Le mois de mars a débuté avec le dépôt du projet de loi C-13 visant à moderniser la Loi sur les langues officielles du Canada. Faisant suite au projet de loi C-32 déposé en juin 2021, cette version bonifiée précise notamment que les droits linguistiques doivent être interprétés en fonction de leur caractère réparateur.

La ministre était à Grand-Pré, en Nouvelle-Écosse, pour annoncer la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
La ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, s’est rendue au lieu historique national de Grand-Pré le 1er mars, premier jour du Mois de la francophonie, pour en faire l’annonce. La symbolique était forte.
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Moins d’un mois plus tard, on apprenait que ses collègues à la Justice et à Emploi et Développement social Canada prévoyaient porter en appel le récent jugement dans le dossier des services d’aide à l’emploi francophones en Colombie-Britannique.
Ce jugement met en lumière le fait qu’Ottawa a manqué à ses obligations quant à la prise de mesures positives à l’intention des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Or, le projet de la ministre Petitpas Taylor cherche justement à renforcer et clarifier ces mesures. En matière de cohérence, on peut repasser!
La nouvelle a suscité l’indignation au sein des communautés francophones à travers le pays. Moins d’une semaine plus tard, le gouvernement a abandonné l’idée de porter en appel le jugement.
Malgré ce dénouement positif, ces tergiversations illustrent un degré de sensibilité inégal aux langues officielles au sein du Cabinet. Il s’agit ni plus ni moins d’un désaveu du travail de la ministre Petitpas Taylor par certains de ses collègues.
Autre projet de loi, autre controverse
Cette situation n’est pas sans rappeler les évènements de l’été dernier. Le dépôt de la première mouture du projet de modernisation de la Loi sur les langues officielles, mort au feuilleton, avait lui aussi été suivi d’une controverse linguistique à Ottawa.

L’ancienne ministre des Langues officielles, Mélanie Joly, aujourd’hui ministre des Affaires étrangères.
À la mi-juin 2021, la ministre Mélanie Joly, responsable du dossier à l’époque, dépose une réforme ambitieuse et affirme en conférence de presse que «le gouvernement doit utiliser tous les outils à sa disposition pour promouvoir et protéger le français».
Trois semaines plus tard, le premier Justin Trudeau annonce la nomination de Mary Simon au poste de gouverneure générale, alors que celle-ci ne parle pas français. Difficile de ne pas y voir des contradictions avec les objectifs associés à la réforme portée par sa ministre de l’époque.
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Des contradictions dans les relations avec les provinces
Dans les dernières années, plusieurs membres du Cabinet fédéral sont montés aux barricades pour défendre les intérêts des francophones lorsque leurs acquis étaient mis en péril par des gouvernements provinciaux conservateurs, notamment en Ontario, en Alberta et au Nouveau-Brunswick.

Les ententes entre le fédéral et les provinces pour l’établissement de garderies à 10 $ ne contiennent pas de clauses linguistiques pour les francophones.
Le fédéral n’est toutefois pas toujours un modèle en la matière. Dans la dernière année, ce même gouvernement qui se pose en défenseur des francophones a omis de prévoir des clauses linguistiques dans les ententes pour la mise en place de services de garde abordables.
L’exemple des services à l’emploi en Colombie-Britannique illustre pourtant qu’en l’absence d’engagements explicites dans ce type d’ententes, les risques sont grands pour les francophones d’être laissés pour compte.
Une prise en considération variable de la maitrise du français lors de nominations d’envergure
En aout 2016, le premier ministre Trudeau s’est engagé à ne nommer que des juges bilingues à la Cour suprême du Canada, contrairement à son prédécesseur Stephen Harper. Il s’agissait d’une avancée à souligner, qui a cependant été suivie de plusieurs autres nominations d’envergure qui sont passées outre la maitrise de la langue française.

La lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick, Brenda Murphy, est unilingue anglophone.
À titre d’exemple, en 2019, M. Trudeau a nommé une lieutenante-gouverneure unilingue anglophone au Nouveau-Brunswick, seule province officiellement bilingue au pays.
Du côté du Sénat, Justin Trudeau a rompu une tradition qui remontait à Wilfrid Laurier consistant à assurer une représentation acadienne de la Nouvelle-Écosse. Depuis son arrivée en poste, il aurait eu amplement le temps de rectifier le tir, ayant procédé à cinq nominations dans cette province. Dans l’Ouest, il n’y a désormais plus qu’une sénatrice francophone alors qu’il y en avait deux jusqu’en 2018.
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Les langues officielles, une question de leadeurship
Le respect des langues officielles n’est pas qu’une question de droits linguistiques. Il s’agit aussi d’un exercice de leadeurship politique. Le premier ministre devrait être un modèle en la matière et veiller à assurer une cohérence au sein de son Cabinet.
Or, à l’heure actuelle, Justin Trudeau et son gouvernement cumulent plutôt plusieurs faux pas évitables. Ceux-ci font ombrage au travail des ministres et députés du caucus gouvernemental qui ont à cœur les intérêts des communautés francophones.
Guillaume Deschênes-Thériault est doctorant en science politique à l’Université d’Ottawa. Il détient un baccalauréat de l’Université de Moncton et une maitrise de l’Université d’Ottawa. Dans le cadre de ses recherches, il s’intéresse aux communautés francophones en situation minoritaire, avec un intérêt particulier pour l’enjeu de l’immigration. Depuis mai 2021, il est conseiller à la municipalité de Kedgwick au Nouveau-Brunswick.