«Depuis l’arrivée des Européens au Canada, des armoiries royales ont été utilisées», retrace le directeur de l’Autorité héraldique du Canada (AHC), Samy Khalid.
Jacques Cartier a planté une croix avec un écusson fleur de lysée à son arrivée en Gaspésie en 1534. Avant, Cabot aurait fait de même avec la bannière royale d’Angleterre, quelque part entre Terre-Neuve et le Cap-Breton en 1497.
Aujourd’hui, les armoiries du Canada demeurent le symbole d’une souveraineté sur un pays : ce sont des armoiries d’État, certes, mais aussi celles de la Reine du Canada.
Que représentent-elles? Sur l’écu que supportent le lion et la licorne du Royaume-Uni reposent les trois lions de l’Angleterre et celui de l’Écosse, la harpe de l’Irlande et les lis de la France. C’est «pour représenter les quatre pays de provenance des colons européens installés au Canada», décrit Samy Khalid, qui dirige l’équipe qui conçoit armoiries, drapeaux et insignes pour les citoyens et les organisations du Canada. Le lis revient au bas et sur un drapeau.
Puis au bas de l’écu reposent les feuilles d’érable, qui «représentent “tous les Canadiens”», précise le héraut d’armes.
Par ceci, veut-on signifier les Autochtones? Il en doute : «l’interprétation est large», se contente-t-il de dire.

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Un pays qui se taille une place
Si cette représentation renvoie à la réalité coloniale du pays, l’adoption des armoiries en 1921 constituait «un pas à l’avant», relève l’historien Joel Belliveau, chercheur en résidence au Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF).
À l’époque, le nationalisme canadien prend plusieurs formes et il n’est pas à un paradoxe près. «Beaucoup d’historiens anglophones parlent de la Première Guerre mondiale comme de la guerre d’indépendance du Canada», illustre Joel Belliveau.
L’idée d’être une colonie anglaise parmi tant d’autres déplait et la voix de la nation canadienne-française s’élève, soutient-il. «C’est paradoxal : on se battait pour la métropole impériale, mais en même temps naitra beaucoup de fierté [nationale]. À partir de là, le Canada va continuer à s’affirmer culturellement comme nation distincte.»

La feuille d’érable s’impose
L’affirmation identitaire canadienne passe donc par la création d’armoiries d’État, présente Samy Khalid. Des citoyens et des associations prennent l’initiative de former un comité avant même la fin de la Première Guerre mondiale.
À ce moment, le Canada a un collage des écus de chaque province, une «pizza héraldique». Le comité convainc le gouvernement du bienfondé du projet et celui-ci soumet une demande au Collège d’armes en Angleterre, «l’autorité responsable de la création et de l’enregistrement d’armoiries et d’emblèmes héraldiques, qui est rattachée au Palais», précise le directeur de l’AHC.
Les dossiers historiques recèlent d’idées soumises dès 1917, et la feuille d’érable y est bien présente. «Elle était déjà utilisée depuis au moins une centaine d’années, mais ça semble marquer une officialisation de ce symbole pour représenter le Canada», illustre le héraut en chef. Cette feuille semble alors faire l’unanimité, «tant chez les Canadiens anglophones que chez les francophones».
Résultat : avec leurs lis, leurs lions et leurs feuilles d’érable, les armoiries pourraient bien être l’un des premiers symboles du biculturalisme, extrapole l’historien Joel Belliveau. Il ajoute même que comme l’on y retrouve des symboles écossais et irlandais, «c’est comme une sorte de première mouture du multiculturalisme au Canada, qui reconnait sa diversité intérieure».
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Un symbole figé?
Les armoiries sont donc proclamées en novembre 1921. Figées par leur description, qui laisse cependant place à l’interprétation artistique, elles seront légèrement modifiées en 1957. On demande alors «qu’un artiste héraldique canadien redessine, réinterprète et modernise les armoiries», rapporte Samy Khalid.
Les feuilles d’érable prendront dès lors plus de place au bas de l’écu, et passeront du vert au rouge. De plus, la couronne qui chapeaute l’illustration sera changée puisque Elizabeth II, qui accède au trône en 1952, préfère la couronne de saint Édouard à celle de Tudor, que portaient ses prédécesseurs et qui se retrouve au sommet des armoiries.
À nouveau, en 1994, on ajoute l’anneau avec la devise du plus haut ordre national, soit l’Ordre du Canada.

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Le changement, une question politique
Des changements ont donc été apportés aux armoiries. Serait-il possible de les revoir, 100 ans après leur création? «Ce n’est pas une décision qui reviendrait à l’Autorité héraldique du Canada, c’est une décision politique», affirme celui quidirige l’AHC.
On ne change pas des armoiries comme on change un logo, renchérit-il. «Généralement, les hérauts ont la tâche de créer des armoiries en choisissant des symboles qui vont durer.» Il faut aussi tenir compte d’un sentiment d’attachement à «quelque chose qui nous est légué et qu’on transmet».
Il y a toutefois des précédents. En 2017, la Ville de Montréal a ajouté un pin blanc au centre de ses armoiries pour reconnaitre la contribution des peuples autochtones à la fondation d’Hochelaga. Auparavant, le blason montréalais ne faisait allusion qu’à la France, à l’Angleterre, à l’Écosse et à l’Irlande – comme les armoiries du Canada.

Pour sa part, Terre-Neuve-et-Labrador vient d’annoncer un changement dans la description de ses armoiries : «Les modifications proposées visent à changer la description légale de la Loi sur les armoiries afin d’ajouter “Labrador” au nom de la province et de supprimer le mot “sauvages” pour le remplacer par “Béothuks”.» (traduction libre)
Le Dr Khalid, historien de formation, se permet de philosopher par rapport à ce changement. «Pour des raisons comme ça, il faut se demander : “Est-ce que c’est un mouvement éphémère? Est-ce qu’il y a vraiment quelque chose à longue durée?” Aujourd’hui, on est vraiment dans un mouvement de réconciliation, de questionnement par rapport au colonialisme.»
Il poursuite la réflexion : «La beauté de la chose, c’est que l’interprétation symbolique d’armoiries, quelles qu’elles soient, peut évoluer en fonction de la personne qui s’y penche.» La branchette à trois feuilles d’érable, après tout, représente «tous les Canadiens, quels qu’ils soient».
«Est-ce suffisant?» Il lance la question et laisse chacun y répondre à sa façon.