J’ai commencé par me promener au centre de ce grand village, «au corner», où se trouvent la plupart des services.
Lisette Goguen est propriétaire d’un magasin à un dollar. Quand je l’interroge, elle me dit que le plus grand problème au Cap-Pelé est qu’il manque de travailleurs. D’autres commerçants me disent la même chose.
C’est vrai partout au Canada, surtout depuis cette année, mais dans les villages comme celui-ci, qui subissent un exode des jeunes et où une grande partie des emplois disponibles se trouve dans le secteur de la transformation de ressources, le problème existe depuis longtemps. Et c’est la survie de la communauté qui est en jeu.
«Heureusement qu’il y a les Mexicains et les Philippins!», affirme Lisette Goguen. Ils travaillent fort, et c’est rendu que tous les employeurs en veulent ; pas seulement les shoppes (usines de transformation) de fruits de mer. En plus, ils sont tellement gentils, et ils aiment ça par ici.»
L’expérience des travailleurs temporaires
Cap-Pelé a accueilli plusieurs familles immigrantes, ce qui permet à la population du village de se maintenir. On rencontre un peu partout des jeunes immigrants, débarqués depuis quelques années seulement, mais qui parlent déjà un français fort adéquat. Bien qu’il y ait des défis, ce phénomène permet de croire qu’un Cap-Pelé multiculturel et francophone est possible. Toutefois, la plus grande part des travailleurs étrangers n’ont que des visas de travail temporaires, et ne peut donc pas envisager de fonder des familles ici.
Pour loger ces ouvriers saisonniers, des motels ont été reconvertis en résidences. Parmi ceux-ci, il y a l’ancien Sandy Beach Inn. Plusieurs vélos sont garés le long de sa façade. Matin et soir, on retrouve des ouvriers et ouvrières assis sur les chaises extérieures, placotant.
Incertain de l’accueil que je recevrais, je me suis approché en disant «buenos dias». Deux cousins mexicains dans la trentaine m’ont accueilli bien gentiment. Bien que mon espagnol soit seulement de niveau passable, c’est dans cette langue que nous poursuivons la discussion, puisque leur anglais est tâtonnant et leur français quasi inexistant. «À l’usine, quelques Mexicains parlent bien l’anglais, m’expliquent-ils, ils traduisent donc les consignes pour les travailleurs.»
Ils me racontent, en buvant leur café matinal, qu’ils ont des contrats de 7 à 9 mois par année. Ils rentrent à la casa tous les hivers et reviennent le printemps venu, tels des snowbirds d’un nouveau genre. Occasionnellement, ils recrutent de nouveaux travailleurs parmi leurs cousins et amis.
Ils affirment beaucoup aimer l’ambiance au Nouveau-Brunswick. «C’est vraiment tranquille et sécuritaire, et il y a beaucoup de tolérance.» Ils apprécient l’accès facile à la nature et le fait que celle-ci soit si propre. «On va parfois à la plage. L’eau est froide pour nous, mais on s’y baigne quand même.»
Ils aimeraient beaucoup immigrer officiellement au pays. «Mais je ne sais pas si on resterait ici, même si c’est un bel endroit. Il y a par moments trop peu de travail. Aussi, c’est difficile pour nous de nous déplacer. Nous avons nos vélos, mais le village est grand, et durant les mois plus froids, ce n’est pas évident. Il y a seulement deux Mexicains au motel qui ont des voitures.»
Ils disent toutefois vouloir jouer par les règles. La dernière chose qu’ils souhaitent, c’est de devenir des travailleurs au noir, des immigrants non documentés. «Alors, on continuera de prendre des contrats de travailleurs temporaires et à chercher des manières d’immigrer légalement.»
Les besoins des entreprises
Curieux de savoir pourquoi on a tant recours à des travailleurs temporaires plutôt qu’à des immigrants permanents dans un village menacé d’un déclin démographique, je conduis jusqu’à Westmorland Fisheries, la plus grande des nombreuses entreprises de transformation de fruits de mer au village. J’y rencontre le propriétaire, Russel Jacob, qui me raconte l’expérience de son entreprise avec les travailleurs venus de loin, qui forment maintenant «30 à 40 %» de sa main-d’œuvre.
«On a été les premiers au Cap-Pelé à en faire venir. C’était à peu près en 2007. Il nous manquait de plus en plus souvent de travailleurs. S’il y avait du monde qui était absent, ça dérangeait toutes les lignes [de transformation]. On avait tout le temps besoin de demander de l’overtime aux employés. Puis même là, c’est arrivé qu’on a perdu des centaines de livres de homard qui n’ont pas pu être transformées à temps. À c’t’heure, avec l’aide des travailleurs de l’étranger, on respire mieux, et c’est mieux pour tout le monde, parce qu’on est capables de donner des congés à nos employés.»
Je lui ai demandé pourquoi, parmi les migrants, il y avait tant de travailleurs temporaires. «B’en sûr, on aime l’idée de faire venir des familles, de faire venir du monde à Cap-Pelé de manière permanente. On l’a fait et j’espère qu’on pourra le faire encore. Mais après quinze ans d’expérience, je dois dire que c’est pas mal plus compliqué pour nous autres. Le programme d’immigration fédéral pour les travailleurs non qualifiés met beaucoup de responsabilités sur les employeurs. Il faut qu’on fournisse les logements pour les familles, qu’on a souvent besoin de faire construire nous-mêmes. On a même payé la construction d’une rue, avec eau, égouts et électricité. Ça nous coute cher.»
Russell Jacob m’explique qu’en plus, il y a plus de défis de rétention avec les immigrants reçus, surtout dans les régions périphériques. Contrairement aux travailleurs temporaires, ceux-ci peuvent partir pour les grands centres quand ils veulent. Il faudrait, selon lui, en trouver les causes et les régler. «Mais en attendant, on n’a pas ce genre de problème avec les travailleurs temporaires, ça fait qu’on continue de les faire venir.»
Sur le chemin du retour, je me suis questionné sur ce qui pourrait être fait pour faciliter la rétention d’immigrants permanents et de leurs familles dans des régions-ressources francophones comme Cap-Pelé. Je me dis qu’il est surement possible de modifier nos politiques d’immigration pour faire en sorte que cela vaille la peine pour eux d’y rester. Espérons que nos chercheurs, politiciens et fonctionnaires s’y penchent, car l’avenir de plusieurs communautés francophones en milieu minoritaire en dépend.
Les propos rapportés dans cette chronique ont été édités dans un souci de concision et de clarté.