le Jeudi 14 août 2025
le Jeudi 14 août 2025 6:30 Sciences et environnement

Recherche en français : l’Acfas déplore le «manque de respect» de deux ministres

Pourquoi faire confiance à Francopresse.
La recherche en français reste largement défavorisée par rapport à la recherche en anglais au Canada.  — Photo : Krishi06 CC0 Domaine public – Pxhere
La recherche en français reste largement défavorisée par rapport à la recherche en anglais au Canada.
Photo : Krishi06 CC0 Domaine public – Pxhere
FRANCOPRESSE – L’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences (Acfas) est déçue de l’absence de réponse à sa lettre envoyée aux ministres Mélanie Joly et Marjorie Michel au sujet du manque de soutien structurel, moral et financier pour la recherche en français au Canada.
Recherche en français : l’Acfas déplore le «manque de respect» de deux ministres
00:00 00:00

Dans la lettre publiée en juillet et signée par plus de 1000 personnes, l’Acfas dénonce un «système [qui] néglige trop souvent» la réalité des chercheurs et chercheuses francophones.

Des données sont mises de l’avant : les scientifiques d’expression française représentent «21 % de la communauté de recherche canadienne». Mais seulement entre «5 % et 12 % des demandes soumises aux trois grands conseils subventionnaires sont rédigées en français», souligne l’association scientifique.

Ce même système «décourage l’usage du français par crainte d’être mal compris ou mal évalué», affirment encore les signataires de la lettre.

À lire : La reconnaissance des sciences en français : un impératif (Libre opinion)

«Manque de respect»

L’Acfas n’avait pas reçu de réponse à sa lettre au moment d’écrire ces lignes, mais l’équipe média de la ministre de l’Industrie, Mélanie Joly, a répondu à Francopresse par courriel.

«Le gouvernement demeure résolument engagé à soutenir la recherche en français», écrit le bureau de la ministre.

Sophie Montreuil a le sentiment que «tous les travaux menés jusqu’ici» par l’Acfas avec le gouvernement semblent «ne pas avoir existé». 

Photo : Courtoisie Hombeline Dumas pour l’Acfas

«C’est complètement faux, se désole la directrice générale de l’Acfas, Sophie Montreuil. C’est un manque de respect par rapport aux revendications extrêmement légitimes et documentées de la communauté scientifique francophone, qui représente environ 65 000 personnes» au Canada.

Elle se sent doublement heurtée par la «réponse politique», qui repique des «éléments d’information pris à gauche et à droite».

L’Acfas a publié un rapport en 2021 qui interpelait le gouvernement de l’époque à propos du financement de la recherche en francophonie minoritaire. Mélanie Joly était alors ministre de Patrimoine canadien et responsable des Langues officielles.

Sophie Montreuil rappelle que la ministre Joly a fourni à l’Acfas le financement qui lui a permis de recruter l’équipe de recherche qui a mené l’étude. «C’est Mélanie Joly qui est à la source des données qu’on a sur le déclin de la recherche en français au Canada.»

La ministre Joly avait même fait des démarches pour que la nouvelle version de la Loi sur les langues officielles contienne une mesure positive spécifique sur la recherche en français et sa diffusion.

À lire : La Loi sur les langues officielles modernisée

Des interprétations différentes et une erreur

L’Acfas est troublé du manque d’action sur la question. Surtout après des années de travaux, dont certains ont été menés au Parlement. Le financement accordé à la recherche en français, comparativement à celui dédié à la recherche en anglais au Canada, reste un enjeu majeur.

La réponse du bureau de la ministre Joly à Francopresse fait valoir que 128 millions de dollars ont été débloqués pour le postsecondaire en français sur cinq ans dans le Plan d’action pour les langues officielles.

Ce montant concerne l’enseignement et non la recherche en français

— Sophie Montreuil

Le bureau de la ministre souligne aussi que cet argent sert «au développement d’une main-d’œuvre bilingue». Une thèse critiquée par Sophie Montreuil.

«C’est une interprétation extrêmement limitée de ce à quoi sert le Plan d’action pour les langues officielles. Parce que l’essentiel de ce plan, c’est le renforcement des communautés linguistiques en situation minoritaire au Canada, ce n’est pas de [rendre] des employés bilingues.»

