Lorsque le camionneur A.D. Booth a franchi le col Rogers, en Colombie-Britannique, avec son véhicule à l’été 1962, il ne se rendait peut-être pas compte qu’il passait à l’histoire.
Avec sa cargaison de 264 caisses de fraises, destinées à des acheteurs de Calgary, il a été l’un des premiers à emprunter le dernier tronçon de la route Transcanadienne. Auparavant, les fraises auraient mis trois jours en train pour faire le même trajet.
Et c’est bien là l’une des grandes motivations derrière ce projet de route nationale d’un océan à l’autre : le commerce. Le même motif avait mené au développement des réseaux ferroviaire et maritime au pays.
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Le chemin a été long
L’idée d’une route traversant le pays a commencé à poindre peu avant la Première Guerre mondiale.
En 1912, la Canadian Highway Association, un groupe de la Colombie-Britannique, exerce de plus en plus de pression sur le gouvernement canadien afin qu’une route traversant le pays voit le jour.
Le 27 aout 1912, le journaliste britannique Thomas Wilby, ainsi que son chauffeur et mécanicien Jack Haney, partent d’Halifax à bord d’une voiture de la Reo Motor Car Company. Ils prennent avec eux une bouteille remplie d’eau de l’océan Atlantique.
Cinquante-deux jours plus tard, soit le 17 octobre, les deux hommes arrivent sur l’ile de Vancouver. Il faut dire qu’à l’époque, seulement 16 kilomètres de route étaient asphaltés dans tout le Canada.
À destination, Thomas Wilby vide symboliquement sa bouteille dans l’océan Pacifique.
Lors de leur expédition, les voyageurs ont eu à faire face à toutes sortes d’intempéries et à des pannes multiples. Les deux hommes ne s’entendaient pas du tout. Wilby était condescendant envers son compagnon mécanicien. Il le laissait seul à réparer les crevaisons ou à pousser la voiture enlisée dans la boue.
Dans le livre qu’il écrira sur ce périple, Wilby fera très peu mention de son chauffeur et il ne dira jamais son nom.
Ce n’est que par son livre qu’on apprendra plus tard que la traversée ne s’était pas faite uniquement sur la route. Dans le nord de l’Ontario, il n’y avait tout simplement pas de route. La voiture a effectué environ 1 500 kilomètres de Sault Ste. Marie à Winnipeg sur des wagons de train ou des traversiers.
Les pas hésitants du gouvernement fédéral
En 1919, le gouvernement d’union de Robert Borden adopte la Loi des grandes routes du Canada. Son but n’est cependant pas de construire une autoroute traversant le pays. Puisque les routes sont de juridiction provinciale et territoriale, le fédéral hésite à s’engager. La loi se limite essentiellement à établir des normes routières.
La crise économique des années 1939 pousse cependant Ottawa à investir plus directement dans le réseau routier. On évoque alors le rêve d’une autoroute qui permettrait aux Canadiens de se rendre d’un bout à l’autre du pays sans avoir à passer par les États-Unis.
Il faudra néanmoins attendre encore dix ans avant que le projet soit relancé.
En 1949, le gouvernement de Louis Saint-Laurent adopte la Loi sur la route Transcanadienne et conclut une entente avec neuf des dix provinces (y compris la nouvelle venue, Terre-Neuve).
Le Québec, dirigé par Maurice Duplessis, refuse de signer l’entente. Il ne s’oppose pas au projet comme tel, mais reste contre l’idée que ce soit le fédéral qui établisse les normes.
Le Québec comptait déjà une route asphaltée, de la frontière ontarienne jusqu’à la frontière néobrunswickoise. La province n’adhèrera officiellement au projet qu’en 1960, après l’avènement du gouvernement de Jean Lesage. L’accord donne lieu à la construction du pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, entre Montréal et la Rive-Sud.
L’entente de 1949 prévoit que le gouvernement fédéral verse aux provinces 150 millions de dollars sur une période de sept ans, soit l’équivalent de la moitié des couts. Cette proportion grimpera à 90 % avant la fin des travaux.
Un projet titanesque
Les travaux ne seront entrepris que plus tard, dans les années 1950. Comme l’avait montré la traversée de 1912, le nord de l’Ontario pose un défi de taille. Il faut construire 25 ponts et y transporter des tonnes de gravier pour établir une base solide pour la route.
L’autre grand défi se situe au col Rogers, en Colombie-Britannique. Cette région des Rocheuses reçoit en moyenne plus de huit mètres de neige, et les avalanches sont fréquentes.
Pour que ce tronçon voie le jour, il faut construire des «paravalanches», soit des structures semblables à des tunnels qui font passer la neige provenant d’avalanches par-dessus l’autoroute. Parcs Canada et les Forces canadiennes sont appelés à collaborer afin de provoquer des avalanches de façon préventive, ce qui se fait d’ailleurs encore aujourd’hui.
C’est au col Rogers que le premier ministre canadien de l’époque, John Diefenbaker, choisit d’inaugurer la Transcanadienne, le 3 septembre 1962.
Sauf que… l’autoroute est loin d’être terminée. Certains tronçons ne sont toujours pas construits. Il reste 3 000 kilomètres à asphalter. La portion terre-neuvienne ne sera achevée qu’en 1965.
Ce n’est qu’en 1971 que les travaux prennent officiellement fin, 22 ans après l’adoption de la loi prévoyant la construction de cette route.
Quatrième plus longue autoroute du monde
La Transcanadienne, dans son tracé principal, fait 7 821 km très exactement. Elle est la plus longue route nationale après celle de l’Australie, et elle se classe au quatrième rang des autoroutes les plus longues du monde.
D’autres grands axes se sont ajoutés au fil des ans, comme l’autoroute Yellowhead, qui traverse l’Ouest canadien en reliant Winnipeg à l’archipel Haïda Gwaii en Colombie-Britannique.
En Ontario, une Transcanadienne «alternative» traverse presque complètement la province et se prolonge au Québec pour rejoindre le tronçon principal à Montréal.
Puis, avec la construction du pont de la Confédération qui a relié le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard en 1997, la route Transcanadienne s’étend maintenant sur un total de 12 800 kilomètres.
La grande majorité de ce réseau est à deux voies seulement. En 2000, le gouvernement de Jean Chrétien avait étudié la possibilité d’élargir à quatre voies tous les tronçons de la Transcanadienne, mais la volonté de certaines provinces de prioriser des autoroutes vers les États-Unis a tué dans l’œuf ce projet.
Comme quoi ce ne sont pas tous les rêves qui se réalisent…