Revenons en 1982, alors que le libéral Pierre Elliott Trudeau est premier ministre du Canada. Il décide cette année-là de mettre sur pied une commission royale d’enquête dont le mandat est de se pencher sur les défis économiques qui attendent le Canada à l’aube du XXIe siècle.
Nait ainsi la Commission royale d’enquête sur l’union économique et les perspectives de développement du Canada.
Aussi connue sous le nom de Commission Macdonald, du nom de son président Donald S. Macdonald, celle-ci remet son rapport en 1985 au nouveau gouvernement conservateur de Brian Mulroney. Ce dernier en accepte les recommandations, dont la plus controversée : négocier un accord de libre-échange avec les États-Unis. Un tel accord assurera la prospérité du Canada, dit le rapport.
La négociation est cependant difficile. Les États-Unis sont en position de force. Leur économie produit dix fois plus de biens et de services que la nôtre.
Ils sont aussi moins dépendants du commerce extérieur que le Canada. Notre marché domestique est trop petit pour absorber tous les biens et services que nous produisons. Les États-Unis peuvent se passer d’un partenaire économique plus facilement que nous. L’abolition des tarifs douaniers ferait nécessairement des gagnants et des perdants.
Plus les négociations avancent, plus l’absence de consensus clair sur la question au Canada devient évidente.
Cet accord pourra-t-il véritablement accroitre la richesse de notre pays, comme le soutient la commission? Qui en profitera? Qui en subira les conséquences négatives? À combien se chiffreront les pertes d’emploi? Les fermetures d’entreprises? Le gouvernement fournira-t-il une aide? Ces questions, et bien d’autres, sont soulevées.
Le sujet est à ce point contentieux que Brian Mulroney décide de déclencher des élections générales en 1988 sur ce thème. Voter conservateur, c’est voter pour le libre-échange.
Les conservateurs sont réélus et un accord de libre-échange avec les États-Unis est mis en œuvre dès 1989. Le Mexique se joindra à cet accord en 1994, ce qui créera l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA).
Le traité sera renégocié à la demande des États-Unis en 2018, sans grandes modifications, pour devenir l’Accord Canada-État-Unis-Mexique (ACEUM).
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L’ALÉNA a mené à de profondes transformations économiques. Certaines industries ont presque complètement disparu du paysage canadien, comme l’industrie du textile. D’autres ont dû revoir de fond en comble leurs modèles d’affaires, comme le secteur de l’automobile.
Sommes-nous aujourd’hui plus prospères grâce à l’ALÉNA? Il est difficile de répondre à cette question, car on ne peut pas savoir ce qui se serait passé si cet accord n’avait pas été conclu.
Par contre, le Canada n’est pas moins prospère aujourd’hui qu’il ne l’était avant la mise en œuvre de cet accord. Nous nous sommes très certainement enrichis collectivement.
Cependant, est-ce que cet enrichissement a profité à tous les Canadiens et Canadiennes? Comme ailleurs sur la planète, on constate que les inégalités se creusent. Est-ce que ces inégalités sont le résultat du mouvement de libéralisation du commerce mondial que nous observons depuis environ 30 ans?
Ce n’est pas impossible, car les accords de libre-échange mettent l’accent sur la réduction du cout des produits achetés par les consommateurs et non sur la création d’emplois bien rémunérés. Ce pourrait bien être l’une des explications de la montée des inégalités.
Plusieurs personnes ont perdu de bons emplois. Par exemple, le nombre de personnes salariées travaillant dans la fabrication de véhicules et de pièces automobiles a chuté de 25 % entre 2001 et 2024 au Canada, selon les données compilées par Statistique Canada.
Oui, la rémunération dans ce secteur manufacturier a augmenté plus rapidement que l’inflation, mais cette hausse profite à moins de gens.
Il ne faut donc pas se surprendre si certaines personnes ne voient pas la mondialisation d’un bon œil.
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On constate que le débat actuel provoqué par la politique commerciale du nouveau président américain Trump ressemble beaucoup à celui qui avait cours dans les années 1980 : faut-il renforcer ou non nos échanges avec les États-Unis?
Tout comme l’élection fédérale canadienne de 1988, celle de 2025 portera sans aucun doute sur un seul sujet, soit l’avenir de notre politique commerciale internationale.
Déjà, on entend plusieurs politiciens et politiciennes proposer différentes initiatives : diversifier nos marchés, relancer d’anciens projets de gazoducs, augmenter nos dépenses d’infrastructures, notamment dans le secteur de la défense, renforcer le commerce interprovincial, changer le processus d’appel d’offres pour les contrats publics, etc.
Il y a actuellement un sentiment d’urgence justifié. Il faut dire que la menace est réelle et immédiate.
Par contre, faut-il décider dans la hâte? La question est légitime, car si on veut vraiment réduire notre dépendance au marché américain, nous devrons prendre d’importantes décisions qui auront des conséquences pour les décennies à venir.
En 1982, le gouvernement avait jugé opportun de constituer une commission royale d’enquête. Pourquoi ne pas refaire le même exercice 40 ans plus tard? D’autant plus que le monde dans lequel nous vivons a bien changé.
Dans les années 1980, l’Internet n’existait pas et la question des changements climatiques commençait à peine à être abordée. On s’inquiétait alors des pluies acides et de la couche d’ozone, et non du réchauffement du climat.
Une Commission royale d’enquête sur l’avenir économique du Canada permettrait donc à l’ensemble du pays de réfléchir à ces questions et de discuter de pistes de solution.
Elle permettrait aussi d’analyser les effets de l’ALÉNA, ce que nous avons oublié de faire. A-t-on obtenu ce que nous espérions? Le libre-échange profite-t-il à tous? Est-il encore pertinent dans un contexte de crise climatique? De tensions militaires? Et ainsi de suite.
Il reste à voir quel premier ministre serait tenté de lancer un tel exercice de réflexion. Car ce ne sera pas de tout repos. Encore une fois, il y aura des gagnants et des perdants. Sommes-nous prêts à mener un tel exercice?
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Geneviève Tellier est professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias de tout le pays.
