Le 8 aout dernier, à Halifax, le ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et des Langues officielles, Randy Boissonnault, annonçait un investissement de 227,9 millions de dollars sur cinq ans dans le cadre d’ententes bilatérales pour soutenir l’offre de services offerts aux communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM).

Selon Rémi Léger, des clauses linguistiques dans les ententes garantiraient une considération des besoins des CLOSM.
Ces ententes, signées avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, visent des secteurs de juridiction provinciale tels que la santé, l’éducation et les services de garde.
«Dans la Constitution de 1867, on partage les pouvoirs entre le fédéral et les provinces et on partage aussi les pouvoirs de taxation», explique Rémi Léger, professeur agrégé de sciences politiques à l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique.
«Sauf que ce pouvoir de taxation est inégal : celui du gouvernement fédéral est plus étendu que celui des provinces», souligne-t-il. Ce déséquilibre permet au gouvernement fédéral de dépenser dans des champs de compétences provinciales, comme la santé et l’éducation.
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Pallier un manque d’ambition
Si certaines ententes bilatérales sont spécifiques aux francophones en situation minoritaire, c’est que le fédéral, soumis à la Loi sur les langues officielles, «veut appuyer le français et anglais à l’échelle fédérale», estime le chercheur.
«Les provinces et territoires n’ont pas toujours cette même ambition. […] Au fil des années, le gouvernement fédéral a compris que s’il voulait effectivement faire la promotion de ces deux langues, il allait devoir lui-même intervenir, parce que certaines provinces étaient très peu ou pas du tout intéressées par ce projet.»
Au niveau des langues officielles, plusieurs gouvernements se fient sur le fédéral pour offrir des services en français.
«Toutes les ententes bilatérales visent à aider les provinces et territoires à offrir des services provinciaux, territoriaux et municipaux dans la langue de la [CLOSM]», confirme le bureau de Randy Boissonneault par courriel.
Et pour la reddition de compte, le gouvernement fédéral effectue une vérification annuelle «à l’aide de rapports sur les dépenses et les résultats soumis par les gouvernements des provinces et territoires», lit-on.
Mais selon Rémi Léger, les ententes non spécifiques aux CLOSM ne leur assurent pas systématiquement une offre de services. «Dans certains cas, [les francophonies] ne sont pas du tout impliquées.»
C’est pour cette raison, ajoute-t-il, qu’une discussion sur les clauses linguistiques de ces accords a eu lieu ces dernières années.
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Un nouveau mode de consultation
Lors de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, la FCFA avait plaidé pour intégrer de telles clauses dans les ententes, afin d’obliger le fédéral à rappeler aux provinces et territoires, lors les négociations, l’importance de fournir des services aux francophones.

Liane Roy prévoit des changements dans les négociations à cause de la nouvelle Loi sur les langues officielles.
«L’exemple parfait, raconte Liane Roy, c’est quand le fédéral a annoncé, il y a quelques années, le beau programme de garderies à dix dollars par jour. On s’est aperçu que plusieurs provinces ne donnaient pas de services de garde en français à dix dollars par jour.»
Pour savoir ce dont ont besoin les francophones, les gouvernements ont longtemps consulté les associations porte-parole des francophones en situation minoritaire ou les groupes dont le mandat est spécifique à un enjeu, comme l’éducation. Liane Roy donne l’exemple des regroupements de parents «qui mettaient pression envers les gouvernements provinciaux ou territoriaux».
«Mais depuis la nouvelle Loi sur les langues officielles, le fédéral a un devoir de consulter les communautés. C’est bien écrit dans la loi», fait-elle remarquer. «Là, on attend la règlementation pour qu’ils nous définissent ce que veut dire une consultation.»
Quand, comment et par l’entremise de qui seront consultés les francophones hors Québec? Un projet de règlement devrait être déposé au Parlement début 2025, a assuré la présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand.
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Inviter les francophones à table
Pour l’instant, l’obligation de consultation les CLOSM ne s’applique pas au cadre des négociations, réservé aux provinces et au gouvernement fédéral.

Jean-Michel Beaudry explique qu’au Manitoba, dans certains cas, c’est la communauté francophone elle-même qui livre les services en français.
La Société de la francophonie manitobaine (SFM), par exemple, ne prend pas forcément part à ces discussions. Elle doit espérer que les enjeux qu’elle soulève auprès de la province seront reflétés dans les ententes finales.
«La SFM n’est pas nécessairement impliquée directement», confirme le directeur général de la SFM, Jean-Michel Beaudry. «Je pense que la meilleure pratique serait peut-être de s’assoir tous les trois à l’entour de la table.»
Rémi Léger aimerait aussi voir des ententes tripartites : «Je comprends que la francophonie ne va pas mettre d’argent sur la table, mais le parallèle qu’on peut faire, c’est avec les populations autochtones. Lorsque des ententes sont conclues, [celles-ci] sont de plus en plus présentes à la table.»
Des secteurs chauds
Selon Liane Roy, le continuum de l’éducation francophone, notamment les garderies et le postsecondaire, reste le secteur à prioriser dans les ententes bilatérales. Elle met surtout l’emphase sur la petite enfance.
Si tu n’as pas accès à des services de garde en français et que tu dois envoyer tes enfants dans des garderies anglophones, c’est plus difficile après de réintégrer le système scolaire francophone.
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Jean-Michel Beaudry ajoute aux enjeux importants le tourisme, les sports et loisirs, le développement économique et les services municipaux. Mais peu importe l’enjeu, il arrive que la francophonie ait à se retrousser les manches elle-même.
Le Manitoba «est une province où les services gouvernementaux, dans certains cas, ne sont pas offerts directement par la province. On a bâti ensemble la capacité communautaire pour offrir ces services», illustre le directeur général. Des centres francophones, par exemple, viennent pallier le manque d’offre à l’aide des ententes.