Je ne répèterai pas les énormités et les mensonges qui servent à soutenir les mouvements antitrans ni les calomnies qui se répandent. Je rappellerai plutôt que les personnes trans ont toujours existé, même si leurs modalités d’expression et de compréhension de leur genre ont pu changer au fil des époques et des cultures.
Toutefois, leur présence au sein de la société canadienne n’est souvent soulignée publiquement que par une participation mitigée à la journée du souvenir trans, qui marque la violence inouïe à laquelle les personnes trans sont exposées, ou encore à la journée de la visibilité transgenre, visibilité qui peut d’ailleurs ouvrir à de nouvelles menaces lorsqu’elle ne s’accompagne pas de davantage de mesures pour assurer leur sécurité.
Comme l’explique la militante et autrice Lexie, «[o]n ne voit pas les personnes trans, on voit ce qui intéresse les personnes cisgenres sur les personnes trans» : les questions «choquantes», les suicides, les assassinats.
Être visible dans un contexte où la violence demeure encore plus présente que pour la plupart des autres catégories sociales reste un danger ; mais n’être visible que par ces dangers ne contribue pas à faire connaitre les diverses manières de vivre et de comprendre le genre qui ont pu exister au fil de l’histoire. Il en faut encore davantage pour appuyer les personnes trans, qu’elles soient jeunes ou vieillissantes.
Le Canada peut-il répondre à la situation américaine?
La mécompréhension et la haine n’existent pas que du fait de l’ignorance.
Aux États-Unis, une jeune personne trans sur quatre vit dans des États où les soins d’affirmation de genre ont été bannis, et une autre sur les mêmes quatre risque de perdre l’accès à ces soins. Dans certains cas, un enfant trans pourrait même être enlevé à ses parents.
Ces lois et projets de loi sur les soins de santé ne représentent qu’environ un quart des mesures législatives qui visent les personnes trans ou non conformes au genre.
Notons que si certains États – comme le Minnesota – avancent dans la direction opposée, se présentant même comme États refuges pour les personnes trans et leur famille, il est loin d’être certain que ces mesures suffiront à les protéger.
Heureusement, la situation est tout autre au Canada.
Une loi adoptée en 2017 a rendu illégale la discrimination ainsi que la propagande haineuse sur la base de l’identité ou de l’expression de genre, et fait des préjugés et de la haine en relation au genre, une circonstance aggravante lorsqu’un crime est commis.
Afin d’étendre ces protections aux populations des États-Unis et du Royaume-Uni, où des mesures législatives similaires à celles des États-Unis sont en cours de préparation, une pétition a récemment été lancée afin de faciliter l’accès au statut de réfugié pour les personnes trans de ces pays jugés sécuritaires – et de tout pays.
Mais même si, à terme, la pétition pourrait mener à des mesures législatives, il faudra plusieurs changements pour offrir un refuge aux Américains et Américaines, qui se le voient refuser la plupart du temps.
Le Canada répond-il à sa propre situation?
Notons toutefois que l’état des choses au Canada est loin d’être si propice à une bonne vie pour les personnes trans et plus largement pour les communautés de la diversité sexuelle et de genre.
Les délais demeurent longs pour avoir accès aux chirurgies d’affirmation de genre : il faut environ deux ans simplement pour avoir accès aux cliniques spécialisées de Montréal et de Vancouver – les deux seules au pays. Les personnes réfugiées 2ELGBTQIA+ ne reçoivent pas le soutien nécessaire pour surmonter les obstacles posés par une discrimination qui demeure bien réelle.
Cette discrimination s’étend aux soins de santé – et même au système juridique, qui devrait pourtant servir à l’enrayer.
Une campagne est en cours pour influencer les conseils scolaires et les conseils d’école, voire prendre leur contrôle afin d’empêcher l’enseignement des connaissances liées au genre et à la sexualité.
Et on voit aussi au Canada une augmentation du nombre de crimes haineux commis contre les personnes trans, en particulier et plus généralement contre les personnes 2ELGBTQIA+.
Comment savoir?
Ces remises en question des connaissances qui ont été développées au sein des milieux médicaux ainsi que les communautés de la diversité sexuelle et de genre sèment la confusion et la haine. Elles contribuent à réduire l’appui pour les mesures qui visent à protéger les personnes trans et pour les programmes qui cherchent à démanteler les obstacles aux services dont profite déjà le reste de la population (pensons au traitement hormonal substitutif).
C’est ainsi qu’une centaine de personnes se sont exprimées à Saskatoon sur la question de l’accès aux toilettes : on y a créé un débat qui fait place autant aux perspectives informées qu’à celles qui sont la conséquence de préjugés et de l’incitation à la haine.
Pourtant, y a-t-il mieux comme spécialistes de ces enjeux que les personnes qui vivent une vie trans, c’est-à-dire qui ont eu à se questionner, à faire des essais, à se renseigner, à théoriser, à échanger avec leurs proches, à créer de nouvelles relations ; qui ont dû tenir ferme souvent devant l’abandon par leurs proches ou encore devant le harcèlement, la perte d’emploi, les menaces, la violence subie, la mort violente des autres personnes trans?
Il faut ainsi célébrer la création d’un programme de mentorat par les pairs à Regina (notamment grâce au soutien de l’entreprise bilingue Ivy + Dean Experts-Conseils) ou encore l’embauche (en 2017) du professeur transgenre Alexandre Baril à l’Université d’Ottawa.
Avec le succès de la littérature trans, on peut également se tourner vers le roman de Gabrielle Boulianne-Tremblay ou encore les recueils de poésie de Pascale Bérubé et de Xavier Gould, dans lesquels ces artistes littéraires explorent tant les réalités vécues que leurs espoirs.
Jérôme Melançon est professeur agrégé en études francophones et interculturelles ainsi qu’en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent notamment sur la réconciliation, l’autochtonisation des universités et les relations entre peuples autochtones et non autochtones, sur les communautés francophones en situation minoritaire et plus largement sur les problèmes liés à la coexistence. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont «La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie» (Metispresses, 2018).