Parmi les immigrants francophones en situation minoritaire qui avaient besoin d’aide à l’intégration, 24 % l’ont obtenue en anglais seulement, selon l’Enquête sur la population de langue officielle en situation minoritaire de 2022 de Statistique Canada.
Nicole Arseneau-Sluyter remarque une disparité régionale dans la disponibilité de services en français, incluant les services en immigration.
Quand la personne à la tête d’une famille immigrante francophone est accueillie seulement en anglais, «c’est une famille qu’on vient de perdre, c’est aussi simple que ça», laisse tomber la présidente de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), Nicole Arseneau-Sluyter.
Selon elle, quand un immigrant francophone est uniquement servi par un fournisseur anglophone, ses chances de s’intégrer à la communauté francophone de sa région s’affaiblissent.
«Si la famille ou la personne immigrante est bien informée au départ qu’il existe des services [en français]», elle va en bénéficier avant et après son arrivée, appuie le directeur général adjoint de la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse (FANE), Emmanuel Nahimana.
Pour des raisons méthodologiques, Statistique Canada n’est pas en mesure d’analyser les raisons derrière ce défaut de service pour un immigrant sur quatre. Mais des organismes francophones d’un peu partout au pays ont leurs hypothèses.
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Services en français inégaux
En Nouvelle-Écosse, explique Emmanuel Nahimana, les nouveaux arrivants francophones n’ont pas accès aux mêmes services de garde que les anglophones, par exemple. Ces services permettent aux parents de faire garder leurs enfants pendant qu’ils bénéficient de services d’établissement, tels que des formations linguistiques.
«Même dans une province officiellement bilingue comme le Nouveau-Brunswick, il y a des défis», se désole Nicole Arseneau-Sluyter. Celle-ci explique que l’offre dépend beaucoup des régions.
«Je n’ai jamais entendu qu’on va à Caraquet et qu’on ne reçoit pas nos services en français. […] Chez nous à Saint-Jean, oui», précise-t-elle. Non seulement les services sont insuffisants, mais la majorité anglophone est tellement forte que «lorsque les immigrants francophones ou allophones arrivent, on les dirige vers l’anglais», témoigne la responsable.
Parce qu’il faut comprendre que si tu veux travailler à Saint-Jean, tu parles l’anglais. Sauf si tu travailles en service de garde ou dans une école francophone.
«Les services en français font la promotion de la francophonie, par exemple, en disant que d’inscrire son enfant à l’école francophone ne l’empêchera pas d’apprendre l’anglais», explique Emmanuel Nahimana.
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En Ontario, à North Bay, à Temiskaming Shores et à Sault-Ste-Marie, par exemple, «il y a seulement des services d’établissement anglophones», recense le coordonnateur du Réseau de soutien à l’immigration francophone du Nord de l’Ontario, Thomas Mercier. «Autre exemple : en Ontario, les services en français pour réfugiés se trouvent uniquement à Cornwall.»
La grandeur du territoire n’aide pas, ajoute-t-il. «On a un service d’établissement à Thunder Bay qui couvre le district de Kenora, Thunder Bay et de Rainy River», soit presque tout le nord-ouest de la province.
Selon Laurent Monty Etoughé, l’accès aux services en français au Nunavut est en général difficile, surtout quand on sort d’Iqaluit.
Pistes de solutions
Au Nunavut, l’accès aux services en français est généralement difficile, surtout quand on sort de la capitale, Iqaluit, constate Laurent Monty Etoughé, gestionnaire des politiques publiques, des relations intergouvernementales et du développement à l’Association des francophones du Nunavut (AFN).
C’est pour cette raison que l’AFN réfléchit à la création de guichets uniques de services en français. «L’idée, c’est de se dire qu’on a un endroit précis. Si par exemple, vous arrivez nouvellement au Nunavut, vous pouvez vous adresser à ce guichet-là pour savoir quelles sont les démarches que vous devez entreprendre.»
La directrice du développement économique de l’Association franco-yukonnaise, Édith Bélanger, avance une autre solution : «De nos jours, même dans une communauté qui n’a pas l’organisme qui offre les services, on est [parfois] capable d’offrir les services d’établissement en ligne.»
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Édith Bélanger est déçue d’apprendre qu’autant d’immigrants francophones reçoivent des services en anglais seulement : «On travaille fort à faire connaitre nos services à travers le Canada.»
De l’information, mais pas pour tous
Les futurs résidents permanents reçoivent trois lettres de la part du ministère Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), dans lesquelles sont mentionnés l’éligibilité aux services pré-départ, dont le programme Connexions Francophones. «Les liens sont inclus pour les amener vers la page d’inscription», écrit un porte-parole d’IRCC, Rémi Larivière.
Connexions Francophones redirige ensuite les futurs immigrants vers les services d’établissement francophones.
«En 2023-2024, l’utilisation des services d’établissement et de réinstallation francophones a continué d’augmenter, 64 % des nouveaux arrivants francophones [ont eu] accès à au moins un service offert par un fournisseur de services francophone, comparativement à 51 % en 2019-2020», lit-on dans un rapport d’IRCC.
Mais d’autres, tels que les réfugiés, ne sont jamais informés de cette façon. Ça peut aussi être le cas des nouveaux arrivants qui sont d’abord passés par le Québec, indique Thomas Mercier.
«Le Yukon, pour plusieurs, est une deuxième ou troisième destination», explique Édith Bélanger. Elle voit plusieurs immigrants transiter par d’autres provinces, dont le Québec, avant d’atterrir au Yukon. Le cas échéant, aucun message de promotion des services en français n’est envoyé.
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La statistique de 24 % ne surprend «pas du tout» Ronald Labrecque. «Même que je suis surpris que ce ne soit pas plus haut que ça.»
Une obligation bafouée par des fournisseurs anglophones
En Saskatchewan, l’accueil des réfugiés et les services de réinstallation sont offerts uniquement dans des points de chute anglophones à Regina, à Saskatoon, à Prince Albert et à Moose Jaw.
«Ils peuvent les référer à nous, dit le directeur général de l’Assemblée communautaire fransaskoise (ACF), Ronald Labrecque. Mais s’ils ne le font pas, on ne les reçoit jamais.» Du côté des résidents permanents, poursuit-il, «s’ils n’ont pas eu un contact à travers nos services de pré-départ, très peu se font référer à nous».
