Le jugement est en deux temps : d’un côté, il confirme que le gouvernement fédéral a manqué à ses obligations d’appuyer le développement des communautés francophones et acadiennes, une obligation qui correspond à la partie VII de la Loi sur les langues officielles.
Toutefois, la Cour d’appel fédérale donne raison au gouvernement fédéral en ce qu’il «n’avait pas l’obligation de veiller à ce que les services d’aide à l’emploi soient offerts dans les deux langues officielles puisque, selon la Cour, le gouvernement de la Colombie-Britannique n’agissait pas pour son compte en mettant en œuvre un programme fédéral», relate la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique (FFCB) par communiqué.
Il s’agit là de la partie IV de la Loi, qui a trait aux communications avec le public et à la prestation de services dans les deux langues officielles.
«Reconnaissant que la Cour suprême pourrait prendre une approche différente, la Cour [d’appel] a conclu qu’elle était liée par certains de ses précédents sur la question. La FFCB est très déçue par cette conclusion», ajoute l’organisme dans son communiqué.
Un dossier qui s’étire depuis 2008
Les faits initiaux remontent à février 2008. Dans le cadre d’une entente, le ministère de l’Emploi et du Développement social et la Commission de l’assurance-emploi du Canada transfèrent alors la gestion des services d’aide à l’emploi au gouvernement de la Colombie-Britannique, en échange d’un soutien financier du fédéral.
Selon la FFCB, «la mise en œuvre de cette entente a mené à une réduction significative des services d’aide à l’emploi offerts par les organismes francophones à la population» puisque cinq centres francophones ont dû fermer. Après une plainte au Commissariat aux langues officielles (CLO) en 2011, l’organisme a intenté un recours en Cour fédérale en 2013.
Celui-ci s’est soldé par un jugement défavorable en 2018, le juge Gascon ayant statué que l’offre de services d’aide à l’emploi faisait bien partie de la compétence législative de la province et que cette dernière n’agissait pas pour le compte d’une institution fédérale. La cause a été portée en appel et a abouti le 28 janvier.
Une demande d’autorisation d’appel, cette fois-ci à la Cour suprême du Canada, peut désormais être présentée dans un délai de 60 jours.
«La FFCB prendra le temps nécessaire pour analyser attentivement le jugement et consulter ses partenaires avant de décider si elle demandera la permission de faire appel du jugement à la Cour suprême du Canada. Le gouvernement du Canada pourrait lui aussi demander la permission de faire appel du jugement concernant la partie VII. Ainsi, même les gains à cet égard demeurent incertains», souligne la FFCB.
L’occasion de «rectifier le tir» entre les mains de la ministre
Pour la professeure agrégée de sciences politiques au Collège militaire royal Stéphanie Chouinard, le jugement rendu le 28 janvier démontre une urgence d’avoir des «clauses linguistiques très claires» sur les obligations encourues par la province lorsque le fédéral transfère des pouvoirs ou des fonds liés à l’offre de services aux communautés francophones.
«Quand on lit les faits, on sent la réticence de la communauté francophone de la Colombie-Britannique, qui dit qu’il y a plusieurs précédents où le gouvernement provincial ne remplit pas ses obligations vis-à-vis de la communauté francophone, à moins que des attentes explicites soient écrites dans les ententes», souligne la politologue.
À lire aussi : Les francophones de la Colombie-Britannique crient victoire
Un exemple récent est celui des ententes entre le fédéral et les provinces et territoires pour le programme national de garderies, qui ne contiennent pas de clauses linguistiques.
«On a annoncé des intentions de mettre en œuvre des services en garderies en français, mais on n’a pas encore mis en œuvre le mécanisme», note Rémi Léger, professeur agrégé de sciences politiques à l’Université Simon Fraser en Colombie-Britannique.
«Si on prend l’exemple des services de garde en français, ça va fonctionner différemment, sur une base individuelle. Ça signifie qu’en tant que parent francophone en Colombie-Britannique dont l’enfant fréquente une garderie francophone, je vais recevoir une subvention directement de mon gouvernement provincial. L’argent ne va pas aller à la garderie. Mais ces clauses dépendront de la province», illustre le politologue.
Une «occasion» que la ministre semble prendre en compte alors que son cabinet a récemment annoncé que le dépôt du projet de loi serait «légèrement retardé», sans préciser les détails de ce report.
Rémi Léger observe que «notre seule porte de sortie, si la partie IV n’est pas révisée, c’est une responsabilité qui revient sur le dos des francophones et en partie du fédéral. [Ce dernier devra] négocier des ententes et préciser le plus clairement possible qu’il y a certaines obligations envers la francophonie».
«Là, on est dans du cas par cas et on se repose aussi sur la bonne volonté du fédéral, sur les francophones mobilisés qui ont accès aux dirigeants qui négocient de telles ententes… Il y a beaucoup de “si”», avertit le politologue.
«Ne pas minimiser» la victoire
Malgré une déception quant à la partie IV, Rémi Léger assure qu’il ne faut pas «minimiser» le côté positif du jugement. Stéphanie Chouinard et lui assurent que le nouveau jugement de la Cour d’appel est un grand pas pour la communauté francophone de Colombie-Britannique concernant la partie VII, soit l’appui au développement des communautés francophones et acadiennes.
«Ce qu’on avait vu avec le jugement Gascon, c’était que le juge ne pouvait pas fournir d’interprétation jusqu’à ce que la partie VII soit clarifiée par le législateur, soit en la révisant, soit en décrétant qu’un règlement viendrait se coller au texte de loi», retrace Stéphanie Chouinard.
Elle déplore qu’aucune de ces alternatives n’ait été appliquée depuis 2018.
«Dans la première mouture du projet de loi déposée en juin, il n’y avait toujours pas de clarification sur partie VII. La ministre Joly avait dit qu’il allait y avoir un règlement plus tard, c’était l’une des déceptions», pointe la politologue.
Avec la décision de la Cour d’appel fédérale, l’interprétation est positive, salue Stéphanie Chouinard. «On considère que le gouvernement fédéral n’est pas allé assez loin pour protéger les services dans la langue culturellement appropriée en matière d’emplois. On demande ici de recréer finalement les services d’aide à l’emploi qui existaient à l’époque [pour les francophones]», observe-t-elle.
Ottawa devra donc mettre fin à l’entente d’ici le 1er avril 2024 et «voir à ce que soit reconstitué, dans la mesure du possible, le réseau de services d’aide à l’emploi avec la participation des organismes francophones selon le modèle qui existait avant la signature de l’Entente, en tenant compte des besoins actuels de la minorité linguistique francophone de la C.-B.», indique le jugement.