La Commission de la fonction publique du Canada (CFP) a reçu 18 demandes d’exemption pour raison d’ordre médical lors de l’exercice financier 2023 à 2024. En 2019-2020, elle en avait reçu une seule.
«Ceci représente une augmentation continue au cours des 5 derniers exercices financiers», lit-on dans le rapport annuel 2023-2024 de la CFP.
«De nombreux facteurs peuvent influencer les demandes, tels que le volume de dotation», dit la CFP dans une réponse par courriel. Les effectifs généraux de la fonction publique fédérale ont certes augmenté, mais la CFP ignore si le nombre de fonctionnaires potentiellement admissibles à une exemption a fait de même.
«Nous pouvons cependant affirmer que, parmi les demandes reçues depuis 2018, seulement deux ont été refusées», révèle-t-elle.
Et dans les deux dernières années, sur les 28 demandes d’exemption reçues, 27 concernaient l’apprentissage du français. Cette proportion reflète la distribution générale des demandes reçues par la CFP dans le passé, confirme l’organisme.
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Explications
Plusieurs postes au sein de la fonction publique exigent le bilinguisme. Selon le poste, il faut posséder une certaine maitrise des deux langues officielles, le français et l’anglais. Les fonctionnaires doivent passer des tests pour faire évaluer leur niveau de bilinguisme.
Grâce à un décret d’exemption, il est possible d’occuper un poste bilingue sans connaitre les deux langues si un problème de santé empêche l’apprentissage d’une seconde.
«C’est une exception à la règle générale, utilisée seulement dans certaines situations exceptionnelles», écrit la CFP dans un courriel. Un ou plusieurs spécialistes de la santé doivent fournir de la documentation médicale pour appuyer toute demande d’exemption.
La CFP donne en exemple la surdité, la dyslexie grave et des troubles neurologiques comme cause pouvant expliquer une incapacité à apprendre une langue.
Le français minoritaire
Dans les deux dernières années, une seule demande d’exemption pour une raison d’ordre médical concernait l’apprentissage de l’anglais. La fonction publique canadienne a beau compter plus de fonctionnaires anglophones que francophones, les demandes d’exemptions sont disproportionnelles.
2023-2024, 2024-2025
- Nombre d’exemptions concernant l’apprentissage du français : 27 sur 28
- Nombre de fonctionnaires dont l’anglais est la première langue officielle parlée : environ 258 000
- Nombre de fonctionnaires dont le français est la première langue officielle parlée : environ 101 000
La CFP note que l’exemption est accordée dans les cas où une personne est incapable d’apprendre une deuxième langue officielle, et ce, «même avec une formation linguistique».
Est-ce qu’alors les fonctionnaires francophones sont moins susceptibles d’être atteints d’un trouble empêchant l’apprentissage de l’anglais? Ce n’est pas l’hypothèse de la professeure d’orthophonie à l’Université Laurentienne, en Ontario, Michèle Minor-Corriveau.
Selon elle, «le contexte minoritaire» rend l’apprentissage du français plus difficile au Canada. «Si je vais en Espagne, je n’ai pas le choix, tout se passe en espagnol. C’est sûr que l’espagnol me viendrait beaucoup plus facilement.»
Rappelant qu’«il est difficile pour tout adulte d’apprendre une autre langue», l’orthophoniste explique que, pour ce faire, «ça prend vraiment un milieu, un contexte dans lequel on peut faire des échanges».
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Au-delà de la formation linguistique, il y a la langue du milieu, fait-elle remarquer. Sans douter de la rigueur avec laquelle les exemptions sont accordées dans la fonction publique, Michèle Minor-Corriveau témoigne de «gens qui ont connu de grands succès à apprendre une langue, même à l’âge adulte, malgré des troubles qui justifieraient une exemption, parce que la motivation était là».
La motivation, ce n’est pas le seul facteur, mais c’est le plus important. Même quelqu’un qui souffre de dyslexie, s’il veut marier quelqu’un qui vient d’un autre pays, il voudra pouvoir communiquer avec cette personne-là.
La responsabilité des gestionnaires
Dans le cas d’une exemption pour raison d’ordre médical, il revient aux gestionnaires «de prendre des mesures pour assurer les tâches ou fonctions bilingues liées au poste aussi longtemps que la personne qui occupe le poste ne répond pas aux exigences linguistiques», explique la CFP par courriel.
«Il incombe aux institutions de déterminer les mesures appropriées au cas par cas, en tenant compte des fonctions et des responsabilités uniques du poste à doter», écrit-elle. Un partage des fonctions avec un autre fonctionnaire, bilingue, de même niveau peut par exemple avoir lieu.
«Ça met l’emphase sur le handicap»

«Il n’existe aucun examen pour évaluer les compétences d’une personne en LSQ ou en ASL. Faute de cet examen-là, on donne des exemptions médicales», dit Richard Belzile.
C’est ce que dénonce le directeur général de l’Association des sourds du Canada, Richard Belzile, qui préfèrerait que l’on parle davantage d’«accommoder» plutôt que d’exempter des personnes des exigences liées à un poste.
«Ça met l’emphase sur le handicap, sur le négatif, remarque-t-il. Si une personne est en fauteuil roulant et qu’il y a trois marches, on ne va pas [lui] donner une exemption de venir au travail, mais on va construire une rampe. C’est au deuxième étage? On va mettre un ascenseur.»
Richard Belzile reconnait que l’exemption permet un transfert de responsabilités liées à une seconde langue officielle, mais estime que cette solution est limitée : «Si tu cherches un poste où les tâches ne peuvent pas être transférées, si on demande un poste de gestion ou de superviseur de 30 ou 40 employés, si on demande le poste de sous-ministre, est-ce qu’on va donner une exemption médicale?»
Sans prétendre avoir les réponses à tout, Richard Belzile aimerait que le gouvernement se penche davantage sur la manière d’intégrer les personnes atteintes de surdité, au-delà d’exemptions.
Il fait remarquer que la fonction publique ne teste pas la connaissance de la langue des signes québécoise (LSQ) ni de l’American Sign Language (ASL), et propose que cela soit rectifié.
«Si tu testes la personne selon ces langues, tu vas voir qu’elle est bien qualifiée pour le poste. Et là, la question en devient une d’accommodation au lieu d’une exemption médicale», conclut Richard Belzile.
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