le Mercredi 12 février 2025
le Dimanche 27 octobre 2024 6:30 Société

Jeanne Barret, première femme à faire le tour du monde

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Une plaque sur la tombe de Jeanne Barret rappelle son exploit.  — Photo : Polymagou, Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions 4,0 international
Une plaque sur la tombe de Jeanne Barret rappelle son exploit.
Photo : Polymagou, Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions 4,0 international
FRANCOPRESSE – Trop souvent, l’Histoire est l’affaire des hommes. Par exemple, on connait tous les Colomb, de Gama, Magellan et autres hommes qui ont été les premiers à faire ceci, à accomplir cela. Mais sait-on qui a été la première femme à faire le tour du monde? Jeanne Barret. Et elle a toute une histoire.
Jeanne Barret, première femme à faire le tour du monde
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Lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris, l’été dernier, on a vu surgir de la Seine dix statues dorées représentant dix femmes inspirantes de l’histoire de la France.

Militaire et navigateur, Louis-Antoine de Bougainville a mené la première expédition française qui a fait le tour du monde. 

Photo : Wikimedia Commons, domaine public

La symbolique était forte, car le tout se déroulait devant l’Assemblée nationale et ses statues représentant presque uniquement des hommes. Parmi elles, on retrouvait Simone de Beauvoir, Simone Veil et… Jeanne Barret.

Cette femme d’origine modeste en aurait été la première surprise.

Mais avant d’aller plus loin, il faut parler d’un autre homme de l’époque des grandes explorations maritimes : Louis-Antoine de Bougainville.

De Bougainville à Jeanne

Avant de mener la première expédition française autour de la planète, Bougainville avait acquis une renommée militaire en Nouvelle-France en participant activement à différentes batailles de la guerre de Sept Ans.

Image de 1780 représentant Bougainville et ses compagnons sur une petite ile dans le détroit de Magellan. 

Photo : Wikimédia Commons, domaine public

En 1764, Bougainville est chargé de mener l’implantation d’une colonie sur les iles Malouines (maintenant iles Falkland, possession britannique), archipel isolé dans le sud de l’océan Atlantique.

Plusieurs familles acadiennes que le Grand Dérangement avait fait aboutir en France prennent part à cette aventure. Mais l’expérience donne peut-être à Bougainville le gout des longs voyages maritimes.

Son heure de gloire sonne deux ans plus tard, alors qu’on lui confie la mission de réaliser le premier tour du monde commandité par la France.

Il part de la France à l’automne 1766 à bord de la frégate La Boudeuse. Un deuxième navire nommé L’Étoile, servant surtout de ravitaillement, part plus tard, en février 1767. L’Étoile compte à son bord Philibert Commerson, un naturaliste, et un «assistant».

Et Jeanne devint Jean

C’est un parcours sinueux qui amène Jeanne Barret à prendre part à un voyage autour du monde.

Née dans un petit village de Bourgogne, en France, Jeanne Barret fait l’apprentissage des herbes médicinales et gagne une réputation d’experte des plantes locales. Vers 1760, elle rencontre Commerson, devient domestique dans sa résidence, mais aussi aide le botaniste à cataloguer et répertorier ses recherches.

Le bougainvillea, aussi nommé bougainvillier, a été tout probablement repéré par Jeanne Barret au Brésil avant qu’elle en ramène un échantillon en France. Cette plante grimpante est maintenant répandue dans plusieurs pays, comme ici sur l’ile de Santorin, en Grèce. 

Photo : Dietmar Rabich, Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions, 4,0 international

Après la mort de la femme de Commerson, Jeanne et lui développent une relation amoureuse qui aboutit à une grossesse. Le couple non marié s’installe à Paris et l’enfant est donné en adoption. Voilà pour les potins.

Lorsqu’on propose à Commerson de se joindre à l’expédition de Bougainville, il insiste pour emmener son «assistant». Or, la présence des femmes est interdite sur les navires français depuis l’ordonnance de Louis XIV de 1689.

C’est alors que vient l’idée de déguiser Jeanne en homme. Celle-ci se coupe les cheveux, se bande la poitrine et embarque sous le nom de Jean Barret (ou Barré).

À la recherche de nouvelles espèces

Les deux navires de l’expédition de Bougainville font leur jonction à Rio de Janeiro, au Brésil.

