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le Dimanche 17 novembre 2024 6:30 Société

William Stephenson : l’espion canadien qui aurait inspiré James Bond

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  Graphisme : Chantal Lalonde
Graphisme : Chantal Lalonde
FRANCOPRESSE – «Je m’appelle Stephenson, William Stephenson.» L’espion canadien n’a jamais décliné son nom à la façon de James Bond, mais sa vie époustouflante, digne d’un scénario de film, aurait inspiré l’auteur Ian Fleming, lui-même espion, quand il a créé son mythique agent 007.
William Stephenson : l’espion canadien qui aurait inspiré James Bond
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Raconter l’histoire de William Stephenson n’est pas chose facile. Non seulement parce que l’homme était un espion – un métier où le mensonge, le flou et la duperie se mêlent –, mais aussi parce que plusieurs des biographies les plus populaires à son sujet avancent des affirmations qui ont été contredites, mises en doute ou réfutées. Mission impossible?

Allons-y avec ce que l’on sait.

Première Guerre mondiale

Photo de passeport de l’espion canadien William Stephenson, en 1942. Sa discrétion lui a valu le surnom de «Canadien tranquille». 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public.

Ce singulier personnage nait en 1897 à Winnipeg, au Manitoba. Signe prémonitoire de la vie d’espion qui l’attend, Stephenson change de nom alors qu’il est tout jeune enfant.

Né William Samuel Clouston Stanger, fils de William et Sarah Stanger, il perd son père à l’âge de 4 ans. Sa mère, se sentant incapable de s’occuper de lui, le donne en adoption à un couple du nom de Stephenson.

Selon certaines sources, le jeune William n’atteindra pas le secondaire; il abandonne l’école et enchaine les petits boulots, comme celui de livreur de télégrammes.

Puis survient la Première Guerre mondiale. En 1916, William part pour l’Angleterre et devient pilote de l’armée britannique. Il a du talent et se distingue en multipliant les exploits.

À l’hiver 2018, son avion est cependant touché et s’écrase derrière les lignes allemandes. Mais, pour Stephenson, mourir peut attendre. Fait prisonnier, il ne sera relâché qu’en décembre de la même année, soit après la fin du conflit.

William Stephenson reçoit une première distinction, la Croix du service distingué dans l’aviation (Distinguish Flying Cross) de l’Aviation royale britannique.

Après la guerre, il rentre chez lui, au Manitoba, où il mettra sur pied une entreprise d’ouvre-boites qui ne fera pas long feu. Stephenson quitte alors le Canada pour les États-Unis, peut-être pour fuir ses créanciers.

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Bons baisers d’Angleterre

Quelques années plus tard, il réapparait à Londres, où sa vie prendra un virage inattendu. Le pilote de guerre devient un homme d’affaires très prospère. Avec un partenaire, il met au point et fait breveter, en 1924, un dispositif pouvant transmettre des photographies sans fil aux journaux.

Ce succès lui rapporte des redevances de 100 000 livres par année. Stephenson ne s’assoit pas sur ses lauriers pour autant. Il se lance dans de multiples autres entreprises, dans l’acier, la fabrication de postes de radio et même les studios de cinéma.

William Stephenson est millionnaire avant d’atteindre ses 30 ans.

Statue de William Stephenson en costume d’aviateur militaire érigé près d’un boulevard à Winnipeg, son lieu de naissance. 

Photo : Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions, 4,0 international

Entretemps, il a épousé Mary French Simmons, issue d’une famille aisée du Tennessee œuvrant dans le secteur du tabac. Le couple fréquente les milieux de la haute société londonienne. C’est ainsi que William rencontre un député qui deviendra l’une des plus grandes figures politiques du XXe siècle : Winston Churchill.

Parce qu’il a un pied dans l’industrie de l’acier, William Stephenson a vent des quantités anormales de ce métal qui prennent la direction de l’Allemagne, devenue nazie.

En effet, Hitler s’affaire à réarmer l’Allemagne en cachant d’énormes dépenses militaires, le tout en violation des conditions du Traité de Versailles, qui a mis fin à la Première Guerre mondiale.

Stephenson transmet cette information privilégiée à Churchill et gagne ainsi la confiance du politicien.

