La dernière année n’a pas été de tout repos pour la ministre Petitpas Taylor. Au moment du dépôt du projet de loi C-13 modernisant la Loi sur les langues officielles, le 1er mars 2022, peu de personnes s’attendaient à ce qu’un an plus tard, cette mesure législative ne soit toujours pas adoptée.
Après plusieurs retards, et des débats parfois houleux, l’examen du projet de loi au Comité permanent des langues officielles s’est enfin conclu le 31 mars dernier. Le texte de loi pourra maintenant faire l’objet d’un troisième et dernier vote aux Communes avant d’être envoyé au Sénat.
L’élément qui a permis en grande partie de faire débloquer les travaux est une entente entre les gouvernements du Canada et du Québec concernant une série d’amendements sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale.
Au départ, le gouvernement québécois souhaitait que les entreprises situées au Québec soient obligatoirement assujetties à la Charte de la langue française du Québec. Ce ne sera pas le cas. Toutefois, les amendements adoptés font en sorte que le projet de loi C-13 comprend désormais des obligations très similaires à la législation québécoise sur ce sujet.
La ministre Petitpas Taylor et le ministre québécois de la Langue française, Jean-François Roberge, ont tous deux mis de l’eau dans leur vin pour trouver un terrain d’entente plutôt que de rester campés sur leur position de départ.
Dans une époque marquée par le cynisme en politique, ce type d’entente est un vent de fraicheur. Ce sont les francophones de partout au pays et la langue française qui en ressortent gagnants.
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Une stratégie politique à point
En obtenant l’appui du gouvernement du Québec à son projet de loi, la ministre Petitpas Taylor s’assure de son adoption aux Communes.
Sur Twitter, le ministre Roberge a qualifié la version amendée du projet C-13 «d’avancée majeure pour la vitalité du français au Québec et au Canada».
Les troupes de Pierre Poilievre souhaitent faire des gains au Québec lors des prochaines élections fédérales. Ce serait partir d’un bien mauvais pied pour eux que de voter contre un projet qui renforce la protection du français, pas seulement selon les dires des libéraux, mais aussi ceux du gouvernement du Québec.
Des élus conservateurs du Québec se sont d’ailleurs posés à plusieurs reprises en tant que défenseurs des communautés francophones au Canada dans les derniers mois.
Cette entente à caractère historique entre Québec et Ottawa sur la protection du français place le Bloc québécois dans une position délicate. La formation politique exploite généralement à son avantage les désaccords entre les deux ordres de gouvernement, en particulier sur les questions linguistiques ou identitaires.
Après cette sortie du ministre Roberge, il serait aussi malaisé pour les bloquistes de voter contre le projet de loi C-13 sans entacher leur crédibilité.
Un vote contre le projet serait associé à une préférence pour la perpétuation des disputes entre Ottawa et Québec plutôt que la recherche de solution gagnant-gagnant.
Enfin, l’appui des néodémocrates au projet ne fait aucun doute.
Un vote unanime?
Rappelons qu’au cours des derniers mois, ce ne sont pas seulement les partis d’opposition qui ont mis des bâtons dans les roues au gouvernement dans le dossier de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Des députés libéraux montréalais ont remis en question publiquement le projet de loi au nom de la protection de la minorité anglophone du Québec.
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Le premier ministre Justin Trudeau devrait imposer la ligne de parti à l’ensemble de son caucus. Il s’agirait d’une reconnaissance du travail accompli par la ministre Petitpas Taylor, qui a mené à bien un engagement électoral du Parti libéral.
De plus, un vote unanime de la Chambre des communes sur le projet de loi C-13 aurait une forte portée symbolique quant à l’importance des langues officielles au Canada. Il serait malvenu que les seuls votes défavorables à ce projet proviennent des rangs des libéraux.
Des fonds supplémentaires pour les langues officielles
Par un concours de circonstances, quelques jours avant la fin des travaux en comité entourant C-13, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a dévoilé le budget fédéral de 2023.
Ce budget prévoit une enveloppe de 1,1 milliard de dollars supplémentaires pour les langues officielles au courant des cinq prochaines années.
Les détails concernant ces nouveaux investissements seront dévoilés lors du dépôt du Plan d’action pour les langues officielles, prévu en principe d’ici la fin avril. Une partie de ces fonds pourrait aussi être consacrée à la mise en œuvre de la loi modernisée.
Pour la ministre Petitpas Taylor, l’obtention de fonds supplémentaires dans cet exercice financier est un autre bon coup. Il s’agit certainement du fruit d’un important travail en coulisses pour s’assurer que les langues officielles obtiennent leur part du gâteau.
NOTICE BIOGRAPHIQUE
Guillaume Deschênes-Thériault est doctorant en science politique à l’Université d’Ottawa. Il détient un baccalauréat de l’Université de Moncton et une maitrise de l’Université d’Ottawa. Dans le cadre de ses recherches, il s’intéresse aux communautés francophones en situation minoritaire, avec un intérêt particulier pour l’enjeu de l’immigration. Depuis mai 2021, il est conseiller à la municipalité de Kedgwick au Nouveau-Brunswick.