Les fournisseurs anglophones de services d’établissement et d’aide à la réinstallation sont pourtant obligés de diriger les nouveaux arrivants francophones vers les fournisseurs francophones, et vice-versa. C’est inscrit dans les ententes signées avec IRCC, confirme par courriel le porte-parole Rémi Larivière.
Les fournisseurs anglophones de services d’établissement et d’aide à la réinstallation doivent :
«Ayant parlé à plusieurs personnes qui sont arrivées comme résidents permanents qui étaient francophones, mais qui pouvaient aussi se débrouiller en anglais, c’est ça qu’ils disent : “Personne ne m’a demandé si je voulais un service en français, ils ont vu que j’étais capable de communiquer en anglais, alors ils ont fait tout en anglais”» rapporte Ronald Labrecque.
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«On est en train de se battre pour avoir des services d’établissement dans l’ensemble des régions», raconte Thomas Mercier.
«Si j’avais su»
Que ce soit pour parler d’écoles, de services en santé, de spectacles ou d’occasions d’emploi en français; les fournisseurs francophones restent mieux placés, selon Thomas Mercier. «Une agence anglophone ne connait pas nécessairement la minorité francophone.»
«Le mandat des anglophones, ce n’est pas de promouvoir le français, c’est d’informer. Il y a une différence», confirme Emmanuel Nahimana. Ce qu’il entend le plus de celles et ceux qui ne sont pas passés par des services francophones, c’est : «Si j’avais su.»
C’est aussi ce qu’entend «très régulièrement» Ronald Labrecque, qui a souvent écouté des immigrants se plaindre d’avoir appris qu’ils pouvaient envoyer leurs enfants à l’école en français des mois après leur arrivée.
L’ACF a même déjà entendu des immigrants anglophones parler de poursuivre en justice le gouvernement tellement ils étaient «découragés» et «outrés», confie-t-il, car ils estimaient que le gouvernement les menait droit vers l’échec en les informant mal sur les possibilités d’être bilingues.
Ceux qui ont des enfants comprennent trop tard que de ne pas parler français enlève des possibilités à leurs enfants, comme de travailler au gouvernement ou d’aller en politique.
À la connaissance de M. Labrecque, ces intentions de poursuites ne se sont jamais concrétisées.
«En observant ces glaciers et la rapidité avec laquelle ils fondent, on doit adapter certains de nos sites de surveillance à long terme, ainsi que notre façon de travailler pour continuer à collecter des informations», constate le chercheur en sciences physiques à Ressources naturelles Canada, Mark Ednie.
Mark Ednie remarque une fonte accélérée des glaciers canadiens. Selon ses recherches, l’année 2023 a été particulièrement catastrophique.
Celui qui étudie les glaciers de l’Ouest canadien depuis des années songe désormais à abandonner des sites de recherche, en raison de la fonte accélérée des glaces.
«Je prévois que dans les quelques prochaines années, on ne sera plus capable de monter sur Peyto, craint-il en faisant référence au glacier albertain. Ça va devenir de l’escalade, parce qu’une grande paroi rocheuse commence à s’exposer.»
Si des sites de recherche ont déjà été abandonnés pour des raisons de budget ou de personnel, c’est la première fois que le chercheur dit devoir le faire parce que c’est devenu trop dangereux.
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L’équipe de Mark Ednie a perdu sa route traditionnelle sur le glacier Peyto. «On l’utilisait depuis 2011, précise-t-il. Ça nous prend désormais environ une heure de plus pour s’y rendre. On doit traverser un cours d’eau qui nous monte aux cuisses et monter des sections de glace assez raides.»
Manuel Bringué et son collègue Steve Grasby font de l’échantillonnage de strates sédimentaires.
Le glaciologue envisage aussi de faire une croix sur le glacier Helm, en Colombie-Britannique, que le gouvernement canadien surveille depuis les années 1960. La raison : la fonte a laissé paraitre un nunatak [une montagne s’élevant au-dessus de la glace, NDRL] en plein milieu du glacier vers 2020. En 2024, il le tranchait quasiment en deux.
«Quand tu coupes un glacier en deux, ou que tu en enlèves un morceau, ça devient de la glace morte, explique Mark Ednie. Ça ne bouge plus, ça devient moins représentatif des glaciers.»
Shawn Marshall, professeur de glaciologie à l’Université de Calgary et conseiller scientifique au ministère fédéral de l’Environnement, étudie les glaciers depuis plus de 25 ans. Il confirme que, sur certains sites, il était plus facile d’effectuer son travail auparavant.
«Il y a des parties du glacier Haig sur lesquelles on ne voyage plus, rapporte-t-il. Je me suis [aussi] beaucoup déplacé sur les glaciers French et Robertson [en Alberta]. Quand j’ai commencé, ils étaient connectés. Mais ils se sont amincis au point où il faut maintenant traverser un col rocheux. Avant, c’était de la glace, tu pouvais skier directement dessus.»
«Le brouillard est vraiment le côté le plus couteux. Et en termes de sécurité sur le terrain, il y a des implications», explique Manuel Bringué.
La neige facilite les périples des glaciologues. Mais il y en a de moins en moins, ce qui laisse voir de la roche, ou pire encore, des crevasses, comme c’est le cas entre les glaciers Haig, French et Robertson.
«Je ne sais pas si les crevasses sont nouvelles ou si elles sont simplement exposées sans la neige, mais il y en a une multitude, remarque Shawn Marshall. Je n’enverrai pas d’étudiants là-bas maintenant. C’est complètement différent du début des années 2000.»
«Au haut de ce système de glaciers, il y a une belle pente sur laquelle on avait l’habitude d’installer notre camp pour travailler, poursuit-il. Le soir, on faisait du toboggan pour s’amuser. Mais aujourd’hui, cette pente a perdu sa neige et s’est ouverte.»
«Sans le savoir, on faisait probablement du toboggan par-dessus les crevasses. Tu pourrais faire tomber un autobus dedans tellement elles sont larges et terrifiantes», ajoute-t-il.
