Charles Menzies, professeur au Département d’anthropologie de l’Université de la Colombie-Britannique, est membre de la Première Nation Gitxaała et inscrit aux bandes Tlingit et Haida de l’Alaska. Il explique qu’il y a une différence majeure à faire entre la définition légale du terme «Autochtone» et la manière dont une personne s’identifie comme telle.
«La membriété est définie par la Loi sur les Indiens. Il y a le statut d’Indien, mais il y a aussi trois catégories d’Autochtones au Canada, à savoir les Premières Nations, les Métis et les Inuits», indique Charles Menzies.
Il ajoute que le gouvernement a créé une identité indienne, basée sur un système patrimonial, qui a exclu les femmes et leurs enfants pendant un siècle et demi. Toutefois, la manière locale de s’identifier est relativement différente.
Le professeur explique que pour certaines communautés autochtones, le lignage de la mère permet d’obtenir le statut, alors que pour d’autres, les deux parents doivent être issus de la communauté. Pour d’autres encore, le lignage doit remonter à beaucoup plus loin.
«Il n’y a pas de définition officielle, hormis celle donnée par la Loi sur les Indiens», nuance Charles Menzies.
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Le problème de l’auto-identification
D’après le professeur d’anthropologie, certaines controverses récentes de personnes s’étant autoproclamées autochtones s’expliquent par le fait que la manière de s’identifier et d’identifier sa famille est différente entre la pensée autochtone et celle de la majorité.
Certaines personnes s’identifient donc comme étant Autochtones parce qu’elles ont un ancêtre issu des Premières Nations, mais le processus «est différent pour avoir des droits et être accepté par la communauté», avertit Charles Menzies.
Le professeur ajoute que la société canadienne a tendance à considérer l’auto-identification comme valide, mais qu’au sein des Premières Nations, «ça n’est pas ainsi que ça se passe».
Des problèmes apparaissent donc lorsqu’une personne prétend être Autochtone sans avoir le statut d’Indien, car cela «renforce l’appropriation coloniale eurocentrée. Cette action est illégitime et s’éloigne de la réconciliation», avertit Charles Menzies.
Pour tenter de faire la lumière sur cet enjeu, l’Université des Premières Nations du Canada (FNUniv) a accueilli les 9 et 10 mars le tout premier forum virtuel sur l’identité autochtone.
Avant que l’évènement ait lieu, la présidente de la FNUniv, Jackie Ottmann, avait expliqué à Francopresse qu’«au sein de l’Université, nous n’avons pas toutes les réponses, alors [en réunissant] tous ces Autochtones nous espérons qu’il y aura une vision collective [qui émergera], un cadre collectif que l’université pourra utiliser pour prendre des décisions».
Jackie Ottmann, elle-même Anishinaabe et membre de la Première Nation de Fishing Lake, située dans le sud de la Saskatchewan, remarque «une frustration collective de la part des Autochtones envers les gens qui choisissent de se revendiquer autochtone, parce qu’il y a des ressources limitées pour les Autochtones, du financement limité, des positions limitées, des fonds limités. Nous devons être responsables face aux besoins des Autochtones et respecter l’expérience des Autochtones».
Elle conclut en affirmant que le forum virtuel vise le milieu du postsecondaire, mais «que les principes qui s’appliquent au milieu postsecondaire pourront s’appliquer ailleurs».
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Les Métis, «un peuple distinct»
À Toronto et Vancouver, le cabinet Pape Salter Teillet LLP travaille depuis 40 ans avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits «pour obtenir un espace constitutionnel et juridique qui protège leurs terres, leurs identités, leurs cultures, leurs économies et leur autonomie gouvernementale».
Jason Madden, qui y est avocat partenaire, se spécialise en droit des Autochtones. Il est lui-même Métis et descendant des Halfbreeds of Rainy River and Rainy Lake d’Ontario.
Il explique que le terme «Métis» se retrouve pour la première fois dans la Loi constitutionnelle de 1982, sans être clairement défini. Les précisions entourant cette identité ont été apportées par la suite dans une série de décisions adoptées par différentes instances judiciaires.
L’avocat précise que le Canada «a inclus le terme dans sa propre constitution et les cours canadiennes ont interprété ce qu’il signifie».
D’après lui, la distinction est que les Métis sont «un peuple distinct qui a émergé dans le Nord-Ouest historique et qui a une histoire d’actions collectives ancrées dans la rivière Rouge, de même qu’à d’autres endroits, au contraire de ceux qui utilisent le terme Métis pour signifier “tous ceux qui sont mixtes”».
En ce qui concerne la définition légale, il rapporte que «la Cour suprême a dit être d’accord que les Métis ne sont pas seulement des gens avec des ancêtres autochtones, qu’ils ne sont pas des individus qui ont une grand-mère indienne ou juste une goutte de sang indien, cela ne fait pas un Métis d’après la Constitution canadienne».
«Ce que la Cour a dit est qu’en plus des ancêtres mixtes, les groupes distincts Métis doivent avoir développé leurs propres coutumes, culture et identités distinctes, séparément des Européens et des ancêtres Premières Nations», conclut Jason Madden.
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Quatre territoires pour les Inuits
Francis Lévesque, directeur du Module de l’École d’études autochtones à l’Université du Québec à Trois-Rivières, affirme que «les Inuits ont signé quatre ententes territoriales […] et les Inuits décident entre eux qui sont les Inuits. Donc, vous faites partie de la communauté que vous avez intégrée, vous avez des enfants, on vous considère comme Inuit, même si des fois cela n’est pas reconnu au niveau de la citoyenneté».
Il rapporte que les Premières Nations, les Métis et les Inuits sont définis à différents niveaux : «Pour les Premières Nations, c’est défini par une loi du 19e siècle [la Loi sur les Indiens, introduite en 1876, NDLR] ; pour les Métis, par un arrêt de la Cour suprême de 2003 [l’arrêt Powley] ; et pour les Inuits, par les quatre ententes territoriales, alors ce n’est vraiment pas une question simple.»
Francis Lévesque ajoute qu’en ce qui concerne les Inuits, ils «sont séparés par quatre territoires différents et ces territoires appartiennent à des provinces et territoires différents». Ainsi, «ils ne sont pas Indiens au sens de la Loi sur les Indiens, ils vivent vraiment dans des villages» et non dans des réserves.
De plus, «pour les Inuits, les revendications sont plus au niveau de la justice sociale […] Le cout de la nourriture et les couts des services, le cout de l’habitation, du loyer sont vraiment plus élevés et les gens n’ont pas plus d’argent. Il y a énormément de pauvreté, il y a énormément de faim, et les services ne sont vraiment pas adéquats», déplore le directeur.