Le journal britannique The Guardian publiait récemment une série d’articles qui interrogeait les leadeurs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) par rapport à leur vision de l’avenir.
La plupart d’entre eux (77 %) croient que, dans l’état actuel des choses, nous ne parviendrons pas à limiter le réchauffement climatique à moins de 2,5 °C par rapport à l’époque préindustrielle (av. 1850). Parmi les répondants au sondage du Guardian, 40 % prévoient un réchauffement au-dessus de 3 °C.
Rappelons que l’accord de Paris visait à limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C.
Ces résultats devraient tous nous alarmer profondément. Ces scientifiques sont à l’avant-plan de la recherche en matière de changement climatique. Ils savent que ce qu’ils prévoient correspond à un monde semi-dystopique, où les enfants d’aujourd’hui seront témoins de transformations difficiles à imaginer au cours de leur vie.
Les modèles prédisent qu’un réchauffement climatique de 3 °C d’ici 2100 entrainera le déplacement de milliards de personnes, la fonte totale de la calotte glacière arctique, une hausse du niveau des mers de plus de 1,5 m, l’augmentation par un facteur de 100 des évènements météo extrêmes, la déstabilisation majeure des capacités de production agroalimentaire, la disparition complète de la forêt amazonienne, une extinction de masse des espèces animales, etc.
Une récente étude publiée par le très sérieux National Bureau of Economic Research évalue que chaque degré d’augmentation de la température moyenne entrainera une contraction de 10 à 12 % du PIB mondial.
Dans un scénario à 3 °C, c’est une contraction de 31 % du PIB mondial qui est prévue. C’est énorme! C’est l’équivalent pour un pays de financer le cout d’une guerre comme celle en Ukraine, tous les ans, pour toujours.
Dans ce scénario, le cout réel d’une tonne de carbone devrait être de 1439 $ CA. En ce moment, le cout de la tarification carbone au Canada est de 80 $ la tonne! On est loin du compte…
Le Canada est dépendant du pétrole
Le Canada est loin, très loin de faire sa part pour limiter les changements climatiques. Nous ne sommes pas en voie d’atteindre nos objectifs, déjà modestes, de réduire de 40 % les émissions de carbone par rapport à 2005. Ces objectifs sont insuffisants pour atteindre nos engagements de l’accord de Paris.
Si tous les pays émettaient du carbone à la même intensité que le Canada, le réchauffement climatique atteindrait 4 °C d’ici la fin de la décennie. Nous serions alors dans la zone la plus catastrophique imaginée par les modèles, celle d’un déclin de la population humaine.
Le Canada arrive au deuxième rang des émetteurs de gaz à effet de serre par personne au monde, juste derrière l’Arabie saoudite. Chacun de nous émettons trois fois plus de carbone que l’humain moyen et six fois plus qu’un citoyen d’un pays en développement.
Ce bilan carbone peu enviable n’est pas principalement causé par nos habitudes de vie. Oui, nous voyageons trop en automobile ou en avion et nous mangeons trop de viande rouge ou de produits importés. En fait, nous consommons trop en général, mais ce n’est pas le cœur du problème.
Le Canada est un pétro-État dépendant économiquement de l’exploitation pétrolière et gazière. C’est là, de loin, la principale source d’émission carbone au pays. Ce secteur à lui seul représente près du tiers de toutes les émissions de gaz à effet de serre au pays, 10 fois plus que tout le transport par automobile.
Pourtant, on nous présente l’électrification des transports individuels comme une panacée sans jamais parler sérieusement de mettre fin à l’extraction pétrolière.
Se sevrer de l’apport économique de cette industrie représente un défi immense, tant pour le gouvernement fédéral que pour les provinces ou les travailleurs qui en dépendent. C’est pourtant le sacrifice qu’il faudra faire dans les prochaines années pour faire notre part et limiter les répercussions de la catastrophe à venir pour nos enfants et nos petits-enfants.
Que faire?
Que pouvons-nous faire devant un constat si alarmant? Nous avons souvent comme réflexe de nous en remettre à des gestes individuels pour limiter notre empreinte carbone. Il faut continuer de se questionner sur nos habitudes de vie et tenter de consommer avec modération et différemment.
Mais selon les scientifiques du GIEC, le principal geste pour faire pencher la balance consiste à élire des gouvernements qui appuient l’implantation de mesures environnementales importantes, dans les pays où cela est possible.
Le parti libéral n’a pas un plan assez ambitieux pour éviter la crise. Le parti conservateur n’en a pas — du moins pour l’instant. Mais même quelqu’un comme Pierre Poilievre, qui est d’abord un populiste et un démagogue, mettrait de l’avant des mesures pour limiter les émissions de gaz à effet de serre s’il sentait une demande en ce sens de la population.
Ce futur dystopique n’est pas une fatalité. Chaque dixième de degré de réchauffement en moins changera le cours des choses pour les plus jeunes. Agissons maintenant, car retarder nos actions imposera un cout encore plus grand à ceux qui viendront après nous.