le Mercredi 11 septembre 2024
le Mercredi 18 janvier 2023 6:30 Chroniques et éditoriaux

La pandémie et l’absence des gouvernements

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Depuis le début de la pandémie, entre 32 % et 40 % des Canadien·ne·s auraient contracté la COVID-19. Le nombre de personnes se faisant vacciner a chuté au moment de la 2e dose.  — Anna Shvets — Pexels
Depuis le début de la pandémie, entre 32 % et 40 % des Canadien·ne·s auraient contracté la COVID-19. Le nombre de personnes se faisant vacciner a chuté au moment de la 2e dose.
Anna Shvets — Pexels
FRANCOPRESSE – La pandémie de COVID-19 est loin d’être terminée. Même si les dernières mesures de protection dans les lieux publics ont été levées, de nouveaux variants émergent et les services hospitaliers demeurent engorgés. Pourtant, les gouvernements semblent refuser de prendre leurs responsabilités et d’agir de sorte à encourager la population à se responsabiliser.
La pandémie et l’absence des gouvernements
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Nous vivons une situation de crise depuis maintenant près de trois ans. Il est évidemment tentant de s’en détourner et d’espérer que tout tournera pour le mieux pour nous et les personnes qui nous sont chères.

Cependant, entre 32 % et 40 % de la population canadienne a obtenu un test positif ou soupçonne avoir contracté la COVID.

Retour sur la situation

Entre mars 2020 et aout 2022, au moins 42 215 personnes sont décédées de la COVID au Canada. Au cours de la même période, on compte 53 741 décès en surnombre, c’est-à-dire des décès qui vont au-delà du nombre auquel on peut s’attendre dans une année «normale». Les statistiques ne nous donnent que des indications sur ces décès, dont quelque 11 500 se rajouteraient à ceux attribuables à la COVID.

Toutefois, au vu de la situation dans les services de santé au pays, on peut deviner qu’ils sont la conséquence de la difficulté d’avoir accès aux services d’urgence, de diagnostic et de traitement.

En effet, du fait du nombre de cas de COVID-19 et d’autres infections respiratoires, certains hôpitaux doivent rediriger des patient·e·s en service d’urgence vers d’autres centres. Des personnes meurent après avoir quitté la salle d’urgence. Des chirurgies continuent d’être reportées.

Des membres du personnel soignant parlent depuis longtemps, et encore récemment, d’un état de crise qui va d’ailleurs bien au-delà des effets de la pandémie. Cette crise se fait notamment sentir dans les hôpitaux pour enfants en Saskatchewan comme en Alberta ou au Manitoba.

C’est sans parler du fait que plusieurs provinces peinent à retenir leur personnel soignant. Certaines ont lancé des campagnes de recrutement ailleurs dans le monde — alors que la situation y est la même et pourrait être empirée par ces départs vers les pays mieux nantis. De telles initiatives ne suffiraient pas à dépasser la situation actuelle.

Si davantage de personnes sont malades, et plus gravement malades, que dans les années précédentes, c’est peut-être un effet de la COVID-19 sur le système immunitaire. Par ailleurs, les symptômes durent souvent jusqu’à trois mois.

Le syndrome post-COVID, ou «COVID longue», est encore mal compris, mais il inclut une vaste série de manifestations qui peuvent notamment se faire sentir sur le fonctionnement cognitif ou le système cardiovasculaire.

Parmi le 1,4 million de personnes affectées, ce syndrome semble toucher plus fréquemment les femmes et les personnes infectées plus d’une fois.

Des messages timides

Malgré le fait que la pandémie continue d’avoir tant d’effets, le 31 décembre 2022, la docteure Theresa Tam, administratrice en chef de la santé publique du Canada, célébrait les efforts pour «réduire l’incidence de la COVID-19».

Les vaccins ont certainement réussi à faire diminuer le nombre de cas de COVID, surtout au début de la pandémie lorsqu’ils étaient requis pour avoir accès à plusieurs services.

Toutefois, le nombre de personnes se faisant vacciner a chuté au moment de la 2e dose de rappel, surtout chez les moins de 70 ans.

Or, on sait que les vaccins contre la COVID offrent une protection à durée limitée, au contraire de plusieurs vaccins qu’il suffit de recevoir une ou deux fois, et que les variants limitent aussi l’efficacité des vaccins reçus plus tôt pendant la pandémie.

La population comprend-elle bien le besoin de doses de rappel? Existe-t-il de véritables mesures pour encourager ou pousser les gens à continuer à se faire vacciner?

La timidité de ces messages fait par ailleurs qu’il est difficile de combattre les «intox» ou «fausses nouvelles» qui attribuent avec tort les décès au vaccin plutôt qu’au virus de la COVID, qui parlent d’une «dette immunitaire», concept non scientifique, ou simplement qui minimisent le danger de la COVID-19.

Sans une information en continu diffusée intensément, ces fausses informations continuent à convaincre davantage de gens de cesser de se faire vacciner.

À lire aussi : Repenser une société juste pour les personnes handicapées ou malades

Prendre ses responsabilités

Dans les dernières semaines de 2022, je recevais des annonces ciblées de la part du gouvernement du Canada m’exhortant à adopter des «mesures individuelles de santé publique», comme porter un masque ou encore éviter certains endroits ou rassemblements.

Alors que les politicien·nes célébrait le retour «à la normale» (dans des conditions de crise qui ne sont pas reconnues) au moment de la levée des mesures publiques, toute incidence possible des messages du gouvernement appelant à la prudence s’envolait en fumée.

Le message est, au mieux, conflictuel et, au pire, nous laisse en proie au désir de vivre une vie «normale», sans crise ni grandes inquiétudes : nous n’avons plus à limiter nos contacts avec les autres, mais il serait mieux de le faire.

Par contraste avec la santé individuelle, la santé publique cherche à maintenir la santé de la population prise dans son ensemble. Elle suppose une approche collective des maladies et infections ainsi que la recherche de solutions.

Contrairement à la santé individuelle, la santé publique ne passe pas surtout par une relation de confiance avec un·e professionnel·le de la santé.

Sans une relation personnelle, où il est déjà difficile de convaincre les malades de prendre des mesures individuelles pour se protéger ou se guérir, la santé publique dépend de politiques concrètes.

Toute équivoque ou timidité ne peut mener que détourner des messages. Sans mesures claires pour encourager et pousser la population à se faire vacciner et à porter le masque, il n’y a pas de raison de croire que la crise sanitaire disparaitra ni que nous cesserons de risquer d’être gravement malades.

Jérôme Melançon est professeur agrégé en études francophones et interculturelles ainsi qu’en philosophie à l’Université de Regina. Ses recherches portent notamment sur la réconciliation, l’autochtonisation des universités et les relations entre peuples autochtones et non autochtones, sur les communautés francophones en situation minoritaire et plus largement sur les problèmes liés à la coexistence. Il est l’auteur et le directeur de nombreux travaux sur le philosophe Maurice Merleau-Ponty, dont «La politique dans l’adversité. Merleau-Ponty aux marges de la philosophie» (Metispresses, 2018).

Jérôme Melançon

Chroniqueur