Une fois la guerre déclenchée, Churchill, devenu premier ministre, lui confie la direction d’un nouveau bureau britannique à New York : la British Security Coordination (BSC).

Au service secret de Sa Majesté

Officiellement, ce bureau est un simple service de vérification des passeports. Dans les faits, ce sera une vaste opération de contrespionnage et de propagande.

En 1999, Postes Canada a mis en circulation un timbre avec le visage de William Stephenson. 

Photo : Société canadienne des postes, 1999. Reproduit avec permission

À cette époque, les États-Unis ne sont pas encore en guerre, mais le gouvernement britannique veut tout faire pour convaincre l’Oncle Sam de s’engager.

Le bureau est situé dans le célèbre centre Rockefeller, en plein cœur de Manhattan. Son adresse télégraphique est INTREPID, qui deviendra l’un des surnoms de l’espion canadien.

La BSC, avec à sa tête William Stephenson, s’occupera de transmettre des informations secrètes entre le président américain Franklin Roosevelt et le premier ministre britannique Churchill, et vice-versa.

Les agents de la BSC mèneront des activités de propagande auprès de l’opinion publique afin qu’elle incite Washington à entrer en guerre et à venir en aide au Royaume-Uni et à l’Europe.

De plus, la BSC sera impliquée dans une gigantesque opération de surveillance et de censure du courrier acheminé des États-Unis vers l’Europe. Tout le courrier et les télégrammes sont détournés aux Bermudes, territoire du Royaume-Uni, où une armada de 1200 employés britanniques d’une filiale de la BSC scrute les communications à destination de l’Europe et même du Proche-Orient.

Cette démarche, jugée maintenant illégale, a cependant permis de découvrir et d’arrêter des espions opérant aux États-Unis.

Stephenson et son organisation érigeront aussi une installation près d’Oshawa, en Ontario – le Camp X –, où seront formés des agents de pays alliés qui auront pour mission d’infiltrer les pays d’Europe occupés par l’Allemagne nazie.

D’Intrepid à 007

Plusieurs personnes ont affirmé que le créateur du personnage de James Bond, Ian Fleming, s’était inspiré du Canadien William Stephenson. L’auteur des romans d’espionnage ne l’a jamais confirmé.

Cependant, on sait que Fleming a côtoyé Stephenson et qu’il l’admirait. L’auteur a signé la préface d’une des biographies de Stephenson, le qualifiant de héros et de «l’un des grands agents secrets de la Seconde Guerre mondiale».

Une autre biographie a donné à Stephenson le surnom de «Canadien tranquille» (The Quiet Canadian).

Qui sait si le personnage de James Bond, aujourd’hui incarné par Daniel Craig (sur la photo), aurait été inspiré de William Stephenson? 

Photo : Wikimedia Commons, attribution 2,0 générique

Cependant, des historiens et experts ont mis en doute le rôle joué par William Stephenson comme espion et comme dirigeant des opérations britanniques aux États-Unis pendant le conflit. Certains ont même avancé qu’il avait exagéré ses exploits auprès de ses biographes, qui vont consacrer sa légende.

Toutefois, les dirigeants de l’époque, avant même que les biographies soient écrites, ont cru bon de rendre hommage au Canadien. En 1945, il a été fait chevalier par la Grande-Bretagne sous la recommandation de Churchill lui-même, qui affirmait que Stephenson était «cher à son cœur».

L’année suivante, c’est au tour des États-Unis de lui rendre hommage en lui remettant la Médaille du mérite, la plus haute distinction civile du pays à l’époque. Stephenson devenait ainsi le premier non-Américain à recevoir cet honneur.

Plus tard, en 1979, il sera fait compagnon de l’Ordre du Canada. Postes Canada émettra un timbre à son effigie en 1999.

Quelques années après la guerre, William Stephenson et son épouse vivront des jours tranquilles aux Bermudes, où l’espion mourra en 1989 à l’âge avancé de 92 ans, dix ans après sa femme Mary. Il a sans doute emporté quelques secrets dans sa tombe…

Type: Analyse, Récit

Analyse: Contenu qui rapporte les faits, bien qu’il intègre l’expertise de l’auteur/du producteur et qu’il puisse proposer une interprétation et tirer des conclusions.

Récit: Cet article contient des informations, des opinions et des analyses, toutes basées sur des faits.

Marc Poirier

Journaliste

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