Le gouvernement se dédouane

La réponse du bureau de Mélanie Joly se concentre ensuite sur les 8,5 millions de dollars débloqués sur cinq ans par le Plan d’action pour soutenir «l’écosystème de la recherche en français au Canada».

Le courriel de l’équipe ministérielle renvoie la balle au Service d’aide à la recherche en français (SARF), qui est administré par l’Acfas elle-même. Une manière de dire que s’il y a un souci, c’est à l’Acfas de s’en occuper.

«C’est un copier-coller à peine retravaillé de ce qu’il y a dans le plan d’action», fustige Sophie Montreuil. 

Cette dernière affirme que le SARF a été créé avant tout pour «répondre à des lacunes du système de soutien» aux chercheurs et chercheuses qui déposent des demandes de financement auprès des organismes subventionnaires.

Deux conseils subventionnaires, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) sont financés par le ministère de l’Industrie.

Les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) reçoivent des fonds du ministère de la Santé, dirigé par Marjorie Michel.

Ces trois instances ont reçu plus de trois-milliards de dollars en 2024.

Pour Sophie Montreuil, il revient «aux deux gros ministères» de financer la recherche en français.

Elle souligne que les 8,5 millions de dollars sur cinq ans, ce qui est équivalent à 1,7 million par an, ne font pas le poids par rapport aux trois milliards de dollars consacrés à la recherche par les deux ministères.

De plus, le SARF ne reçoit qu’une partie de ce montant. En 2023-2024, il a été financé qu’à hauteur de 118 000 $ et de 267 000 $ pour 2024-2025, selon les informations obtenues par Francopresse.

Le reste du 1,7 million de dollars finance d’autres initiatives, dont le Groupe consultatif sur la création et la diffusion d’information scientifique en français. Ce dernier effectue actuellement des consultations qui auront lieu jusqu’au 25 aout pour fournir un rapport visant à pérenniser la recherche en français. 

À lire : Les francophones en milieu minoritaire, orphelins de données

Traduire en anglais ou ne pas être financé

Les obstacles que les personnes désireuses de mener de la recherche en français doivent surmonter pour présenter des demandes de financement nécessaire à leurs travaux constituent aussi un autre point d’accroche. Ces personnes doivent déposer une demande de financement soit au CRSH, au CRSNG ou aux IRSC.

Toutes les demandes de financement doivent d’abord être déposées auprès d’un bureau de la recherche de l’université du chercheur ou de la chercheuse. Ce bureau l’accompagnera pour peaufiner sa demande.

«Dans une université bilingue ou unilingue anglophone, déposer une demande en français est pratiquement impossible», parce qu’elles ont rarement des conseillers à la recherche francophones ou suffisamment bilingues, déplore Sophie Montreuil.

Les deux choix sont donc de traduire la demande de financement en anglais, ce qui ajoute à sa charge de travail, la faire traduire par une personne qui connait moins bien son domaine ou de ne pas déposer de demande. Trop souvent, c’est la deuxième option qui l’emporte, dit-elle.

Le travail d’accompagnement qui ne peut pas être fait par le bureau de la recherche de l’université est fait par l’Acfas depuis 2023.

Dans son dernier rapport publié le 11 aout qui anticipe le budget fédéral de l’automne, l’association demande 600 000 $ par an au gouvernement, un montant destiné uniquement à l’aide au milieu de la recherche francophone dans ses demandes de financement.

Ce même rapport explique que pour la Subvention Savoir de l’automne 2024, le SARF avait permis une hausse de 30 % des demandes soumises en français par les institutions des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Le 11 aout, l’Acfas a publié un mémoire dans le cadre des consultations prébudgétaires du gouvernement fédéral.

Cinq recommandations exhortent de nouveau le gouvernement à prendre en compte la communauté scientifique francophone et à éliminer les défis.

La première est un rappel de la Loi sur les langues officielles (partie VII), qui exige la «représentativité des francophones dans toutes les strates de gouvernance». 

Type: Actualités

Actualités: Contenu fondé sur des faits, soit observés et vérifiés de première main par le ou la journaliste, soit rapportés et vérifiés par des sources bien informées.

Déclaration IA : Un outil d’intelligence artificielle a servi à la transcription de l’entrevue. La journaliste a révisé l’exactitude des extraits utilisés.

Renvois et références:

Ottawa

Inès Lombardo

Correspondante parlementaire

Adresse électronique: