et pour chaque personne qui déposera son bulletin de vote dans l’urne le 28 avril prochain.
Jérôme Melançon est professeur titulaire en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent généralement sur les questions liées à la coexistence, et notamment sur les pensionnats pour enfants autochtones, le colonialisme au Canada et la réconciliation, ainsi que sur l’action et la participation politiques. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie (MétisPresses, 2018).
Selon le recensement de 2021, il y avait 6 275 journalistes au Canada en 2020. En comparaison, le pays comptait 83 420 professionnels et professionnelles en publicité, en markéting et en relations publiques. Soit un ratio de 13 spécialistes en communication pour 1 journaliste.
Il est normal qu’il y ait plus de gens qui travaillent en communication qu’en journalisme. La catégorie inclut une bien plus grande variété d’emplois et représente un plus grand éventail d’entreprises et d’agences.
Cependant, pendant que les médias d’information perdent des joueurs, les relations publiques grossissent à vue d’œil. Depuis le recensement de 2016, le nombre de journalistes a diminué de quelques centaines, alors que les effectifs en publicité, en markéting et en relations publiques ont bondi de près de 30 000 personnes.
Selon une étude de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), le ratio était de 2 pour 1 en 1990 au Québec.
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Le déséquilibre s’accentue très rapidement, non seulement dans le nombre d’employés, mais aussi dans la nature du travail.
Comme le rappellent les chercheurs de l’IRIS : «Alors que les [journalistes] cherchent à rapporter les faits de la manière la plus objective et la plus équilibrée possible, les [relationnistes] diffusent de l’information formatée par des intérêts politiques ou économiques.»
Une équipe en communication peut avoir besoin de quelques heures pour développer un message.
Les journalistes, qu’ils soient seuls ou en équipe, auront besoin de bien plus de temps – et parfois plus d’un article – pour déterminer si le message est valide, s’il n’omet pas une partie de la réalité.
Ce déséquilibre a un nom : la loi de Brandolini, ou asymétrie du baratin. Celle-ci s’applique surtout aux fausses nouvelles, mais le principe fonctionne pour les demi-vérités : beaucoup plus de temps et d’énergie sont nécessaires pour corriger une mauvaise information que pour la produire.
Si 83 000 agents de communication produisent chacun une minute d’informations biaisées, combien de temps auront besoin 6 000 journalistes pour présenter tous les faits? Après cet exercice, qui a le plus de contrôle sur l’information?
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Il faut garder ce concept en tête quand on parcourt les réseaux sociaux. Surtout en campagne électorale. Derrière chaque parti politique, derrière chaque message, il y a une équipe de communication qui a pour mandat de vendre des idées et des slogans.
Pour cette raison, le travail journalistique pendant cette période est doublement important. Les annonces vont extrêmement vite, elles fusent de tous les côtés et elles sont présentées dans leur plus bel emballage.
Les journalistes les déballent, les démontent et décrivent la partie du message qui ne cadre pas entièrement avec la réalité, ou le morceau de casse-tête qui manque.
Pour un électeur, suivre une campagne électorale uniquement à partir des médias sociaux d’un parti politique ou de leurs communications officielles ouvre une porte vers un univers parallèle.
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Malheureusement, au Canada, il faut faire un plus grand effort pour garder les deux pieds dans la réalité et accéder à du contenu non biaisé, puisque les médias sont absents de Facebook et Instagram. Sans oublier Twitter qui fait un X sur la vérité.
Pour l’élection fédérale de 2025, les journalistes ne sont pas admis à bord de l’avion de campagne du Parti conservateur du Canada. Les conférences de presse et les évènements seront accessibles aux journalistes, mais les médias nationaux auront plus de difficulté à être sur le terrain pour poser des questions.
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Les médias régionaux – incluant les journaux francophones en milieu minoritaire – joueront donc un rôle de premier plan dans la couverture électorale et dans le «déballage» des promesses. Ils seront mieux placés pour comparer les messages bien écrits de tous les partis politiques aux réalités sur le terrain.
