* La recherche de la présente chronique a été menée en collaboration avec Rawn Melançon et Randee Melançon.
Nous en sommes peut-être à un moment charnière de l’élargissement du public de la K-pop. La chanson APT de Bruno Mars et de la chanteuse australo-coréenne Rosé (membre du groupe Blackpink) bat des records d’écoute et se retrouve au sommet des palmarès.
Cette collaboration est loin d’être la première. Récemment, DJ Marshmallow et DJ Khaled ont chacun coproduit des chansons avec le groupe Seventeen. D’autres artistes de la K-pop ont également enregistré des chansons avec Lady Gaga, Jennifer Lopez, Selena Gomez, Usher, John Legend, les Jonas Brothers et même les New Kids on the Block.
De telles collaborations sont mutuellement bénéfiques puisqu’elles permettent à ces artistes américains, par exemple, de percer dans le marché coréen, où la K-pop règne, tout en faisant découvrir les artistes coréen·nes à leur public.
Les disquaires canadiens suivent la vague et offrent une section de plus en plus importante de K-pop – les disques étant accompagnés de livrets, affiches, cartes et autres articles de collection. Sans parler des magasins entièrement dévoués à la K-pop, notamment à Edmonton, Toronto ou Montréal.
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Un exemple : Seventeen
Le succès international de la musique sud-coréenne ne dépend toutefois pas des collaborations.
En 2023, FML du groupe Seventeen a été l’album le plus vendu au monde et a battu le record de la chanteuse anglaise Adele pour le plus grand nombre de ventes en une journée.
Ces succès ne sont pas attribuables à des enregistrements en anglais : la formation parsème ses chansons d’anglais, mais chante et rappe surtout en coréen, malgré la présence de deux membres anglophones en son sein.
Le cas de Seventeen illustre les difficultés que rencontrent les artistes de la K-pop. Formé en 2013, le groupe se stabilise avec 13 membres et lance son premier album en 2015. Contemporain du groupe BTS à la popularité inégalée (certains des membres des deux groupes étant amis), Seventeen voit ses succès augmenter petit à petit.
Le groupe a trouvé son succès actuel après l’annonce du départ des membres de BTS pour le service militaire obligatoire, service qui avait mené à des débats publics en Corée du Sud et qui est déjà terminé pour deux des membres.
C’est désormais le tour des neuf membres de Seventeen qui ne sont pas coréens ou qui ne sont pas exemptés pour des raisons médicales de rejoindre l’armée.
Le groupe assure lui-même sa production. La plupart de ses chansons sont écrites par le membre Woozi et son partenaire d’écriture Bumzu.
Connu pour la qualité de ses chansons, son éthique de travail, ses chorégraphies exigeantes et précises, son émission de télévision loufoque hebdomadaire Going Seventeen et sa bienveillance à l’égard des nouveaux groupes de K-pop, Seventeen est aussi devenu ambassadeur de l’UNESCO pour la jeunesse.
Des embuches pas toujours objectives
Ces succès ne protègent toutefois pas le groupe. Il fait face au racisme antiasiatique (qui sévit aussi au Canada) qui a été dénoncé par BTS à quelques occasions, dont à la Maison-Blanche, et par le chanteur Eric Nam dans le magazine américain Time.
Les manifestations de ce racisme sont nombreuses et variées.
Dans une remarque qui résume bien l’absence de respect pour la musique coréenne, un animateur de Radio-Canada a pu suggérer, sans pour autant vérifier le travail de traduction des admirateurs et admiratrices francophones comme anglophones de Seventeen, que les paroles des chansons de ce groupe pourraient n’être «que des conneries».
Dans le contexte d’une chaine radio nationale qui doit parler à l’ensemble de la population canadienne, où l’on peut par ailleurs entendre de la musique du monde (mais rarement de la Corée), une telle attitude est difficile à comprendre.
Elle n’est toutefois aucunement rare et on la retrouve également dans la déformation des propos et dans la manière de présenter le groupe. Ça a notamment été le cas lorsque l’auteur-compositeur et producteur de Seventeen, Woozi, a mentionné avoir expérimenté avec l’intelligence artificielle par curiosité, mais rejeté son apport à la musique.
La pièce Maestro et la vidéo qui l’accompagne montrent d’ailleurs une opposition franche au phénomène de l’intelligence artificielle et une réflexion murie et poussée à son sujet.
La BBC, et la CBC à sa suite, ont néanmoins choisi de mésinterpréter ces propos pour donner dans les stéréotypes qui lient les personnes asio-descendantes à la robotique et l’inauthenticité. Si l’intelligence artificielle est bien utilisée dans l’industrie de la musique coréenne, elle l’est tout autant dans la musique en France ou au Canada.
D’autres groupes sont victimes du même traitement. La formation sud-coréenne Stray Kids, qui gagne en popularité aux États-Unis, a été l’objet de multiples remarques racistes sur le tapis rouge du dernier Met Gala, où elle avait été invitée par le designer Tommy Hilfiger.
Cette propension au dénigrement ou à la catégorisation va bon train malgré le peu de ressemblances entre, d’une part, la musique et les prestations de la K-pop et, d’autre part, ce que les industries du disque occidentales désignent sous cette appellation.
Repenser la K-pop dans notre contexte
Il faut surtout éviter de voir la K-pop comme un tout homogène. La K-pop désigne un courant musical, d’abord en rupture avec la musique «trot» qui dominait les ondes coréennes, mais qui inclut un grand nombre de styles musicaux. Son essor mondial est dû à une politique culturelle ambitieuse, qui a créé la «hallyu» ou «vague coréenne».
Maintenant que la musique coréenne est présente sur les ondes partout en Asie (et bien au-delà) et que des artistes de partout en Asie se rendent en Corée pour avoir la possibilité d’y faire carrière, il devient plus facile pour la musique du reste du continent asiatique de se faire connaitre.
Le groupe japonais Babymetal a ainsi pu se faire une renommée parmi les adeptes de métal, tandis que le chanteur et acteur thaïlandais Jeff Satur s’est fait connaitre grâce à la chanson originale de la série télévisée KinnPorsche.
À se cantonner à la musique produite au Canada, aux États-Unis, en France et en Grande-Bretagne, on risque de manquer ce qui se fait actuellement de plus intéressant!
Jérôme Melançon est professeur en études francophones et interculturelles ainsi qu’en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent notamment sur la réconciliation, l’autochtonisation des universités et les relations entre peuples autochtones et non autochtones, sur les communautés francophones en situation minoritaire et plus largement sur les problèmes liés à la coexistence. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie (MétisPresses, 2018).