Alors que s’amorçait la dernière semaine de consultation de la Commission sur l’ingérence étrangère, le panel sur le renforcement de la «résilience démocratique» s’est surtout prêté lundi à un exercice de définitions.
Alors que les experts rassemblés lançaient leurs idées de stratégies pour renforcer la résilience démocratique, Tanja Börzel, la directrice du pôle d’excellence Contestations of the Liberal Script à l’Université libre de Berlin, invitée par la Commission, a proposé une piste pour la définir.
Interrogé par Francopresse sur la question, le professeur émérite de l’Université d’Ottawa, François Rocher, croit que la résilience démocratique est une mauvaise piste : «Ici, il ne s’agit pas de s’adapter à l’ingérence étrangère, il ne s’agit pas de s’assurer d’une résilience démocratique. Il s’agit plutôt de contrer l’ingérence de pays tiers dans les choix démocratiques qui sont faits par les citoyens.»
Pistes de résilience
Devant la Commission, le journaliste parlementaire Stephen Maher a plaidé pour une éducation des citoyens sur la nécessité de s’informer pour renforcer leur confiance envers leurs institutions et les médias et, ainsi, appuyer la résilience démocratique.
Pour la professeure Tanja Börzel, une approche gouvernementale ne suffit pas, il faut une mobilisation de toute la société. «La bonne nouvelle, c’est que le Canada dispose d’un fort capital de confiance en ses institutions, selon des données de l’OCDE.»
En effet, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a enquêté en 2023 sur la confiance dans les gouvernements nationaux/fédéraux dans le monde. Celle des Canadiens atteignait 49 %, un score supérieur à la moyenne mondiale de 39 %.
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La spécialiste recommande de «penser à des stratégies sur le renforcement de la résilience plutôt que détecter, dissuader et punir l’ingérence étrangère».
La résilience, «un concept un peu vide»
«C’est comme arriver avec le gâteau avant d’avoir mis des ingrédients dedans», analyse François Rocher.
Pour ce dernier, puisque le niveau de confiance des citoyens baisse, «on ne peut pas arriver avec une solution en disant que l’on met sa confiance à l’endroit des institutions. On ne peut pas dire “on va faire confiance aux gens pour qu’ils partagent le vrai du faux” si on est sous une pluie de faussetés [de désinformation, NDLR]. Il faut commencer par ouvrir le parapluie».
La résilience démocratique est «un concept un peu vide», insiste François Rocher. «Ça [laisse croire] que les citoyens sont un peu responsables de leur propre sort et ça donne lieu à toutes sortes de dérives.»
Définir l’ingérence pour mieux s’y attaquer
La question de la définition de l’ingérence étrangère a aussi créé un obstacle lors de ce premier panel d’experts. Même si elle a déjà été définie par la Commission.
Qu’est-ce que l’ingérence étrangère?
«Les activités influencées par l’étranger qui sont des menaces envers la sécurité du Canada sont celles : qui touchent le Canada ou s’y déroulent, qui sont préjudiciables à ses intérêts, qui sont de nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque», définit la commissaire Marie-Josée Hogues, qui mène l’Enquête publique sur l’ingérence étrangère, dans son rapport initial.
Pour le professeur de philosophie de l’Université de Warwick au Royaume-Uni, Qassim Cassam, il faut absolument une définition de l’ingérence étrangère «facile à comprendre pour être utilisable», afin de se doter d’un cadre de travail fiable.
Selon lui, cette définition inclut les «formes traditionnelles d’ingérence, mais aussi la forme moins traditionnelle, comme celle de la désinformation lors de campagnes électorales sur les médias sociaux, par exemple».
Avec une définition «on veut que nos filets attrapent les poissons que l’on veut, pas les poissons que l’on ne veut pas», illustre l’universitaire.
C’est tout l’inverse pour son collègue Hoi Kong, professeur et titulaire de la Chaire de la Très Honorable Beverley McLachlin en droit constitutionnel, à l’Université de la Colombie-Britannique. : «Il ne faut pas perdre du temps à définir l’ingérence mais se concentrer davantage sur le pourquoi de sa régulation et identifier les activités qui en font partie.»
Les panels sur d’autres thèmes qui seront tenus cette semaine aideront la Commissaire à bâtir son rapport, qui devra être déposé avant le 31 décembre.
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