Pour tous les jeunes trentenaires qui ont découvert le tennis au milieu des années 2000 – je fais partie de ce groupe –, c’est tout un chapitre de leur enfance qui s’est refermé la semaine dernière.
Deux ans après Roger Federer, Rafael Nadal a annoncé le jeudi 10 octobre qu’il prenait sa retraite en fin d’année. La veille, c’est le Français Richard Gasquet qui avait déclaré qu’il allait mettre un terme à sa carrière, après le tournoi de Roland-Garros 2025.
Il est toujours difficile de voir les idoles de son enfance quitter le devant de la scène. Immédiatement, une vague de nostalgie vous submerge. C’est ce qui m’est arrivé jeudi dernier. Et pourtant : je n’ai jamais considéré Nadal comme une idole, bien au contraire.
Pour moi, le Majorquin était un briseur de rêve, qui a trop souvent battu le joueur que j’admirais par-dessus tout, Roger Federer. Je peux même dire que, dans ma jeunesse, je le haïssais. Peut-être aussi parce que c’était le joueur préféré de mon petit frère.
Alors, pourquoi ce petit pincement au cœur au moment de l’annonce de sa retraite? Je me suis rendu compte que la perception de mes héros et de mes antagonistes de jeunesse a grandement évolué. Ce qui m’a conduit à m’interroger sur l’importance donnée à ces idoles pendant notre l’adolescence.
Plus jeune, j’ai pratiqué le tennis pendant une petite dizaine d’années. Mon niveau très modeste ne m’empêchait pas de rêver. Je me rappelle que, quand j’avais 11 ans, lors d’une rentrée scolaire, nous devions mettre sur une fiche quel métier nous voulions faire plus tard. J’avais alors répondu : «joueur de tennis».
L’influence de mes idoles expliquait forcément cette réponse fantasmée. J’étais admiratif de la classe de Federer, de l’impression de facilité qu’il dégageait. Le tennis paraissait si simple quand il jouait.
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De simples mortels
Je me disais qu’il y avait un certain mérite à ce que ce joueur soit si bon. Ce n’était pas simplement le talent qui était récompensé, mais aussi une forme de perfection morale. Toute sa vie semblait parfaitement orchestrée autour de sa passion et elle paraissait être celle dont on devait tous rêver.
Et puis les années ont passé. Au fur et à mesure que notre esprit critique s’affine, notre regard change.
Ce qui nous intéresse n’est plus seulement ce qui se passe entre les lignes d’un court de tennis, mais aussi l’homme ou la femme derrière l’athlète. Quelles valeurs renvoie-t-il? Utilise-t-elle sa notoriété à bon escient? Et, surtout, son image publique est-elle conforme à ses actions?
Je me souviens encore de ce moment où nous avons appris qu’Oscar Pistorius était accusé du meurtre de sa compagne. Le coureur sud-africain était un modèle à suivre pour ceux qui repoussent les limites imposées aux personnes ayant un handicap. Lui, l’amputé des deux jambes, rivalisait avec les meilleurs valides sur le tour de piste. Un modèle d’abnégation, de refus d’accepter la différence.
Depuis la funeste nuit du 13 au 14 février 2013, la figure du héros a laissé place à celle du paria.
Rafael Nadal a fait le cheminement inverse dans mon esprit. De «l’ennemi» dont on souhaite la défaite, il est devenu un exemple. Non pas pour son jeu – bien qu’on ne puisse pas nier sa bravoure et sa pugnacité – mais pour le respect qu’il témoigne à ceux qu’il côtoie. Les témoignages sont multiples, du chauffeur de taxi à l’hôtesse d’accueil, en passant par le ramasseur de balles.
Bottes aux pieds et balai à la main, il n’avait pas non plus hésité à donner de sa personne pour aider des sinistrés après d’importantes inondations sur l’ile de Majorque, dans la Méditerranée, où il est né et où il réside toujours.
Statue indéboulonnable
Qu’elles le veuillent ou non, les vedettes ont une responsabilité morale envers leurs admirateurs et le public. C’est bien ainsi, étant donné que leur influence ne cesse de grandir avec l’avènement des réseaux sociaux.
Le documentaire du youtubeur français Inoxtag sur sa récente ascension de l’Everest, intitulé Kaizen et vu des millions de fois, en est l’illustration parfaite.
Si la performance du jeune influenceur a été saluée par beaucoup, à juste titre, d’autres n’ont pas manqué de faire des critiques, pour la plupart constructives, de son initiative : cout financier et environnemental, participation à un tourisme de masse, placements de produits peu évidents…
«Il faut savoir séparer l’homme de l’artiste.» Cette affirmation n’a jamais semblé aussi anachronique qu’aujourd’hui.
À l’heure où les statues d’illustres personnages historiques sont retirées de leur piédestal et où le mouvement #MoiAussi rappelle à l’ordre certaines vedettes masculines qui se croyaient intouchables, les célébrités ne peuvent plus mystifier leurs admirateurs par leur simple talent.
Gageons néanmoins qu’en raison des accomplissements de l’homme qu’elle représente, la statue de Rafael Nadal, inaugurée en 2021 à Roland-Garros, ne devrait pas, elle, être déboulonnée de sitôt.
Timothée Loubière est journaliste pupitreur au quotidien Le Devoir. Avant de poser ses valises au Québec en 2022, il était journaliste sportif en France, notamment au journal L’Équipe.