Gardez donc un œil sur leurs pages.
Pierre Poilievre avait été élu à la tête du Parti conservateur du Canada avec l’appui de 68 % des membres. Justin Trudeau, lui, avait obtenu 80 % des votes de son parti. Dans les deux cas, il s’agissait de résultats plus qu’honorables.
Dès le début de la course à la chefferie libérale, plusieurs signes montraient que Mark Carney était le favori. Certains sondages auprès des membres du Parti libéral laissaient entendre qu’il était en avance sur ses adversaires. Cependant, la marge d’erreur de ces sondages est généralement élevée, il faut donc les analyser avec prudence.
D’autres sondages menés, eux, auprès de l’ensemble de la population, montraient une augmentation des appuis au Parti libéral si Mark Carney était à sa tête. De quoi faire très certainement réfléchir plus d’un militant libéral.
Puis il y a eu les contributions financières. Chaque candidat et candidate devait verser 350 000 $ au Parti pour s’inscrire dans la course.
Après un mois de campagne, Mark Carney avait déjà récolté 1,9 million de dollars auprès de plus de 11 000 donateurs et donatrices. Il devançait ainsi largement ses adversaires. Karina Gould, Chrystia Freeland et Frank Baylis. Les trois avaient récolté moins de 700 000 $ auprès d’environ 1900 personnes à la même date.
Il y a donc eu un effet Carney dès les débuts de la campagne.
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Il existe au moins deux raisons qui peuvent expliquer le succès obtenu par Mark Carney. La première est qu’il n’a pas fait partie du gouvernement Trudeau.
Si le premier ministre Justin Trudeau a été forcé de démissionner, c’est en raison de son impopularité grandissante, tant dans la population qu’au sein des troupes libérales.
Mark Carney est synonyme de nouveauté, de changement. C’est ce que la base libérale, et aussi une partie de l’électorat canadien, recherche.
La seconde raison est bien entendu le retour de Donald Trump à la présidence américaine. Un retour accompagné par des relations commerciales sous très haute tension entre le Canada et les États-Unis.
Mark Carney est vite devenu la personne que l’on considère comme ayant le meilleur savoir-faire pour gérer cette crise que plusieurs jugent existentielle pour le Canada.
En fait, les menaces constantes de guerre commerciale canado-américaine ont provoqué une situation exceptionnelle. Rarement a-t-on vu un élan de patriotisme aussi fort dans toutes les régions du pays. On sent que pour beaucoup de personnes dans la population canadienne, il y a urgence d’agir. Il faut se montrer ferme face aux États-Unis.
Mark Carney profite ainsi de circonstances inédites. Il arrive en politique avec une expertise et des réalisations passées qui semblent rassurer la population canadienne au moment où une crise sans précédent survient.
Il n’est pas certain qu’il aurait eu de tels appuis sans la présence de Donald Trump et de ses menaces de tarifs douaniers.
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Est-ce que les circonstances exceptionnelles actuelles lui permettront de remporter la prochaine élection fédérale? Plusieurs estiment que la partie ne sera pas facile à gagner. Mark Carney n’a aucune expérience politique.
Pour être plus précis, il a l’habitude de travailler avec des figures politiques, une expérience qu’il a notamment acquise lorsqu’il a dirigé la Banque du Canada puis la Banque d’Angleterre, mais pas celle d’agir comme un politicien. La différence est importante.
Mark Carney n’est pas non plus très charismatique. On l’a bien vu dimanche lors de son élection à Ottawa. Prenant la parole après Justin Trudeau et Jean Chrétien, il a été facile de constater qu’il n’a pas la même aisance, le même charme, ni même une petite pointe d’arrogance qu’on aime bien voir chez nos politiciens.
Même s’il possède un certain sens de l’humour, Mark Carney se présente avant tout comme une personne posée, réfléchie, qui tente d’expliquer les choses plutôt que de convaincre les gens de la justesse de ses arguments.
