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le Samedi 25 mars 2023 13:00 Chroniques et éditoriaux

L’approche Poilievre «non merci»

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  Photo : Inès Lombardo – Francopresse
Photo : Inès Lombardo – Francopresse
CHRONIQUE – Les envolées verbales du chef de l’opposition officielle du Canada Pierre Poilievre, ponctuées d’hyperboles et de demi-vérités, contribuent à appauvrir le débat public et à miner la confiance de la population envers les institutions démocratiques.
L’approche Poilievre «non merci»
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Poser des questions difficiles et exiger une reddition de compte des actions du gouvernement est dans le mandat du chef de l’opposition officielle. Thomas Mulcair, qui a occupé cette fonction de 2012 à 2015 avec le NPD, était particulièrement efficace avec son style direct et inquisitoire.

Formuler ses questions ou ses critiques de façon à retenir l’attention publique et médiatique sur un enjeu, comme l’inflation, la sécurité publique ou les finances publiques, est un atout. Pierre Poilievre va toutefois parfois plus loin et n’hésite pas à tomber dans la désinformation ou la sursimplification pour arriver à ses fins.

L’exemple du dossier de l’ingérence chinoise

Le premier ministre Justin Trudeau a tardé à réagir aux révélations d’ingérence chinoise lors des élections générales de 2019 et de 2021. Il a aussi esquivé les questions sur le moment où il a été mis au courant de la situation.

Plutôt que de mettre en place une enquête publique, demandée unanimement par les partis d’opposition, Justin Trudeau a plutôt créé un poste de rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère. Il a nommé l’ancien gouverneur général, David Johnston, à cette fonction.

Sur le fond, il est tout à fait normal que Pierre Poilievre talonne le gouvernement dans ce dossier. Il s’agit d’un enjeu qui met en cause la sécurité nationale et l’intégrité du processus démocratique. Le gouvernement doit rendre des comptes sur ses actions pour renforcer la protection de nos institutions contre toute ingérence étrangère.

Toutefois, les réactions du chef de l’opposition officielle dans ce dossier ne sont pas de la qualité de celles que l’on peut attendre d’un premier ministre potentiel.

Ses propos ont manqué de sérieux à plusieurs reprises. Par exemple, durant la période des questions, il a fait un lien entre le poste de rapporteur et la tendance à Justin Trudeau à se costumer : «Le rapporteur nous arrivera-t-il avec un costume, peut-être une cape et une épée?»

Sur Twitter, il n’y est pas non plus allé de main morte pour discréditer la nomination de M. Johnston. Selon lui, «Justin Trudeau a nommé un “ami de la famille”, ancien voisin du chalet et membre de la fondation Trudeau financée par Pékin, pour être le rapporteur “indépendant” sur l’ingérence de Pékin» [traduction libre].

Rappelons que c’est l’ancien premier ministre conservateur, Stephen Harper, qui a nommé David Johnston au poste de gouverneur général en 2010.

Critiquer l’approche du gouvernement de faire appel aux services d’un rapporteur spécial plutôt que d’annoncer une enquête publique indépendante immédiatement est légitime. Ce qui l’est moins, c’est de tenter d’entacher la crédibilité d’une personnalité publique avec une feuille de route sans faute à des fins purement partisanes.

Par ses propos, M. Poilievre s’en prend aussi à la Fondation Pierre Elliott Trudeau, un organisme de bienfaisance indépendant et sans affiliation politique. Cette fondation offre des bourses doctorales parmi les plus prestigieuses au pays.

D’éminentes personnalités publiques au Canada sont associées à la Fondation à titre de membres ou de mentors. Le fait que David Johnston en a été membre ne remet en rien sa capacité à occuper ses nouvelles fonctions.

De même, laisser entendre que la Fondation est financée par Pékin est une déformation de la réalité. En fait, après avoir été mise au courant d’un lien potentiel entre un don de 200 000 $ reçu en 2016 et le gouvernement chinois, la Fondation a remboursé le montant dans son intégralité.

Une accusation très sérieuse

Plus problématique encore, en point de presse, Pierre Polievre a déclaré que Justin Trudeau «a encouragé l’ingérence étrangère parce que c’était son intérêt et l’intérêt de son parti». Il s’agit d’une accusation très sérieuse.

Il n’y a aucune raison de croire que les libéraux aient joué un quelconque rôle pour encourager une puissance étrangère à interférer dans les élections. Ce type d’insinuation, sans fondement, ne peut que miner la confiance du public dans le processus électoral.

Dans le contexte d’une montée des propos haineux en ligne, la classe politique devrait être d’autant plus aux aguets des répercussions de leur propos.

M. Poilievre devrait relire le blogue publié en début d’année par son prédécesseur, Erin O’Toole, dans lequel il met en garde contre la détérioration du climat politique au Canada. M. O’Toole rappelle d’ailleurs que «M. Trudeau était son adversaire politique pas son ennemi».

Une remise en cause des médias

La gestion du dossier de l’ingérence chinoise n’est pas une anecdote dans le parcours de M. Poilievre, mais est plutôt illustrative de son approche politique.

Un autre élément problématique est son aversion à l’égard des médias, pourtant essentiels à une démocratie saine. Il a d’ailleurs boudé la presse parlementaire pendant plusieurs mois, avant de se résigner à répondre aux questions des journalistes.

Peu de temps après son entrée en poste, il demandait à ses partisans des dons pour l’aider à contourner les «médias biaisés». Il a d’ailleurs déjà qualifié à plusieurs reprises la CBC «d’outil de propagande gouvernemental». Ce type de propos ne sont pas sans rappeler ceux d’un ancien président au sud de la frontière…

Les élus, en particulier les personnes qui occupent un poste de premier plan, ont un rôle à jouer pour conserver la confiance du public envers les institutions démocratiques et préserver un climat social sain.

Jusqu’à présent, Pierre Poilievre n’a pas fait la démonstration qu’il est prêt à occuper les fonctions de premier ministre.

Jouer avec les faits, attaquer les médias et faire preuve de partisanerie à outrance en s’en prenant à la réputation d’autrui ne semble pas être la meilleure approche pour élargir sa base électorale. Au contraire, cela pourrait avoir des conséquences négatives à long terme sur le climat politique au Canada.

Guillaume Deschênes-Thériault est doctorant en science politique à l’Université d’Ottawa. Il détient un baccalauréat de l’Université de Moncton et une maitrise de l’Université d’Ottawa. Dans le cadre de ses recherches, il s’intéresse aux communautés francophones en situation minoritaire, avec un intérêt particulier pour l’enjeu de l’immigration. Depuis mai 2021, il est conseiller à la municipalité de Kedgwick au Nouveau-Brunswick.

Type: Opinion

Opinion: Contenu qui avance des idées et qui tire des conclusions fondées sur une interprétation des faits ou des données émanant de l’auteur.