Portrait de Jeanne Barret, 1806. 

Photo : Cristoforo Dall’Acqua, Wikimedia Common, domaine public

Le couple en profite pour débarquer et explorer la nature des environs. Mais la santé de Commerson est chancelante et c’est Jeanne qui effectue surtout le travail de terrain et d’échantillonnage.

C’est donc elle qui aurait «découvert» une plante grimpante que les deux vont nommer bougainvillea, qu’on appelle communément «bougainvillier», en l’honneur du chef de l’expédition. Cette plante est maintenant très répandue en Europe et ailleurs.

Après l’escale du Brésil, l’expédition contourne l’Amérique du Sud en traversant le détroit de Magellan et s’aventure dans l’océan Pacifique.

Bougainville rencontre plusieurs petits archipels et atolls sans y prendre pied, puis arrête ses navires pendant une dizaine de jours à Tahiti, étape marquante du voyage, et qui deviendra possession française de façon définitive au milieu du XIXe siècle.

Jeanne démasquée

C’est à Tahiti où, selon le compte rendu de Bougainville, on découvre que Barret est une femme. Ce serait les Tahitiens eux-mêmes, visiblement plus futés que les passagers de L’Étoile après des mois en mer, qui la démasquent.

Page couverture du récit de Bougainville sur son périple autour de la Terre. 

Photo : Alde.fr

Reconnaissant l’apport de Jeanne à l’expédition pour son travail avec Commerson, Bougainville permet qu’elle reste à bord, mais sous le nom de Jeanneton.

Le périple se poursuit. Après avoir franchi le Pacifique, ce sera les Nouvelles-Hébrides (aujourd’hui Vanuatu), la Nouvelle-Guinée, les Moluques et l’ile de France (aujourd’hui l’ile Maurice), dans l’ouest de l’océan Indien.

C’est là où le couple de naturalistes quitte l’expédition de Bougainville, en novembre 1768. Il reste à l’ile de France à l’invitation du gouverneur Pierre Poivre, botaniste et ami de Commerson.

Au cours des années qui vont suivre, Jeanne et Commerson poursuivent leur récolte de nouvelles plantes. Ils s’aventurent même sur l’ile Bourbon (La Réunion) et à Madagascar.

Entretemps, Bougainville est arrivé en France au printemps de 1769, ayant perdu seulement sept hommes au cours de son odyssée de deux ans et demi.

Commerson meurt à l’ile de France en 1773. Sans grands moyens financiers, Jeanne ouvre un cabaret dans la capitale, Port-Louis. Elle rencontre un officier de la marine française, Jean Dubernat, qu’elle épouse au printemps suivant.

Le couple retourne finalement en France durant l’année 1775. Jeanne Barret complète alors son tour du monde, la première femme à réaliser l’exploit. Elle coule des jours paisibles jusqu’à sa mort en 1807.

Le trajet autour du monde de l’expédition de Bougainville. Jeanne Barret s’arrêtera à l’ile de France avant de rejoindre la France quelques années plus tard. 

Photo : Jeffdelonge, Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions, 3,0, 2,5, 2,0 et 1,0

Jeanne Barret avait ramené de son voyage le fruit du travail accompli avec Commerson : 30 caisses contenant plus de 5 000 échantillons d’espèces de plantes, de pierres et de coquillages, dont environ 3 000 sont considérées comme nouvelles.

Des milliers d’entre elles font maintenant partie des collections botaniques de la France, notamment à Paris, au Musée national d’histoire naturelle et au Jardin des plantes.

Plusieurs des découvertes seront cependant attribuées à tort à Commerson. Il faudra plus de deux siècles pour qu’on reconnaisse l’héritage et les exploits de Jeanne Barret.

Plusieurs villes françaises ont aujourd’hui une rue Jeanne Barret. En 2022, un nouveau patrouilleur français a été nommé en son honneur. En février 2024, la Ville de Paris a installé une plaque commémorative sur la rue des Boulanger. La consécration aura sans doute été celle de l’ouverture des Olympiques l’été dernier.

Type: Analyse

Analyse: Contenu qui rapporte les faits, bien qu’il intègre l’expertise de l’auteur/du producteur et qu’il puisse proposer une interprétation et tirer des conclusions.

Moncton

Marc Poirier

Journaliste

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