Il n’a pas eu le temps non plus d’élaborer une véritable plateforme électorale. Il a certainement des idées. On sait qu’il veut mieux gérer les finances publiques, aider l’économie canadienne, maintenir les programmes sociaux et, surtout, diminuer notre dépendance à l’égard des États-Unis. Toutefois, les propositions concrètes pour y arriver manquent encore.
Mark Carney pourra cependant compter sur l’aide d’un parti politique qui a de l’expérience et des ressources.
Par contre, il lui reste beaucoup de travail à accomplir avant de se lancer en campagne électorale : s’assurer d’avoir des candidats et des candidates dans toutes les circonscriptions, mettre en place une équipe de terrain, recruter des bénévoles, poursuivre les activités de financement, etc. Le temps pourrait bien manquer.
Pour toutes ces raisons, plusieurs pourraient croire qu’il sera très difficile pour le nouveau chef libéral de remporter la prochaine élection fédérale.
Toutefois, sans vouloir minimiser l’importance des facteurs énumérés ci-dessus, il faut aussi prendre en considération un autre élément. Au risque de se répéter, nous vivons une période exceptionnelle. La population pourrait donc vouloir obtenir des réponses elles aussi exceptionnelles.
Est-il nécessaire d’avoir un premier ministre charismatique, issu de la classe politique, qui a un plan détaillé et des ressources?
La réponse pourrait bien être non.
C’est une des leçons qu’il faudrait sans doute tirer de l’écrasante victoire de Mark Carney. L’incertitude actuelle provoquée par Donald Trump a mené les membres du Parti libéral à s’unir derrière un seul homme et à lui donner un très large appui.
Il se pourrait bien que cette volonté d’unité existe aussi pour l’ensemble de la population canadienne. Pour le moment, seul Mark Carney semble avoir la réponse pour rassurer l’électorat et pour l’unifier.
C’est à cet aspect que devraient réfléchir les autres chefs de parti en vue de la prochaine élection… qui viendra certainement plus tôt que tard.
À lire : Course libérale : un débat en français qui parle peu du français
Geneviève Tellier est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias de tout le pays.
Pendant 160 ans, le gouvernement canadien et plusieurs églises chrétiennes ont mené un projet d’assimilation culturelle et linguistique à l’endroit des peuples autochtones. Ils ont forcé environ 150 000 enfants à vivre, étudier et travailler en anglais ou en français.
Des conditions similaires existaient dans les externats (ou écoles de jour), où régnaient les mêmes enseignements racistes et dégradants et les mêmes interdictions de parler les langues autochtones.
Hors du Québec, là où des francophones géraient les écoles ou enseignaient aux enfants en anglais, les adultes pouvaient parler français et continuer de vivre en français. Une énorme masse de documents atteste que les catholiques francophones travaillaient la plupart du temps en français.
Les enfants les entendaient donc se parler en français et pouvaient apprendre quelques mots de la langue… surtout ceux qui les dénigraient (on m’a ainsi souvent parlé de l’impact négatif du mot «sauvage»).
Au-delà des pensionnats, les autorités politiques, religieuses et sociales ont également mené une attaque en règle contre les langues et les cultures autochtones.
Les économies autochtones ont été décimées, notamment par l’occupation et l’exploitation des terres par les Européens, par la mise en place du système de laissez-passer et par la pratique systématique de destruction des efforts de développement économique au niveau communautaire. Sans oublier les épidémies.
Pour avoir la possibilité de participer à la société dominante, là où il n’y avait pas de pensionnats ou d’externats, les enfants autochtones devaient aller à l’école hors des réserves. Il leur était donc impossible de recevoir une éducation dans leur langue qui serait reconnue par la société dominante. Cette possibilité est en fait très récente.
À lire : Comment mieux informer les nouveaux arrivants sur les communautés autochtones?
Ceci dit, le terme «assimilation» ne suffit pas pour parler de ces politiques d’éducation. Il serait trop facile de mettre côte à côte les politiques à l’endroit des peuples autochtones et celles à l’endroit des communautés issues de l’immigration européenne – canadienne-française, françaises, belges, certes, mais également d’Europe centrale et de l’Est, visées par la même politique d’éducation en anglais.