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Manuel Bringué, géologue à la Commission géologique du Canada, travaille souvent dans le Grand Nord et en mer. L’accès à ces endroits a toujours été difficile, mais il l’est encore plus à cause des changements climatiques.
Manuel Bringué, vêtu d’un manteau rouge, discute avec un collègue aux côtés d’un chargement de carburant.
Selon lui, le brouillard est la conséquence la plus importante. «Puisque les glaces fondent, les étendues d’eau sont disponibles plus tôt dans la saison et durent plus tard aussi. Ça génère beaucoup plus de brouillard. C’est problématique pour se déplacer en hélicoptère. S’il y a du brouillard, on ne peut pas voler, on est cloué au sol.»
Outre l’aspect financier, Manuel Bringué évoque un enjeu de sécurité. Car si le brouillard se manifeste une fois que l’équipe est rendue sur le terrain, le retour à la maison devient incertain. «De petites équipes pourraient [potentiellement] se retrouver isolées avec un peu de nourriture et un kit de survie.»
Dans le Grand Nord, le géologue se déplace beaucoup en hélicoptère. Le carburant est acheminé aux endroits nécessaires des mois d’avance, sur des barges par voie maritime. «Là, on est dans un cycle de sècheresse, et le niveau des eaux sur le fleuve Mackenzie est vraiment trop bas. Ça paralyse le trafic des barges sur le fleuve», explique-t-il.
Le carburant est alors envoyé par voie terrestre ou aérienne, ce qui fait «exploser les couts».
La fonte accélérée du pergélisol (sol gelé) est un autre enjeu pour son équipe. «Il faut s’adapter, ne pas s’aventurer là où on ne connait pas, bien lire le terrain et s’assurer que le sol est stable», détaille-t-il.
Parmi les autres effets des changements climatiques qui rendent son travail difficile, Manuel Bringué recense les feux de forêt qui peuvent libérer des toxines, l’augmentation du nombre d’orages, de tonnerres, d’éclairs et… de moustiques.
Il ne pense pas pour autant, dans son cas, abandonner des sites de recherche de sitôt.
Pour mesurer la masse volumique des glaciers, Mark Ednie a souvent recours à la méthode glaciologique. Elle consiste à enfoncer verticalement des piquets de six mètres dans la glace et ensuite à mesurer la fonte contre ces piquets.
Un collègue du chercheur Mark Ednie insère un piquet d’aluminium dans la glace pour mesurer le bilan massique d’un glacier.
«Lors de l’été 2023 [au glacier Peyto], il y a eu tellement de fonte que nos piquets de six mètres sont sortis de la glace, insiste-t-il. On a perdu plusieurs de ces piquets. Et quand on commence à perdre plusieurs piquets, il devient difficile de produire des données fiables et robustes.»
«2024 est la première année où l’on perd autant de piquets sur Peyto, à cause de la fonte rapide et extrême», ajoute-t-il. Son équipe a dû faire preuve de créativité et combiner des méthodes déjà existantes pour continuer à observer le glacier.
«On a des données ininterrompues sur Peyto depuis 1965 ou 1966, dit Mark Ednie. Alors on a fait de notre mieux pour obtenir une bonne estimation de la fonte cette année-là.»
Pour Shawn Marshall, étant donné la difficulté grandissante d’accéder au haut des glaciers, il est plus difficile de les étudier «en tant que système». «Ça change la manière dont on travaille.»
«On ne peut plus compter sur les connaissances traditionnelles, les routes de transport traditionnelles et les saisons, parce que la glace est de moins en moins fiable. C’est le cas aussi pour les glaciers Saskatchewan et Athabasca [aussi en Alberta]», explique le spécialiste.
«La danse de l’érosion»
À l’Île-du-Prince-Édouard, les changements climatiques accélèrent l’exposition des fossiles incrustés dans les falaises. Habituellement, la glace en mer protège les falaises des vagues et des grands vents, ralentissant ainsi leur érosion.
Rod Smith, un collègue de Manuel Bringué, au milieu des moustiques.
Mais il n’y a plus assez de glace en mer, indique le géologue et professeur à l’Université Saint Mary’s de Halifax, John Calder.
«La bonne nouvelle, c’est que davantage de fossiles sont exposés. La mauvaise nouvelle, c’est que les vagues vont reprendre ces fossiles et les détruire s’ils ne sont pas découverts à temps, se désole-t-il. C’est une danse de l’érosion. La nature te révèlera ce qu’il y a, mais le créneau pour le récupérer est limité. C’est l’aspect le plus difficile.»
C’est dans un tel contexte que monsieur et madame Tout-le-Monde prennent toute leur importance. «La plupart des découvertes ont été faites non pas par des professionnels […], mais par des citoyens, et surtout les petits enfants qui se promènent sur la plage», avoue le géologue, qui rappelle que les paléontologistes ne sont pas nombreux.
Il encourage les passants de l’Île à garder les yeux ouverts et à aider la science en faisant part de leurs trouvailles.
De passage en Colombie-Britannique pour expliquer aux citoyens le rôle et le fonctionnement de la Cour suprême, le juge en chef du plus haut tribunal du pays, Richard Wagner, a réitéré que la demande d’un meilleur accès aux services en français était «normale», tant pour les francophones que pour les anglophones.
Le juge en chef Richard Wagner était en tournée en Colombie-Britannique pour expliquer comment la Cour suprême sert les Canadiens.
Ce qu’il a dit : «Les anglophones devraient comprendre que c’est important de donner de plus en plus de services aux francophones», a assuré Richard Wagner en entrevue avec Radio-Canada.
Il a également rappelé que la Constitution prévoit la protection des droits des minorités au pays.
Ce qu’ils disent : Mercredi, des membres de l’Association des juristes d’expression française de la province ont profité de l’anniversaire des 25 ans de leur organisme pour dénoncer le manque d’accès à des procès en français.
Certains documents juridiques ne sont toujours pas traduits. Toutefois, des affaires ont fait bouger les lignes, comme les suites du procès de M. Tayo Tompouba, qui ont mené à l’obligation d’informer les parties qu’elles peuvent avoir accès à un procès en français.
