Avec la mise en place des programmes de police communautaire, les forces policières ont ajouté à leur mandat une opération de relations publiques qui vise à faire accepter leur présence. Elles désirent créer une confiance, un sentiment de sécurité, et une collaboration pour la prévention et la lutte contre la criminalité.
L’approche de police communautaire suppose que les citoyens et citoyennes connaissent les membres des forces de l’ordre et que des interactions avec la police ont aussi lieu hors des interventions.
La présence dans les milieux scolaires fait partie de cette approche. Elle peut inclure une visite ponctuelle pour parler d’un problème plus large, comme le taxage ou les gangs de rue; la participation à des foires de carrière; ou encore le fait d’appeler la police pour régler les conflits entre élèves ou entre élèves et personnel enseignant.
Ces personnes se concentrent ainsi sur les relations avec les élèves et elles assurent une présence plus fréquente dans certaines écoles où les risques et la criminalité sont perçus comme étant supérieurs.
Une présence critiquée, avec raison
Or, depuis une dizaine d’années, plusieurs conseils scolaires (notamment à Toronto, Ottawa et London) ont mis fin à ces programmes de liaison scolaire. D’autres, comme le conseil scolaire de Vancouver et celui de Winnipeg, ont mené des études qui, dans plusieurs cas, ont abouti au remaniement de leur programme.
C’est que la présence policière en milieu scolaire est fortement critiquée et dénoncée.
Une conseillère scolaire de Vancouver a bien résumé le problème : pourquoi cèderait-on à la pression d’organismes – les corps policiers – pour les laisser interagir avec les enfants et adolescents, alors même qu’ils sont souvent accusés de bafouer les droits de la personne?
Le Commissaire aux droits de la personne de la Colombie-Britannique a présenté le problème d’un autre angle : avant d’accepter de maintenir de tels programmes, dont les maux sont bien documentés, il faudrait trouver des études qui montrent qu’ils entrainent des bénéfices.
Et tandis qu’un grand nombre de parents, d’enseignants et d’élèves se disent neutres ou favorables à ces programmes, la situation change complètement lorsqu’on parle aux parents et élèves appartenant à une minorité, surtout celles des communautés autochtones ou noires.
Comme l’a suggéré Adora Nwofor, de Black Lives Matter YYC à Calgary, la police doit montrer qu’elle est digne de confiance par ses actes au vu de l’ensemble de son mandat, et non chercher à convaincre la population.
Les raisons de l’échec
La raison essentielle de l’échec de tels programmes tient au fait que les mêmes conflits et les mêmes comportements subsisteront tant que l’on ne s’en prendra pas aux causes de la criminalité et aux lois qui criminalisent des segments minoritaires et pauvres de la société.
Cela dit, d’autres raisons existent qui découlent de la nature de la présence policière dans les écoles.
Elle n’inclut pas la pédagogie et les stages qui caractérisent la formation du personnel enseignant, ni l’apprentissage et le mentorat en milieu de travail qui suit inévitablement.
Ainsi, les agents et agentes ne peuvent aucunement prétendre instruire les personnes d’âge mineur.
Quelles sont les mesures à prendre?
Un projet de recherche sur les services de liaison scolaire à Edmonton propose une série de mesures mieux adaptées à la réalité scolaire que la présence policière, comme :
- la présence de professionnels en santé mentale et en travail social
- l’embauche d’un nombre supérieur d’aides à l’enseignement
- l’embauche de personnel infirmier
- la création et le financement d’une diversité de programmes après l’école
- la consultation d’avocats avant de mettre en place des mesures disciplinaires
- la création de classes plus petites
- la formation continue du personnel enseignant
- la fin des salles de retrait.
Toutes les fonctions visées par les forces policières pourraient ainsi être véritablement remplies, avec davantage de succès, par une équipe professionnelle formée à cette fin.
Définancer la police
Le sous-financement de l’éducation est évidemment l’obstacle principal à de telles mesures.
Ce sous-financement est d’autant plus inquiétant que les gouvernements et nombre de conseils scolaires préfèrent augmenter les budgets de la police pour répondre aux comportements créés par les problèmes sociaux que de financer les écoles adéquatement pour éviter ces comportements.
Les appels au définancement de la police visent avant tout à prévenir les problèmes sociaux plutôt qu’à prévenir ou punir les mauvais comportements.
Un financement adéquat des écoles et un élargissement des programmes qui y sont offerts, comme l’accès à la psychothérapie ou au conseil psychologique ainsi qu’à des repas gratuits, permettraient de se défaire de la logique disciplinaire et carcérale pour que les écoles puissent bien accomplir leur mandat.
Mieux encore, les milieux scolaires pourraient alors créer des mécanismes qui enseignent véritablement la coexistence et la responsabilité aux enfants.
Jérôme Melançon est professeur en études francophones et interculturelles ainsi qu’en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent notamment sur la réconciliation, l’autochtonisation des universités et les relations entre peuples autochtones et non autochtones, sur les communautés francophones en situation minoritaire et plus largement sur les problèmes liés à la coexistence. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie (MétisPresses, 2018).