Il est question ici de génocide. La Commission de vérité et réconciliation du Canada a parlé de «génocide culturel» pour nommer la logique des pensionnats et leurs conséquences sur les peuples autochtones.
Toutefois, nous devons voir les pensionnats comme une seule institution aux côtés des autres : les externats, les écoles mixtes, le système de laissez-passer, la Loi sur les Indiens, l’interdiction des pratiques spirituelles et culturelles, la destruction des économies, l’emprisonnement et la criminalisation, les déplacements forcés…
Dans les pensionnats autochtones anglophones, pendant que les jeunes ne pouvaient pas utiliser leur langue, les francophones qui leur enseignaient pouvaient parler français.
L’assimilation linguistique est ainsi l’une des composantes du génocide des peuples autochtones qui continue aujourd’hui, bien au-delà de la culture. Les langues autochtones ne sont pas «en danger», elles ne «disparaissent» pas : elles ont été longtemps attaquées directement, suivant l’objectif de les faire disparaitre avec les peuples autochtones.
Aujourd’hui, le manque d’un appui sérieux à leur développement limite les moyens pour contrer leur destruction et solidifier leur transmission.
Un déséquilibre important existe entre l’appui au français en situation minoritaire, et l’appui aux langues autochtones. Si les sommes d’argent peuvent paraitre comparables, il faut se rappeler que le soutien à l’éducation en français s’ajoute aux budgets provinciaux, tandis que le gouvernement fédéral finance entièrement les écoles dans les réserves.
Plus grave encore, ces écoles sont sous-financées et plusieurs ont besoin de rénovations importantes, et les gouvernements dépensent moins pour les enfants autochtones que pour les enfants qui vivent hors des réserves.
À lire : Langues autochtones : C-13 a «manqué le bateau»
Nous avons certes appris à reconnaitre «la présence et l’apport millénaire des peuples autochtones sur le continent nord-américain». Après tout, les langues autochtones font partie du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, mais surtout des peuples autochtones eux-mêmes. Par la manière dont elles nomment, décrivent et présentent l’environnement non humain, elles permettent de sortir des relations coloniales avec les territoires occupés par le Canada.
Toutefois, entre une reconnaissance, un rappel symbolique et un appui, voire une véritable solidarité, assez de pas ont été faits : il est plutôt temps de se mettre en marche et de commencer le travail.
Un véritable soutien aux langues autochtones commence évidemment par la création de relations, de liens plus serrés et de solidarités entre les groupes minorisés au niveau linguistique.
Ce soutien doit servir les objectifs déjà décidés et partagés par les peuples autochtones, et avoir lieu dans le respect de leur souveraineté en tant que peuples.
Après tout, de nombreuses initiatives existent déjà : rassemblements de gardiens et gardiennes des langues, forums en milieu urbain, sommets internationaux, écoles d’immersion et maints projets de revitalisation au niveau des communautés, dont les programmes de mentorat ainsi que la Décennie internationale des langues autochtones.
Ainsi, la création de politiques linguistiques communautaires qui incluent explicitement une solidarité avec les peuples autochtones du territoire de chaque communauté francophone permettrait de contribuer à la défense des droits des peuples autochtones, qui incluent les droits linguistiques. Aussi d’envisager ce que pourraient signifier des réparations de la part des francophones.
Bref, nous devons repenser les langues officielles. Celles-ci ont été, et demeurent, des langues de colonisation. Les penser en isolement des langues autochtones, c’est continuer les aspects linguistiques du colonialisme.
À lire : La francophonie veut aider les peuples autochtones à faire reconnaitre leurs langues (Le Nunavoix)
Jérôme Melançon est professeur titulaire en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent généralement sur les questions liées à la coexistence, et notamment sur les pensionnats pour enfants autochtones, le colonialisme au Canada et la réconciliation, ainsi que sur l’action et la participation politiques. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie (MétisPresses, 2018).