La COP 15 doit permettre d’adopter une nouvelle feuille de route pour freiner la perte de biodiversité d’ici à 2030. Les observateurs espèrent que ce rendez-vous provoquera une prise de conscience équivalente à celle suscitée par l’accord de Paris sur le climat conclu en 2015.
Il faut dire que tous les indicateurs de l’environnement sont au rouge : les espèces disparaissent à un rythme inédit, plus d’un million d’espèces sont menacées d’extinction, et l’humain a déjà dégradé 75 % de la surface de la Terre.
Malgré ces chiffres à donner le vertige, l’élan politique fait jusqu’ici défaut.
Environ 350 acteurs de la société civile se sont déclarés «profondément préoccupés par le manque d’ambition des gouvernements». Ils ont exhorté les dirigeants de la planète à faire de la COP 15 «une priorité».
Qu’est-ce que la biodiversité?
La biodiversité désigne l’ensemble des espèces et des êtres vivants sur Terre ainsi que les écosystèmes dans lesquels ils vivent. Ce terme comprend également les interactions des espèces entre elles et avec leurs milieux.
Bien que la biodiversité soit aussi ancienne que la vie sur Terre, ce concept n’est apparu que dans les années 1980. La Convention sur la diversité biologique signée lors du sommet de la Terre de Rio de Janeiro (1992) reconnait pour la première fois l’importance de la conservation de la biodiversité pour l’ensemble de l’humanité.
À part le premier ministre canadien, aucun chef d’État ou de gouvernement ne sera présent à Montréal, alors qu’ils étaient plus de 120 à l’ouverture de la COP 27 sur les changements climatiques, en Égypte en novembre dernier.
«Si la prise de conscience progresse, la biodiversité préoccupe toujours moins que le climat», constate Éric Pineault, sociologue et membre de l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Montréal.
Manque d’intérêt des médias
«Les espèces qui s’éteignent, ça ne change rien et ça change tout, c’est le paradoxe. Quand on voit l’extraordinaire résilience de la nature dès que l’homme relâche la pression, on se dit que la vie est plus forte que tout», témoigne Dominique Berteaux, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en biodiversité nordique et professeur à l’Université du Québec à Rimouski.
«En même temps, on sait que c’est catastrophique, car l’histoire du vivant, c’est l’histoire de la diversification», ajoute-t-il.
Le biologiste reconnait que la communauté scientifique «a pris du retard en matière de vulgarisation et de transmission de l’information au grand public».
La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) n’a été créée qu’en 2012 alors que son équivalent pour le climat, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), a été établi 24 ans plus tôt, en 1988. L’IPBES fait le lien entre la communauté scientifique et les gouvernants. En mai 2019, elle a publié le premier rapport d’évaluation mondiale sur la biodiversité et les services écosystémiques, pour aider à la prise de décision politique.
«La crise de la biodiversité est aussi un enjeu qui passe sous les radars des médias», poursuit Dominique Berteaux. Il a participé à une étude selon laquelle, entre 1991 et 2016, la couverture médiatique des changements climatiques était jusqu’à huit fois supérieure à celle de la biodiversité au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni.
La représentation du problème climatique est en effet plus simple. «Plus les émissions de gaz à effet de serre augmentent, plus la planète se réchauffe. Les évènements climatiques extrêmes sont spectaculaires, explique Dominique Berteaux. Pour la biodiversité, c’est plus flou, il n’existe pas d’image ni d’indicateur aussi évident.»
Résultat, le message a du mal à porter.
Climat et biodiversité, les deux faces d’une même médaille
D’après un récent rapport publié par le Fonds mondial pour la nature (WWF), les océans, les sols, les plantes et les animaux ont absorbé 54 % des émissions de gaz à effet de serre durant les dix dernières années. Ils ont ainsi contribué à «ralentir le réchauffement».
La biodiversité atténue également les effets du changement climatique. Les océans jouent, par exemple, un rôle important dans l’absorption de la chaleur. Les forêts peuvent, elles, empêcher des glissements de terrain provoqués par des inondations.
À l’inverse, le réchauffement menace directement la biodiversité. Les dérèglements climatiques vont même devenir l’un des facteurs principaux à l’origine de l’effondrement du vivant dans les années à venir.
La nature, «indispensable à notre bienêtre»
Le plus grand malheur de la biodiversité, c’est qu’elle demeure largement invisible. «Alors même qu’elle est partout, les humains ne la voient pas, car ils n’ont plus le sentiment de faire partie de la nature», analyse Sabaa Khan, directrice générale de la pour l’Atlantique et le Québec.
Les 82 % de la population canadienne qui vivent en ville «sont déconnectés de la nature», renchérit Éric Pineault.
Au Canada, il y a des espèces emblématiques de la lutte contre la perte de la biodiversité, comme l’ours polaire, le bélouga ou le caribou. «Mais il y a aussi toutes celles que l’on oublie, les insectes, les microorganismes, tout ce qui vit dans les sols ou sous la surface de la mer, loin de nos regards», souligne Éric Pineault.
Le sociologue insiste : «Savoir identifier les espèces, les nommer, aide à la prise de conscience. La méconnaissance des noms des plantes et des animaux masque au contraire les disparitions.»
La biodiversité ne se limite pas non plus à une liste. «Elle repose sur des relations et des interdépendances d’une grande complexité, rappelle Sabaa Khan. Toutes ces dimensions font qu’elle est indispensable à notre bienêtre, que ce soit pour l’alimentation, l’agriculture ou la santé humaine.»
«Parler au cœur des gens»
Pour tenter de mobiliser le plus grand nombre possible, les trois spécialistes interrogés appellent à replacer les humains au centre de la nature.
«Il faut parler au cœur des gens, faire appel à leurs émotions, pour qu’ils soient à nouveau émerveillés devant l’extraordinaire beauté et diversité de la vie sur notre planète», plaide Dominique Berteaux. À cet égard, il estime que l’école a un rôle fondamental à jouer.
Aux yeux d’Éric Pineault, émerveiller les gens par des mots ne suffit pas : «On doit également les convaincre de s’immerger. Il faut les emmener en forêt, dans des parcs qui les entourent afin qu’ils touchent par eux-mêmes les richesses naturelles.»
Les négociations à la COP 15 s’annoncent difficiles, mais Éric Pineault est persuadé que l’évènement va accélérer la conscientisation. «Le plus important c’est d’apprendre à communiquer sur l’urgence de la situation tout en suscitant l’adhésion. On doit proposer des solutions justes et équitables», observe-t-il.
La course contre la montre est lancée.
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