Mauvaise nouvelle après mauvaise nouvelle, on peut parfois avoir l’impression que les médias contribuent à nourrir le sentiment d’écoanxiété omniprésent.
Pourtant, leur rôle reste plus que jamais essentiel, insiste le journaliste américain Mark Hertsgaard, cofondateur et directeur exécutif de Covering Climate Now, une initiative mondiale qui vise à améliorer et intensifier la couverture médiatique de la crise climatique.
Selon lui, les médias doivent non seulement informer à propos de l’urgence climatique, mais aussi mettre en lumière les solutions possibles et inspirer l’action politique.
Et à ses yeux, ils sont encore loin du compte.
Francopresse : Quel rôle jouent les médias vis-à-vis de l’écoanxiété et de la crise climatique?
Mark Hertsgaard : Il est très important, quand on parle de la crise climatique et de l’anxiété compréhensible des gens à ce sujet, de comprendre qui est le véritable coupable.

Selon Mark Hertsgaard, les médias devraient traiter le climat de la même manière qu’ils ont couvert la pandémie de COVID-19 : comme une urgence.
Ce sont les entreprises de combustibles fossiles qui sont à l’origine de cette crise. La responsabilité première incombe à ces entreprises, qui sont maintenant accusées par les tribunaux d’avoir commis des actes criminels. Elles savaient qu’elles allaient déstabiliser le climat, mais ont décidé de le faire quand même, et elles continuent à le faire.
Lorsque nous parlons de tout cela, replaçons-nous dans ce cadre, un cadre où je pense que les personnes ont tout à fait raison d’être anxieuses.
En ce qui concerne le rôle des médias, j’adopte un point de vue contraire à ce qui a été dit par rapport à l’anxiété climatique.
En fait, historiquement, aux États-Unis surtout, mais aussi au Canada, en Europe et dans la plupart des pays, les médias n’ont jamais été aussi francs qu’ils auraient dû l’être au sujet du changement climatique et de ses dangers. Ils sont restés essentiellement silencieux.
Quand nous avons commencé à couvrir le climat il y a cinq ans, en 2019, notre objectif explicite était de briser ce que nous appelons «le silence climatique». Parce que lorsque les médias sont silencieux à propos de quelque chose, le public ne sait pas. Et c’est ainsi que les grandes compagnies pétrolières et le gouvernement ont pu s’en tirer sans rien faire face à la crise.
Je pense donc que si les médias ont une responsabilité dans cette affaire, c’est celle-ci : ils n’ont pas parlé quand il le fallait et, aujourd’hui encore, ils ne parlent pas assez fort.
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Mais quand on est abonné à l’infolettre d’un média sur l’environnement par exemple, on a parfois l’impression que les mauvaises nouvelles s’accumulent. N’y a-t-il pas un risque que les gens se lassent et désespèrent?
Chez Covering Climate Now, nous avons, au cours des deux dernières années, insisté de plus en plus sur le fait que le journalisme climatique doit faire davantage de journalisme de solutions.
Nous ne prônons pas l’encouragement, l’activisme, l’édulcoration de la vérité ou quoi que ce soit de ce genre. Nous suggérons plutôt qu’un bon journalisme climatique devrait raconter toute l’histoire; les problèmes, mais aussi comment les résoudre.
Et encore une fois, il ne s’agit pas d’applaudir ces solutions, mais plutôt de faire ce que nous sommes censés faire en tant que journalistes : les interroger. Lesquelles sont réelles, lesquelles sont peut-être de fausses solutions?
En examinant les moyens potentiels de résoudre le problème, on informe le public et, par conséquent, les décideurs politiques, sur les solutions qui fonctionnent réellement.
Nous disposons de toutes les solutions dont nous avons besoin pour résoudre ce problème. Les scientifiques sont très clairs à ce sujet. […] La seule chose qui manque vraiment, c’est la volonté politique de la part des gouvernements de mettre de côté les intérêts particuliers et de poursuivre les politiques qui marchent.
Un bon reportage sur le climat devrait donc faire comprendre cela aux gens. Cela contribuerait grandement à lutter contre l’écoanxiété, car vous diriez au public : «Nous pouvons résoudre ce problème et devinez quoi, vous pouvez le faire.»
Si vous mettez tout cela ensemble, je pense que c’est là que les médias peuvent vraiment jouer un rôle positif.
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Pour Mark Hertsgaard, les différentes élections qui auront lieu cette année aux quatre coins de la planète «décideront de l’avenir de notre climat».
Élections cruciales
«Cette année, près de la moitié des habitants de la planète sont appelés à voter», souligne Mark Hertsgaard. Des élections qui, d’après lui, seront déterminantes pour l’avenir du climat.
«Ces élections décideront qui dirigera les gouvernements du monde au cours des cinq prochaines années et c’est au cours de ces années que nous devrons commencer à réduire les émissions [de gaz à effet de serre], faute de quoi il sera trop tard pour sauver une planète vivable.»
Il cite notamment le scrutin présidentiel américain de cet automne.
Selon vous, que pourraient faire les médias de plus? Pourquoi y a-t-il encore des lacunes dans la couverture climatique?
Je citerais un de mes collègues de l’Université Yale […] Sur une échelle de 0 à 10 – sous laquelle les médias ne parleraient pas du tout du changement climatique –, nous sommes maintenant à 1 ou 2, mais nous devrions être à 11.
La chose la plus importante que les médias peuvent faire pour le climat est de le traiter comme s’il s’agissait d’une urgence.
Le parallèle que nous faisons souvent est celui de la pandémie de COVID-19 […] Que vous soyez journaliste ou non, nous tous, dans les médias, avons traité la situation comme une urgence. Nous faisions trois ou quatre articles par jour.
Pourquoi avons-nous fait cela? Parce qu’il y avait urgence et que des gens mouraient.
Aujourd’hui, les gens meurent aussi du changement climatique. C’est juste que pour la plupart d’entre eux, le changement climatique n’est pas inscrit sur l’acte de décès et que la plupart ne sont pas des Blancs prospères.
Les victimes sont des personnes de couleur, des pauvres, et elles vivent la plupart du temps dans des pays en développement. C’est pourquoi nous n’y prêtons pas autant d’attention.
Pensez-vous que les médias ont un rôle plus important à jouer que les politiques?
Je pense que si la couverture médiatique atteignait un niveau de 11 sur 10, le système politique réagirait.
Il existe une relation très étroite entre la façon dont les médias présentent la réalité et celle dont les gouvernements et les hommes politiques réagissent, en particulier dans les démocraties. C’est malheureusement moins vrai dans les dictatures, où il y a très peu de médias indépendants.
Les dirigeants politiques doivent se préoccuper de l’état d’esprit de l’opinion publique, car cette dernière peut soit voter pour vous démettre de vos fonctions, soit, même sous un gouvernement autoritaire, protester, se rebeller, se révolter.
Ce que le public pense et croit est donc très important pour l’action d’un gouvernement et cela est profondément influencé par ce que font les médias.
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Les propos ont été réorganisés pour des raisons de longueur et de clarté.