En aout 2024, le Conseil scolaire francophone (CSF) de Colombie-Britannique s’est adressé à la Cour suprême de la province, car il leur est encore difficile de construire les écoles pour les francophones, même à la suite de la victoire obtenue en Cour suprême. La CSF rencontre des obstacles pour obtenir des terrains pour en construire.
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La taxe américaine de 25 % qui devait s’appliquer sur les produits canadiens mardi a finalement été suspendue pour au moins 30 jours. Cette suspension de tarifs s’est aussi appliquée au Mexique, également visé par Donald Trump.
Le premier ministre Justin Trudeau a arraché une suspension des taxes que le président américain prévoit de faire appliquer sur les biens et l’énergie canadienne.
L’enjeu : Pour rassurer les États-Unis et éviter toute taxe sur les produits canadiens, le gouvernement Trudeau a annoncé de nouvelles mesures visant à renforcer la sécurité à la frontière : la nomination d’un tsar du fentanyl, l’ajout des cartels à la liste des entités terroristes et une surveillance accrue.
Une force de frappe conjointe sera créée pour lutter contre le crime organisé, le trafic de fentanyl et le blanchiment d’argent. Ottawa a d’ailleurs admis cette semaine que la production de cette drogue dépassait la demande locale, selon un document obtenu par Radio-Canada.
Le gouvernement a aussi signé une directive pour les services de renseignement sur ces enjeux, soutenue par un investissement de 200 millions de dollars.
En outre, un Sommet économique Canada–États-Unis se tiendra ce vendredi.
Côté opposition, le chef conservateur, Pierre Poilievre, a dévoilé un plan et a répété que le Parlement devait être rappelé.
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L’information a été confirmée à CTV mercredi par le Bureau du Conseil Privé (BCP), l’équipe chargée de conseiller le premier ministre.
Le gouvernement avait cessé d’acheter des espaces publicitaires à la société mère d’Instagram et Facebook après que celle-ci eut bloqué les nouvelles canadiennes sur ses plateformes, en réaction à l’application de la Loi sur les nouvelles en ligne, qui lui demandait une contribution financière pour le partage de nouvelles.
L’enjeu : Le gouvernement Trudeau s’est remis à acheter de la publicité à Meta pour diffuser sa campagne publicitaire sur la suspension de la taxe sur les produits et services (TPS), mise en place par les libéraux le 14 décembre pour alléger les dépenses des Canadiens et des Canadiennes.
La campagne a été lancée le 23 janvier dernier et aurait couté 100 000 $, selon le BCP.
Cette suspension de taxe concerne une liste de produits comme des couches et jouets pour enfants ou autres produits alimentaires. La taxe devrait s’appliquer de nouveau après le 15 février.
Le ministre des Finances, Dominic LeBlanc, a annoncé le report du taux des gains en capitaux au 1er janvier 2026.
Le ministre des Finances, Dominic LeBlanc, a annoncé cette semaine qu’il reportait l’augmentation du taux d’inclusion des gains en capital de 50 % à 66,67 % au 1er janvier 2026. La mesure était initialement prévue pour juin 2024.
Cette dernière vise les gains dépassant 250 000 $ pour les particuliers et tous les gains pour les entreprises et fiducies.
L’enjeu : Annoncée dans le budget d’avril 2024 par l’ancienne ministre des Finances, Chrystia Freeland, cette mesure n’a pas été adoptée par le Parlement cet automne en raison d’un blocage des conservateurs.
Depuis, Mme Freeland a démissionné et brigue la succession de Justin Trudeau à la tête du Parti libéral. Elle promet d’abandonner cette mesure si elle est élue, en raison de l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche.
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Interrogé par Francopresse sur la reconnaissance du déclin du français au Québec et au Canada, Frank Baylis a plutôt contourné la question, affirmant qu’il ne considérait pas ce sujet «comme un débat».
«Je ne suis pas un expert dans les statistiques pour dire qu’il y a un déclin», a répondu l’homme d’affaires, après avoir assuré qu’il souhaitait protéger et promouvoir la langue française partout au pays.
«C’est une manière de regarder des pourcentages. On pourrait dire oui, mais en termes [globaux], peut-être non. Alors c’est encore quelque chose [sur lequel] on devrait réfléchir, de promouvoir le français non seulement au Québec, en Ontario ou en Acadie, mais à travers le pays.»
Après la conférence de presse, il a par ailleurs assuré aux médias qu’une proposition de débat bilingue avait été faite au sein du Parti libéral, mais qu’il était contre, estimant qu’il fallait un débat en français et un autre en anglais.
Un autre aspirant à la chefferie, Chandra Arya – aujourd’hui hors de la course –, avait fait l’objet de vives critiques en janvier, lorsqu’il avait minimisé l’importance du bilinguisme à la tête du parti.
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Qui est Frank Baylis?
Frank Baylis a été député fédéral de la circonscription québécoise Pierrefonds–Dollard entre 2015 et 2019, pour le Parti libéral du Canada.
Ingénieur de formation, il est né à Montréal, mais a grandi à Toronto et fait ses études à Waterloo en Ontario. En conférence de presse le 6 février, il a mis l’accent sur ses études en français, une éducation voulue par ses parents.
Il vit au Québec depuis une trentaine d’années.
Frank Baylis dit avoir une expertise dans le secteur de l’industrie, en politique de la santé et en droits de la personne. «Je suis très fort dans ces trois points-là. M. Carney est très fort dans le domaine de la politique monétaire», a-t-il souligné, sans mentionner les deux autres candidates, Chrystia Freeland et Karina Gould.
Une réorganisation du Parlement
Lors de sa conférence de presse, Frank Baylis a dévoilé son plan pour changer le fonctionnement du Parlement.
Il prévoit notamment de limiter à 10 ans le temps que les députés et les sénateurs peuvent passer en politique. Une manière selon lui de «laisser la place aux nouveaux Canadiens» pour amener une expertise dans les prises de décisions politiques.
Après les dix ans, les députés devront se retirer pendant un moment «avant de pouvoir se représenter» à d’autres élections fédérales. «Notre système n’est pas conçu pour les politiciens professionnels», a-t-il justifié.
Frank Baylis souhaite également redistribuer les pouvoirs des chefs de partis au profit du président de la Chambre, des députés et des Canadiens. Le but est selon lui de rendre le choix de qui prend la parole au président. «Les chefs de partis se sont approprié ce pouvoir, on va le rendre au président de la Chambre», a-t-il fait valoir.
Le Québécois souhaite aussi la mise en place d’un système de pétition électronique pour permettre aux citoyens d’introduire des débats au Parlement.
La dernière partie de son programme consiste à ajouter une deuxième chambre pour les débats. Les débats principaux seront maintenus dans la Chambre des Communes, tandis que les «affaires non contestées», comme les déclarations de députés, se tiendront dans une seconde chambre. Une proposition qui ferait avancer la législation «plus rapidement», selon lui.
Le fédéral, les provinces et les territoires sont tous «alignés pour faire tomber les obstacles qui freinent le commerce entre nos provinces et territoires et rendre ça plus facile pour les consommateurs de choisir les produits de chez nous», a assuré le premier ministre, Justin Trudeau, lors d’une conférence de presse le 1er février.
Il annonçait alors la riposte canadienne aux tarifs douaniers des États-Unis, qui ont finalement été suspendus pendant au moins 30 jours à compter du 3 février.
Mais ce revirement de situation n’arrête pas le travail entamé par Ottawa et les provinces pour faciliter le commerce interprovincial, assure la ministre des Transports et du Commerce intérieur, Anita Anand, à Francopresse.
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«Il y a une volonté autour de la table», dit Anita Anand.
«C’est le moment»
Le Comité sur le commerce intérieur (CCI) s’est réuni le 31 janvier pour discuter, notamment, de l’amélioration de l’Accord de libre-échange canadien (ALEC).
Ainsi, trois recommandations ont été formulées à l’unanimité et seront présentées aux premiers ministres provinciaux, territoriaux et fédéral :
Tel qu’annoncé par voie de communiqué le 5 février, tous les premiers ministres ont appuyé ces recommandations du Comité.
«On doit avoir un système où les provinces et territoires reconnaissent les exigences règlementaires des autres», explique Anita Anand. Celle-ci affirme que ces initiatives iront de l’avant, «peu importe ce qui se passe aux États-Unis».
«C’est le moment de parler, de faire le progrès réel, et on va continuer sur ces recommandations-là parce que c’est nécessaire de bâtir notre économie domestique pour notre population, sans considérer ce qui se passe aux États-Unis», ajoute-t-elle.
Un accord limité
Entré en vigueur le 1er juillet 2017, l’Accord de libre-échange canadien (ALEC) est un accord commercial intergouvernemental signé par le gouvernement fédéral et les 13 provinces et territoires.
Dans ce document d’environ 350 pages, plus de 130 sont dédiées aux exceptions au libre-échange posées par les différents gouvernements.
Un exemple classique concerne les boissons alcoolisées, qui font l’objet d’exceptions dans la grande majorité des provinces et qui rendent difficile l’exportation de l’alcool vers d’autres provinces et territoires.
Les barrières règlementaires, elles, ne sont pas codifiées dans l’Accord. Par exemple, les juridictions ont des règles différentes quant à la taille des contenants pour les emballages alimentaires.
Les provinces embarquent
Avant que Donald Trump ne suspende les tarifs douaniers visant le Canada, les premiers ministres de toutes les provinces et tous les territoires s’étaient engagés à faciliter le commerce interne. Le plan : s’attaquer aux barrières qui limitent l’ALEC.
La première ministre du Nouveau-Brunswick, Susan Holt, a par exemple déclaré lors d’une conférence de presse, quelques heures avant l’annonce de la suspension, le 3 février, que sa province «participe à une révision agressive des barrières au commerce interne pour renforcer l’économie canadienne».
«On évalue activement la possibilité que la Saskatchewan retire ses propres exceptions, en totalité ou en majorité», a pour sa part déclaré le premier ministre Scott Moe, en conférence de presse le même jour.
Questionné sur la poursuite de ces objectifs commerciaux dans un contexte sans tarifs, Scott Moe répond à Francopresse dans un courriel que malgré le report des mesures, «le travail n’est pas terminé». Il ne donne pas plus de détails sur le commerce interprovincial depuis la suspension des tarifs.
«Je pense qu’une exception linguistique est totalement adéquate et même nécessaire» dans le cas du Québec, estime Christopher Skeete.
Dans un courriel à Francopresse, le ministre albertain du Travail, de l’Économie et du Commerce, Matt Jones, assure que l’Alberta continuera le travail «indépendamment des relations commerciales extérieures».
«L’Alberta continue de promouvoir des avancées en plaidant pour l’harmonisation règlementaire et la suppression des barrières dans des secteurs tels que le marché des boissons alcoolisées et le transport», écrit-il.
En entrevue avec Francopresse, le ministre québécois délégué à l’Économie, Christopher Skeete, confirme que peu importe ce qui se passe du côté des États-Unis, le Québec continuera de travailler sur la facilitation du commerce interprovincial.
«On est en train de regarder pour envoyer des gens dans d’autres provinces pour nous aider à ouvrir des réseaux de marchés, de distribution», a pour sa part déclaré le premier ministre québécois François Legault, en conférence de presse le 3 février.
En entrevue, Christopher Skeete confirme que cette réflexion se poursuit, peu importe la suspension des tarifs.
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Un potentiel de 200 milliards de dollars
Dans un communiqué de presse, la ministre Anita Anand confirme que «l’élimination des obstacles règlementaires fera baisser les prix, augmentera la productivité et ajoutera potentiellement jusqu’à 200 milliards de dollars à l’économie canadienne».
C’est aussi le chiffre qu’évoque l’analyste sénior en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal, Gabriel Giguère, en entrevue avec Francopresse. Ce think tank a développé un index pour suivre l’évolution des barrières codifiées dans l’ALEC.
«Ce qu’on a constaté, c’est que certaines provinces, notamment l’Alberta ou le Manitoba, ont réduit leurs barrières au commerce interprovincial, dit-il. Mais il y en a d’autres qui ont fait du surplace. On peut penser au Nouveau-Brunswick, mais surtout le Québec.»
