Si Google est inculpé, la concurrence au sein du marché de la publicité pourrait augmenter, explique le professeur expert en droit de la concurrence à l’Université de Montréal, Pierre Larouche. «Pour les médias canadiens, ce serait de bonnes nouvelles.»
Jennifer Quaid, professeure agrégée à l’Université d’Ottawa et experte en droit pénal des entreprises et des pratiques commerciales éthiques, abonde dans le même sens : «C’est sûr que la question de la publicité en ligne est importante parce que c’est [en partie] comme ça que les journaux se financent.»
Les quotidiens canadiens ont vu leurs revenus publicitaires chuter de 75 % en 10 ans, passant de 2,261 milliards de dollars en 2012 à 565 millions en 2022, selon le Centre d’études des médias.
«Affectés, eux aussi, par la forte concurrence au sein du marché publicitaire, ils ont récolté en 2022 à peine 3 % des dépenses des annonceurs, alors que les plateformes en ligne non affiliées aux médias traditionnels en ont amassé 69 %», indique le Centre sur son site Web.
Mise en contexte
Après une enquête, le Bureau de la concurrence du Canada a conclu que Google a abusé de sa position dominante dans le domaine de la publicité en ligne au Canada. Il a annoncé le 28 novembre qu’il poursuivait le géant du numérique pour comportement anticoncurrentiel, demandant une ordonnance au Tribunal de la concurrence.
Dans sa demande, le Bureau exige entre autres que Google vende deux de ses outils de technologie publicitaire (DFP ou AdX) et paie une sanction administrative pécuniaire.
«Le Bureau est d’avis que le contrôle quasi total de Google sur la pile de technologie publicitaire est le fruit d’une volonté délibérée», peut-on lire dans un document d’information.
Dans des documents judiciaires déposés le 14 février, Google écrit que si acceptée, la demande du commissaire qui cherche à invoquer les dispositions sur l’abus de position dominante de la Loi sur la concurrence nuira à l’innovation et à la concurrence au Canada.
La société indique également faire face à une concurrence dans l’industrie des technologies de la publicité, notamment de la part d’Amazon, de Meta et de Microsoft.
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«C’est l’espoir»
Si Google perd sa cause, d’autres entreprises auront l’occasion d’accaparer des parts du marché de la publicité, explique Pierre Larouche. Et s’il y a plus de concurrence, de meilleures conditions pourraient s’offrir aux annonceurs.

C’est l’espoir. On parle de concurrence qui s’installerait avec des prix plus bas pour la publicité en ligne et peut-être une meilleure rémunération pour les entreprises qui reçoivent les publicités.
Un marché publicitaire plus accessible aux médias canadiens ne serait pas de trop, laissent entendre les deux professeurs. À l’heure actuelle, le financement gouvernemental est parfois insuffisant, les abonnements tendent vers le bas et une entente de contribution avec Google n’est pas une garantie pour tous.
«Les plus petits médias sont des participants dans cet écosystème de publicité, il est indéniable qu’ils vont également être affectés, affirme Jennifer Quaid. En raison de leur petite taille, ils ne sont pas vraiment en position d’imposer des conditions commerciales et de résister à des conditions qu’ils ne trouvent pas intéressantes.»
«C’est difficile de prédire» ce qui arrivera, reconnait Pierre Larouche. «Ça dépend de quel côté Google se départirait de ses activités.»
Les petits médias inquiets
Cette incertitude inquiète la coordinatrice du Consortium des médias communautaires de langues officielles en situation minoritaire, Linda Lauzon. «Ce dossier n’est pas noir ou blanc. On ne prend pas en considération l’impact d’une telle ouverture de marché sur les petits médias.»

Jennifer Quaid fait remarquer que des changements ont récemment été apportés à la Loi sur la concurrence. Ce dossier donnera l’occasion au Tribunal de la concurrence d’interpréter certaines dispositions.
Grâce à Google Ad Manager, «la plupart des médias locaux» gèrent gratuitement leur publicité en ligne. Plusieurs se servent aussi de Google AdSense, qui permet aux éditeurs de monétiser leurs espaces publicitaires.
Si la poursuite entamée par le Bureau de la concurrence devait mettre à mal ces options, Linda Lauzon espère que des alternatives abordables se présenteront.
Même si le Bureau ne demande pas à Google de délaisser Ad Manager et AdSense, la société reste une «business», rappelle Mme Lauzon. En réaction à la poursuite, «est-ce qu’[elle] ne pourrait pas rendre Ad Manager payant?», s’interroge la coordinatrice.
Et bien qu’elle reconnaisse la dominance de Google dans l’écosystème publicitaire en ligne, elle estime qu’une ouverture du marché pourrait mettre en compétition grands et petits médias, une bataille perdue d’avance : «Aussitôt que tu fais éclater le marché, c’est l’offre et la demande qui embarquent.»
«En ce moment, c’est encore hypothétique», reconnait Linda Lauzon.
Mais encore une fois, on est oubliés. Après ça, il y a des conséquences, et on est mis devant le fait accompli.
Selon elle, les médias locaux auraient dû être consultés dans ce dossier.
Journaux locaux
Les recettes publicitaires totales des journaux locaux étaient de 401 millions de dollars en 2021, selon News Media Canada. La publicité en ligne représente 11 % de ce montant. Le reste provient de la publicité des imprimés.
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La main dans tous les sacs
Ce qu’on reproche à Google, explique Pierre Larouche, c’est d’avoir une présence dans trois domaines : celui des annonceurs, des pages Web et du marché entre les deux. «Google utilise les connaissances qu’il a d’un côté pour améliorer sa performance dans l’autre.»
On lui reproche «d’avoir la main dans tous les éléments du ad-stack. Essentiellement il est vendeur, acheteur et le responsable du déroulement de la vente aux enchères», illustre Jennifer Quaid.
Dans des documents judiciaires, Google se défend d’avoir agi de manière anticoncurrentielle et implore le Tribunal de voir le marché «comme un tout» dans lequel ses technologies ont permis d’harmoniser les correspondances entre éditeurs et annonceurs.