Quarante ans plus tard, l’œuvre de 1982 demeure cependant inachevée. Le Québec, écarté des négociations de dernière heure, n’a toujours pas adopté la Loi constitutionnelle de 1982. Puis, il manque toujours un élément de taille : une version française formelle et légale d’une large partie de la Constitution, dont l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB), loi fondatrice du Canada.
L’AANB, renommé en 1982 Loi constitutionnelle de 1867, a été adopté à Londres par la Chambre des communes et la Chambre des Lords à l’hiver 1867 et proclamé par la reine Victoria le printemps suivant.
Bien qu’une version française du document et d’autres textes connexes aient été rédigés dès 1867, ces traductions n’ont jamais été adoptées et n’ont aucune force légale.
En 1982, ces textes ont été incorporés à la nouvelle Constitution canadienne. La nouvelle partie de celle-ci a été rédigée et adoptée dans les deux langues officielles, incluant la Charte canadienne des droits et libertés, et les Droits des peuples autochtones du Canada, mais les textes «pré-1982» ne l’ont pas été.
Ces textes constituent l’annexe de la Loi constitutionnelle de 1982. Il y a en tout 30 textes dont, comme mentionné, la Loi constitutionnelle de 1867.
La longue route inachevée vers une Constitution bilingue
La nouvelle Constitution canadienne a incorporé les principes de la Loi sur les langues officielles de 1969, rendant ainsi le Canada un pays constitutionnellement bilingue.
«Or, comment être un pays constitutionnellement bilingue quand la Constitution elle-même ne l’est pas?», souligne le professeur de droit à l’Université d’Ottawa François Larocque.
En compagnie du sénateur à la retraite Serge Joyal, il a intenté il y a deux ans un recours afin de rectifier cette lacune.
Dans sa dernière plateforme électorale, le Parti conservateur du Canada s’engageait à «adopter une version française officielle de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, dont seule la version anglaise a un statut officiel actuellement».
Les auteurs de la Constitution en 1982 avaient pourtant l’intention de corriger ce problème. L’article 55 du document prévoit en effet que le ministre de la Justice du Canada soit «chargé de rédiger, dans les plus brefs délais, la version française des parties de la Constitution du Canada qui figurent à l’annexe».
Ce qui a été fait. En 1984, un comité de rédaction constitutionnel a été créé. Il a terminé le travail en 1990.
C’était la première étape. L’autre, plus difficile, consistait à faire valider et adopter ces textes par tous les gouvernements provinciaux. Ensuite, le Parlement du Canada ferait de même et ces versions françaises auraient force de loi.
En 1993, le ministère de la Justice du Canada a transmis ces textes aux provinces afin qu’elles donnent leurs commentaires pour en arriver à une validation par tous. Quelques provinces ont approuvé le contenu, mais c’est à ce moment qu’Ottawa a frappé un mur.
«Le Québec a dit : “Nous, on ne participera pas à ça pour des raisons qu’on connait bien”», explique François Larocque en évoquant le fait que le Québec ait été écarté du compromis constitutionnel qui a permis le rapatriement de 1982, lors d’une négociation en pleine nuit entre le fédéral et les neuf autres provinces.
L’épisode, communément appelé la «nuit des longs couteaux», est survenu il y a 40 ans, dans la nuit du 4 au 5 novembre 1981.
Aussi, la province venait de vivre l’échec de deux tentatives pour réintégrer la province dans le giron constitutionnel avec l’accord du lac Meech et l’Accord de Charlottetown. Elle s’apprêtait à vivre un deuxième référendum sur la souveraineté. Adopter la version française de textes constitutionnels n’était pas à l’ordre du jour.
Depuis, c’est le silence radio.
En 1996, le Québec est même allé plus loin. Dans un texte paru en mars 2000 dans Les Cahiers de droit, Guy Tremblay, alors professeur de droit à l’Université Laval, souligne que le Québec, dans une cause s’opposant à son projet de souveraineté, a alors «soumis à la Cour supérieure que la Constitution canadienne était inopérante ou invalide, faute d’avoir été adoptée en français conformément aux articles 55 et 56 de la loi de 1982».
La Cour ne s’est pas prononcée sur cette question ; selon l’auteur, cette position avait peu de chance d’être retenue.
La question soulevée au début des années 2000 au Québec
Le professeur de droit de l’Université d’Ottawa et expert en droit constitutionnel Benoît Pelletier a géré plusieurs portefeuilles dans le gouvernement libéral de Jean Charest, au Québec, entre 2003 et 2008. Il révèle que l’adoption de la version française des textes constitutionnels unilingues anglais a été discutée à l’époque.
«Nous n’avons jamais pris l’initiative de demander la constitutionnalisation d’une version française officielle parce que nous mesurions les risques d’un échec, explique-t-il. S’il y avait eu un échec, ça aurait moussé sans doute la thèse souverainiste au Québec, parce qu’à l’époque, nous étions vraiment encore dans la dynamique fédéraliste versus souverainiste.»
En cas de réussite, il aurait pu y avoir une autre conséquence fâcheuse pour le Québec, souligne Benoît Pelletier :
Benoît Pelletier se dit néanmoins en faveur de rectifier ce qu’il qualifie «d’anomalie». Il est également favorable au recours intenté par le professeur Laroque et l’ex-sénateur Joyal.
Il croit d’ailleurs que le Québec serait maintenant plus disposé à aller de l’avant avec cette démarche, mais pas immédiatement, en raison de la controverse soulevée par le projet de loi 96. Québec y entend modifier sa partie de la Constitution pour y inscrire sa spécificité en tant que nation avec le français comme langue commune.
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Selon François Larocque, la démarche ouvre justement une porte.
«Si le gouvernement du Québec prétend modifier la Loi constitutionnelle de 1867 pour faire reconnaitre justement le caractère francophone du Québec, il peut difficilement s’opposer, il me semble, à faire adopter la version française de l’ensemble de la Constitution du Canada.»
Les procédures pour le recours ne sont pas très avancées, même après deux ans. Les avocats de François Larocque et de Serge Joyal sont toujours en attente des éléments de preuve de la partie adverse.
Nos demandes auprès du gouvernement du Québec afin de connaître sa position à ce sujet sont restées sans réponse.