Le Québec a posé le plus grand nombre d’exceptions, 36, et n’en a éliminé aucune depuis 2017. «Je pense que toutes les provinces devraient s’attaquer aux barrières qui restent de leur côté, mais le Québec a très certainement beaucoup de travail à faire», poursuit l’expert.
«Le Québec se tient debout»
Au Québec, nos exceptions sont assez normales. On va reconnaitre les diplômes et les professions à l’extérieur du Québec, mais on exige le français.
«Est-ce que ça freine vraiment le commerce? Peut-être. Mais est-ce qu’en termes de dollars ça a un impact réel considérant le cout sociétal? Je pense qu’on est à la bonne place. […] Le Québec se tient debout pour défendre le français.»
L’élu évoque une «perception persistante» selon laquelle le commerce interprovincial va mal, en particulier à cause des exceptions. «C’est sûr qu’il y a des irritants, des enjeux à régler, mais la bonne nouvelle c’est que l’on constate déjà qu’il y a une belle augmentation du commerce interprovincial depuis un bon nombre d’années.»
Statistique Canada chiffre la croissance de la valeur du commerce interprovincial à 16,5 % entre 2021 et 2022.
Selon Christopher Skeete, il faudrait dorénavant surtout travailler sur les barrières règlementaires. Le CCI s’est entendu pour identifier cinq à dix secteurs prioritaires pour l’harmonisation de certaines règles et pour une reconnaissance mutuelle.
Depuis la montée de ce que l’on appelait la «droite alternative» dans les années 2010 jusqu’aux paniques engendrées plus récemment par les discours «anti-woke», une droite radicale et sans respect pour les institutions en place a maintenant pris le dessus sur la droite institutionnelle et démocratique.
De nombreux décrets signés par Donald Trump visent l’affaiblissement des mécanismes de régulation.
Ce mouvement politique a su utiliser la désinformation, le mensonge et l’intimidation pour prendre les commandes du Parti républicain aux États-Unis, mais aussi s’installer au sein du Parti conservateur au Canada. C’est en son sein qu’est né le convoi dit «de la liberté» à Ottawa.
Cette droite a notamment donné naissance au Parti populaire du Canada et est liée à des fréquentations de Pierre Poilievre, de Scott Moe et de Danielle Smith ainsi qu’aux politiques mises de l’avant par leurs partis et gouvernements.
Il importe de nommer ce mouvement afin de savoir le reconnaitre autour de nous. Des saluts nazis d’Elon Musk à ceux de personnes opposées à l’immigration à Saint-Albert en Alberta, il existe un lien direct où la mise en valeur de ces symboles et idées mène à une plus grande légitimité sociale.
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Le concept du fascisme est de plus en plus utilisé pour rendre compte d’une famille d’idées et de politiques, y compris au Canada. Certains grands traits devraient déjà nous indiquer la présence d’une menace.
C’est une volonté d’expansion territoriale qui a mené à la menace de tarifs lancée par le président américain. Ce dernier a en effet fait référence à l’annexion du Canada ainsi qu’à celle du Groenland et du canal de Panama, des lieux perçus comme appartenant à une zone d’influence qui reviendraient de droit aux États-Unis, selon Donald Trump.
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Prenant pour cible les personnes transgenres et non binaires, ce mouvement crée également la figure d’un ennemi intérieur. Les décrets signés par Trump criminalisent la transition sociale pour les personnes mineures ainsi que les rares soins d’affirmation de genre qui leur sont accessibles. Même les personnes qui les soutiennent dans leur transition à l’école sont visées.
Au-delà de ces cibles, on voit une montée de l’emprise sur les corps au nom d’une homogénéité et d’une pureté du corps social, que ce soit par la lutte contre l’avortement ou par la purge des différences vues comme dangereuses et indésirables.
C’est le rôle notamment du démantèlement des mesures d’équité et de toute référence au genre et à la race, dans les programmes d’étude jusqu’aux sites Web.
Ce mouvement s’appuie par ailleurs sur une vaste propagande et une tentative d’écarter les médias non ralliés au régime en place. Les Fox News et Breibart reçoivent ainsi un «accès» aux centres de pouvoir qui est refusé aux médias qui suivent des règles d’éthique journalistique plus strictes.
Viennent s’y greffer les têtes dirigeantes des médias sociaux les plus populaires, comme Elon Musk et Mark Zuckerberg, qui se rapprochent du pouvoir ou s’y immiscent carrément et reprennent des discours d’extrême droite.
Au-delà des médias, la liste des grandes entreprises qui se sont empressées de soutenir la cérémonie d’inauguration de Trump montre par ailleurs comment sa présidence tend à transformer l’économie pour créer une oligarchie capable de la soutenir, plutôt qu’un capitalisme néolibéral qui s’autorégulerait.
La montée d’un mouvement et d’un régime fascistes ne signifie pas que l’ensemble des caractéristiques des fascismes du passé seront présentes : le mouvement doit s’adapter aux structures économiques et politiques du moment et innover.
Il n’en demeure pas moins que le régime politique américain semble sombrer dans la dictature. Cette avancée n’est pas nouvelle : l’accès au vote demeure limité pour de grandes parties de l’électorat américain et le système politique noie ou détourne les voix par le biais de charcuterie électorale et par le Collège électoral.
Umberto Eco a écrit : «Le fascisme éternel parle la novlangue. La novlangue, inventée par Orwell dans 1984, […] se caractérise par un vocabulaire pauvre et une syntaxe rudimentaire de façon à limiter les instruments d’une raison critique et d’une pensée complexe.»
Nous voyons toutefois une présidence qui cherche à se soustraire aux mécanismes de contrôle et qui agit sans se soucier de la constitution (ou qui l’interprète de manière abusive). Elle compte par ailleurs sur une version extrême de la discipline de parti dans les institutions où les républicains sont majoritaires.
Le gouvernement par décret cohabite ainsi avec des politiciens et politiciennes qui créent des lois limitant les perspectives et les protections pour les groupes minorisés.
