«La femme doit avoir le droit de décider elle-même, en toute liberté, si elle va occuper un emploi en dehors ou non.»
C’est le premier principe sur lequel repose le rapport de la Commission Bird, paru le 7 décembre 1970.
«Aujourd’hui, c’est ridicule, mais c’était un problème fondamental», commente Monique Bégin, qui a été secrétaire générale de la Commission.
«La Commission sur le statut de la femme au Canada a été un tremplin dans ma carrière, dans ma vie», soutient la sociologue de formation.
Francopresse l’a rencontrée pour discuter du rapport, 50 ans après son dépôt.
Pas féministe!
Avant d’offrir le poste de secrétaire générale à Monique Bégin, la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada aurait rencontré plus de 60 hommes sans arriver à pourvoir le poste.
Monique Bégin, alors jeune trentenaire, a été mise sur la route de la présidente de la commission, Florence Bird, par son militantisme. En 1966, elle avait participé à la fondation de la Fédération des femmes du Québec (FFQ) aux côtés de Thérèse Casgrain.
Mais à l’époque, on ne se disait pas féministe, rappelle Monique Bégin. On l’était sans le savoir, à moins d’être radicale.
Son travail au sein de la Commission n’était toutefois pas de militer : c’était de solliciter des mémoires, des témoignages et des études, d’organiser des audiences et d’entendre les femmes sur leur terrain. Puis, de produire le rapport des commissaires, qui assurerait aux femmes d’avancer vers l’égalité avec les hommes.
«Libre de décider si elle occupera un emploi»
La Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada publie son rapport après avoir commandé 40 études, reçu près de 500 mémoires et entendu près de 100 témoignages.
Il repose sur quatre principes fondamentaux. Le tout premier, qui traite du droit des femmes de choisir, en toute liberté, de travailler à l’extérieur du foyer ou non, est un indicateur de la réalité de l’époque, estime Monique Bégin.
«C’était un problème fondamental», ajoute-t-elle.
Elle avait elle-même gouté à cette contrainte quelques années plus tôt : on lui avait dit qu’elle devrait quitter son poste d’enseignante si elle se mariait, comme si l’enseignement et la vie de femme mariée étaient incompatibles.
Le partage des responsabilités
Le second principe : «Le soin des enfants est une responsabilité que doivent se partager la mère, le père et la société.» Ce principe est «tellement fondamental, selon Mme Bégin, qu’il n’est pas encore respecté aujourd’hui».
L’ancienne secrétaire générale tisse un lien avec le besoin de garderies subventionnées. En 1970, la Commission avait suggéré la mise sur pied d’un réseau canadien de garderies publiques. Un concept qui n’a toujours pas vu le jour, 50 ans plus tard.
Un exemple revient : le grand réseau de centres de la petite enfance subventionnés du Québec, mis en place en 1997.
Selon Mme Bégin, le troisième principe fait cependant contrepoids à la notion de collectivité dans la parentalité à cause des fonctions biologiques de la femme : «La société a une responsabilité particulière envers la femme, à cause de la grossesse et des naissances, et il faudra toujours des mesures spéciales concernant la maternité.»
Combattre la discrimination
Le quatrième principe vise l’accélération de la course à la parité. «Dans certains domaines, les femmes ont besoin, pendant une période intérimaire, de mesures spéciales afin d’effacer et de combattre les effets néfastes de la discrimination», énonce le principe.
Une situation qui n’a pas beaucoup avancé, constate la secrétaire générale.
Elle rappelle du même souffle l’opposition d’un des commissaires à ce principe et aux recommandations qui en découlent.
En effet, John Humphrey, qui est aussi l’un des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, présentera ses arguments dans un rapport en annexe au rapport Bird.
«Prôner un tel système revient à dire qu’on efface une injustice avec un passe-droit», écrit-il. Pour lui, une telle mesure ne traduit pas une égalité réelle, mais un traitement préférentiel.
«Elles doivent arriver par leurs propres moyens», plaide-t-il. Leur paver la voie serait «une insulte aux Canadiennes qui sont, à mon avis, parfaitement capables de se débrouiller toutes seules.»
La question de la violence
Ni principes ni recommandations du rapport Bird n’abordent la question de la violence faite aux femmes. Elle est écartée volontairement, déclarera Florence Bird en 1990 pour défendre son bilan.
La Commission aurait voulu que ce dossier complexe soit confié à un comité qui aurait été mis sur pied dans la foulée de la Commission.
Monique Bégin ne se souvient pas qu’il en ait été question à l’époque tant le tabou était puissant.
Dans une entrevue accordée à Francopresse, l’historienne Camille Robert a plutôt observé que l’enjeu a bel et bien été soulevé dans des lettres et des témoignages présentés à la commission.
N’empêche, Monique Bégin voudrait bien que la violence et les agressions soient chose du passé. Elle ne s’explique pas le rapport déposé en novembre sur le harcèlement sexuel des femmes au sein de la GRC : au rang des exemples, des médecins de la GRC auraient commis des abus sexuels à l’endroit de candidates. «C’est ignoble», lâche Monique Bégin.
De l’observation à la politique active
Après avoir été secrétaire générale de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada, Monique Bégin est devenue politicienne.
Elle a été élue en 1972 et a intégré rapidement le cabinet de Pierre Elliot Trudeau. À l’époque, elles étaient cinq députées.
Heureuse d’avoir vu un cabinet paritaire en 2015, elle souhaite tout de même voir plus de femmes en politique. Elle a assisté à la levée de plusieurs obstacles à la vie de parlementaire : les sessions écourtées, les transports facilités et les garderies bien plus nombreuses.
Elle aimerait aussi que la parité salariale soit chose faite. Les premières «Sunshine Lists», qui divulguent les salaires annuels supérieurs à 100 000 $ du secteur public de l’Ontario, lui ont réservé des surprises.
En 1997, alors qu’elle était doyenne de la Faculté des sciences de la santé de l’Université d’Ottawa, les noms de sept de ses collègues doyens de l’Université d’Ottawa apparaissaient à la liste.
Leur salaire moyen s’élevait à 107 000 $. Elle n’aurait jamais franchi la barre des 100 000 $. «Je ne l’ai jamais fait, dit-elle, et je n’ai jamais été compensée».
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Pour en savoir plus : Encyclopédie canadienne, Université d’Ottawa