En visite sur la Colline le 5 novembre, Francesca Albanese, rapporteuse spéciale de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, n’a pas caché son irritation.
«Il ne m’échappe pas qu’en dépit de l’urgence de la situation actuelle, à quelques exceptions près, les dirigeants politiques de ce pays ont choisi de ne pas me rencontrer ou de retirer leur invitation de discuter de ce qu’il se passe en Palestine», a-t-elle lancé en conférence de presse.
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Invitations retirées
La rapporteuse spéciale a demandé une réunion avec la ministre Mélanie Joly. Elle devait finalement rencontrer des fonctionnaires du ministère Affaires mondiales, mais cette rencontre a été annulée une semaine avant, «en raison d’autres engagements», rapporte par écrit à Francopresse le secrétariat de Francesca Albanese.
En mêlée de presse avec Francopresse le 6 novembre, Mélanie Joly a nié l’existence d’un tel rendez-vous.
Lors d’une réunion à huis clos du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, actuellement chargé d’examiner comment le Canada peut reconnaitre l’État palestinien, il a également été décidé que la rapporteuse ne serait finalement pas invitée à témoigner, alors que c’était prévu, selon un greffier du comité interrogé par le Toronto Star.
Selon le prédécesseur de la rapporteuse de l’ONU, le Canadien Michael Lynk, rien n’oblige le bureau de la ministre à rencontrer la rapporteuse spéciale. «Je pense que [l’annulation de la rencontre] vient probablement de la pression exercée par le lobby israélien pour qu’ils ne la rencontrent pas.»
Le 28 octobre, le Centre consultatif des relations juives et israéliennes a demandé au gouvernement du Canada de «dénoncer et condamner clairement les actions et déclarations d’Albanese, et veiller à ce que la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, et l’ambassadeur Bob Rae fassent écho à cette condamnation». Il exigeait aussi qu’aucun fonctionnaire ne la rencontre.
Devant la demande de la rapporteuse spéciale de cesser les exportations d’armes et d’équipements militaires à Israël, Mélanie Joly a répondu : «J’ai vu dans les médias qu’elle avait demandé plusieurs choses au Canada qu’on fait déjà. Alors clairement, elle n’est pas au courant de nos positions.»
Demande de cesser des transactions avec Israël
Francesca Albanese était en visite au pays pour demander au gouvernement canadien de faire un audit de ses relations militaires, économiques et politiques avec Israël.
Elle a insisté sur l’arrêt immédiat des envois d’armes à Israël. Cette demande découle d’une ordonnance contraignante de la Cour internationale de justice du 26 janvier 2024.
En conférence de presse le 5 novembre, la rapporteuse spéciale a pourtant soutenu que ces transferts avaient encore lieu. «On risque d’être complices de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité», a-t-elle fait valoir.
Francesca Albanese demande aussi au Canada de faire preuve de transparence concernant ses tractations avec Israël et la révision de l’Accord de libre-échange entre les deux pays.
«Ce n’est pas moi qui le demande, c’est le droit international qui l’exige», a-t-elle souligné, en référence à une autre décision de la Cour internationale de justice du 19 juillet dernier, qui a déclaré que l’occupation de la Palestine par Israël était «illégale».
Mandat d’arrêt international
Lors de son passage, elle a également insisté sur le fait qu’Israël était en train de commettre «un génocide colonial diffusé en direct» envers les Palestiniens.
Devant l’ONU en septembre, le premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, soutenait que le pays mettait «tout en œuvre» pour réduire le nombre de victimes civiles.
Toutefois, la Cour pénale internationale (CPI) a lancé le 21 novembre un mandat d’arrêt contre lui et son ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant, et contre un responsable du Hamas, Mohammed Diab Ibrahim Al-Masri, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
La CPI affirme que MM. Nétanyahou et Gallant «portent également la responsabilité pénale en tant que dirigeants civils du crime de guerre consistant à diriger intentionnellement une attaque contre la population civile».
Les deux hommes ne peuvent se déplacer dans aucun des 124 États membres de la CPI, sous peine d’être arrêtés.
Israël a dénoncé un jugement «antisémite» et rejette, avec Washington, le mandat de la CPI.
Un rapport de l’ONU dénonce les «horreurs» en Palestine
Francesca Albanese était aussi en visite au Canada pour présenter son dernier rapport sur «la destruction systématique de Gaza».
Ce dernier recense qu’en mars 2024, «Israël a tué 10 037 Palestiniens et en a blessé 21 767 lors d’au moins 93 massacres, ce qui porte le bilan à près de 42 000 et 96 000 respectivement, bien que les chiffres provenant de sources fiables soient incomplets et puissent sous-estimer l’ampleur des pertes».
L’Afrique du Sud a accusé Israël devant la Cour internationale de Justice (CIJ) de ne pas respecter la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948.
La Convention définit le «génocide» comme un «certain nombre d’actes commis dans l’intention de détruire, intégralement ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux tels que : le meurtre de membres du groupe; l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe; la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entrainer sa destruction physique totale ou partielle; l’application des mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; et le transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe».
Le Canada enfreint les lois internationales
«Le Canada a des obligations claires en matière de droit international envers le peuple palestinien», a rappelé Francesca Albanese.
Selon Michael Lynk, le Canada violait les lois internationales «avant même» la décision rendue en juillet par la Cour internationale de Justice, qui a déclaré l’occupation israélienne illégale.
Michael Lynk rappelle que le Conseil de sécurité de l’ONU avait déjà déclaré, en 1980 et en 2016, que les États membres devaient différencier leurs relations commerciales entre Israël et les colonies israéliennes.
Si le pays a récemment pris des mesures pour retirer la désignation d’organisme de bienfaisance au Fonds national juif – ce dernier a fait appel de la décision du gouvernement –, il autorise toujours ce Fonds à envoyer de l’argent dans les colonies.
Loi «douce» et poursuite contre le ministre de la Justice
«Hélas, il n’y a pas vraiment de conséquences quand un pays viole les lois internationales», observe Michael Lynk.
«À moins que d’autres pays ne décident de prendre des mesures contre le Canada ou qu’il y ait une action au sein du pays, par le biais de tribunaux qui déclarent que la politique du Canada viole ses obligations internationales, il n’y a vraiment aucune conséquence juridique ou politique pour le Canada.»
Il assure toutefois que la loi internationale reste utile, car elle peut «et doit» être une cible commune entre les peuples. «C’est probablement le moyen le plus efficace. Le public ou des journalistes courageux tentent de faire honte au gouvernement pour qu’il obéisse à ce qu’il a promis d’obéir.»
Au lendemain de l’intervention à Ottawa de la rapporteuse spéciale de l’ONU pour les territoires palestiniens, la Coalition pour la responsabilité du Canada à Gaza a annoncé poursuivre le ministre fédéral de la Justice, Arif Virani, devant la Cour fédérale.
Selon la Coalition, le ministère a manqué à ses obligations au regard des lois internationales en ce qui a trait à l’accueil de réfugiés Canadiens-Palestiniens et la réunification avec leur famille à Gaza.