Les purges dans la bureaucratie étatique vont d’ailleurs de pair avec une construction de structures alternatives. Ces transformations rappellent les régimes totalitaires, où la discipline et les ordres passent par le parti et d’autres réseaux parallèles et où les forces de l’ordre et l’armée sont contrôlées par les figures politiques.
Avec la menace de tarifs importants, le Canada ressent déjà les effets de l’arrivée au pouvoir de ce mouvement qui a ses adeptes de ce côté-ci de la frontière.
Les transformations rapides depuis l’inauguration de Trump doivent nous rappeler que les institutions démocratiques sont fragiles et dépendent d’un accord de la part des parlementaires, de l’électorat, mais aussi des centres de pouvoir économique.
Dans le contexte actuel, tout appui aux politiciens et politiciennes qui ne s’opposent pas fermement à ce mouvement fasciste nous en rapproche.
Il en va de même des politiques visant le démantèlement des capacités d’action de l’État : sans ses leviers et mécanismes, nous risquons de perdre les moyens de nous défendre… mais aussi de perdre les programmes et les initiatives qui nous donnent des raisons de le faire.
Jérôme Melançon est professeur titulaire en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent généralement sur les questions liées à la coexistence, et notamment sur les pensionnats pour enfants autochtones, le colonialisme au Canada et la réconciliation, ainsi que sur l’action et la participation politiques. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie (MétisPresses, 2018).
En plus d’un plan qui place «Le Canada d’abord» dans la guerre commerciale qui oppose le pays avec les États-Unis, le chef de l’opposition officielle, Pierre Poilievre, martèle depuis plusieurs semaines qu’il faut rappeler le Parlement à Ottawa, prorogé jusqu’au 24 mars.
Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, exhorte lui aussi le gouvernement libéral à réunir les parlementaires afin de mettre en place un plan pour soutenir les travailleurs et les entreprises.
Les tarifs de 25 % sur les produits canadiens importés aux États-Unis et de 10 % sur le secteur de l’énergie, qui devaient entrer en vigueur le 4 février, ont été suspendus après que Justin Trudeau et Donald Trump se sont entretenus le 3 février.
Le Canada s’apprêtait à riposter en taxant également à 25 % une liste de produits américains.
D’après la procédure de la Chambre des communes, ce ne sont pas les chefs de parti, mais bien le gouvernement qui décide de rappeler le Parlement. Néanmoins, le Canada a-t-il besoin de débats en chambre à un moment crucial de son histoire avec les États-Unis? Pas forcément, répond Frédéric Boily, professeur en science politique au Campus Saint-Jean, à Edmonton, en Alberta.
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Pour le politologue, le gouvernement dispose d’outils de riposte assez forts pour se passer de l’intervention du Parlement.
Le chef de l’opposition, Pierre Poilievre, a présenté son plan «Le Canada d’abord» pour montrer aux États-Unis qu’il veut lui aussi plus de contrôle à la frontière, tout en ripostant «dollar pour dollar».
«Il faut bien comprendre que la demande des partis d’opposition de le rappeler [le Parlement, NDLR], c’est aussi pour avoir une tribune. Là, présentement, ils n’en ont pas. C’est très difficile pour M. Poilievre et encore plus pour M. Singh», analyse-t-il.
Selon le professeur, sans Parlement, «le gouvernement n’est pas obligé de parler avec Pierre Poilievre ni avec Jagmeet Singh. Donc, dans ce contexte, les partis d’opposition se trouvent marginalisés».
Il souligne que la demande du chef conservateur d’abandonner la Loi d’évaluation d’impact (anciennement projet de loi C-69), qui a reçu la sanction royale en 2019, n’est pour l’instant pas pertinente.
Avec cette loi, le gouvernement libéral est accusé par les conservateurs d’avoir voulu freiner tous les nouveaux projets de développements énergétiques, liés notamment au pétrole, au gaz et à l’électricité.
«En principe, Pierre Poilievre aurait pu en discuter au Parlement. Il sait très bien que cette demande ne sera pas acceptée [mais] il devait montrer qu’il était capable de se mettre au-dessus de la mêlée.»
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Si le Canada propose une réponse forte, ce ne seront pas les «plans provinciaux» qui feront reculer Donald Trump, si les tarifs douaniers s’appliquent au bout d’un mois, estime Frédéric Boily.
Frédéric Boily pense que le gouvernement a déjà «présentement certains outils» pour riposter contre les États-Unis, sans avoir besoin de rappeler le Parlement.
La première – et presque la seule – action de plusieurs provinces a été d’interdire la vente d’alcool provenant des États-Unis. Une mesure mise de l’avant par la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, le Québec, l’Ontario, le Manitoba et la Colombie-Britannique.
La Nouvelle-Écosse avait aussi proposé de limiter l’accès des entreprises américaines aux marchés publics provinciaux.
De son côté, l’Alberta, qui en janvier ne s’est pas affichée aux côtés de ses homologues lors de la réunion des premiers ministres à Ottawa en prévision d’une éventuelle riposte à ces tarifs, est «en mode attente», relève Frédéric Boily.
La première ministre albertaine, Danielle Smith, a bien affirmé sa «déception» face à l’application des tarifs.
Rejoignant certaines paroles de ministres fédéraux, elle a affirmé sur X, en anglais, que cette décision «portera préjudice aux Canadiens comme aux Américains, et mettra à mal les relations et l’alliance importantes entre nos deux nations».
(1/2) I am disappointed with U.S. President Donald Trump’s @realDonaldTrump decision to place tariffs on all Canadian goods. This decision will harm Canadians and Americans alike, and strain the important relationship and alliance between our two nations.
— Danielle Smith (@ABDanielleSmith) February 1, 2025
Alberta will do… pic.twitter.com/2oUT0tO4kd
Pour le professeur Boily, Danielle Smith – qui a tenté de négocier directement avec les États-Unis pour protéger les exportation de pétrole canadien, se dit surement que les tarifs douaniers pour cette ressource étaient seulement de 10 %, qu’ils n’étaient prévus que pour le 18 février et qu’il ne faut «peut-être pas réagir trop fortement pour éviter d’empirer la situation».
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