Pour de nombreux actes de destruction environnementale, il ne suffit pas de parler de pollution.
Le terme d’écocide a été utilisé pour parler de la disparition des caribous en Abitibi, au Québec; de la destruction de milieux humides et de tourbières; de la dégradation à grande échelle et à long terme de l’environnement autour des sites d’exploitation des sables bitumineux; ou encore de l’inondation de territoires et du déplacement de populations à la suite de la construction de mégabarrages.
Aucune définition officielle n’existe pour l’écocide.
L’organisme Stop Ecocide définit l’écocide comme «une destruction et un dommage massifs des écosystèmes, un dommage grave à la nature, qui est étendu ou durable».
À Vienne, l’European Law Institute le définit plutôt comme la «dévastation et la destruction de l’environnement au détriment de la vie».
Le Parlement européen parle quant à lui «d’infractions comparables à l’écocide avec des conséquences catastrophiques telles qu’une pollution généralisée ou des incendies de forêt à grande échelle».
Si la définition reste à déterminer, c’est que le concept demeure en cours d’élaboration, tant au niveau de la pensée que dans le droit international.
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Criminaliser plutôt que régulariser
Le défi essentiel de toute législation contre l’écocide est de criminaliser la destruction proprement dite de l’environnement, peu importe les lois et règles en place, plutôt que de seulement punir les entreprises qui contreviennent à des lois possiblement vagues ou trop étroites.
Et même dans le cadre d’un projet législatif à l’échelle européenne, les amendes ne sont pas suffisamment lourdes pour être dissuasives. Mais le dommage sur les écosystèmes est souvent irréparable.
Et ces dommages sont souvent volontaires, c’est-à-dire que les personnes qui prennent des décisions qui les causent savent que leurs actions entraineront une destruction environnementale.
Or, la criminalisation au niveau des entreprises a ses limites, étant donné qu’elle ne touche pas directement les personnes responsables des décisions destructrices… ni celles qui bénéficient des profits qui en découlent.
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L’écocide et ses liens au génocide
L’écocide est aussi lié indirectement au génocide dans le contexte du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Si la destruction d’un environnement est un moyen de cibler un groupe que l’on cherche à détruire, cette destruction devient une attaque et un crime de guerre.
D’ailleurs, au niveau des relations entre nations, l’écocide a d’abord été vu comme une arme de guerre, en réaction à l’utilisation par les États-Unis de l’agent orange au Vietnam, un défoliant qui a eu des conséquences à long terme.
L’Ukraine a accusé la Russie d’écocide en relation à la destruction d’un barrage et à la contamination des sols, et mène une enquête criminelle à ce sujet suivant ses propres lois.
Au Canada comme ailleurs, la destruction d’écosystèmes est par ailleurs liée au génocide des peuples autochtones. Après tout, elle contribue à la destruction des conditions d’existence de certaines formes de vie et de culture, et avant tout des modes de vie qui dépendent de la relation à la terre et à un environnement spécifique pour la transmission des connaissances et de la langue.
Mais la destruction d’écosystèmes continue aussi de gravement plomber les économies autochtones – pourtant névralgiques pour atteindre l’autonomie face à l’État colonial –, comme cela a été le cas lors de l’élimination des bisons sur les plaines.
Cette dévastation force plusieurs communautés ou peuples entiers à abandonner leur territoire pour vivre ailleurs. Et les désastres continuent.
Un crime contre la vie
Des destructions de cette ampleur, qui ont lieu régulièrement, menacent ainsi la vie elle-même, qu’elle soit végétale ou animale (et humaine), ainsi que les processus liés aux sols et aux eaux.
Étant donné que le changement climatique n’est que l’une des neuf limites planétaires, nous devons développer une réponse à la destruction d’environnements et d’écosystèmes. Parler d’écocide nous permet de le faire et de prendre la mesure de la gravité de notre situation actuelle.
Le problème semble plutôt être le manque de volonté de l’État d’empêcher de telles destructions.
Pire encore, au Canada, c’est l’État qui subventionne les mêmes entreprises qui détruisent des écosystèmes et créent des dangers pour la vie (et ce également hors du pays). Tandis que ces subventions doivent se tarir en 2024, il nous reste encore à en voir véritablement la fin – et l’écocide est loin d’être perpétré par les seules industries fossiles.
Sans une volonté claire à tous les niveaux de gouvernement, nous ne sommes pas près de voir la fin des écocides.
Jérôme Melançon est professeur agrégé en études francophones et interculturelles ainsi qu’en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent notamment sur la réconciliation, l’autochtonisation des universités et les relations entre peuples autochtones et non autochtones, sur les communautés francophones en situation minoritaire et plus largement sur les problèmes liés à la coexistence. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont «La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie» (Metispresses, 2018).