Parce que notre perception de l’inflation est plus importante que la réalité. Après trente ans de stabilité des prix, la forte inflation des dernières années a marqué nos esprits.
Grâce au recul des prix du pétrole, l’inflation est retombée à des niveaux normaux depuis plusieurs mois déjà. La Banque du Canada prévoit que l’inflation moyenne sera de 2,5 % en 2024, tout près de sa cible de 2 %.
Mais ce n’est pas ce à quoi l’on s’attarde quand on va à l’épicerie. Il importe peu de savoir que la livre de beurre coutera (seulement) 8,25 $ en décembre 2024 par rapport aux 8,00 $ actuels. Tout le monde se rappelle que la livre de beurre coutait 6,00 $ avant la pandémie.
L’inflation sur 4 ans
Normalement, l’inflation se calcule sur une période de douze mois. On compare les prix d’aujourd’hui par rapport à ce qu’ils étaient à pareille date l’an dernier. Les plus récentes données de Statistique Canada nous apprennent que les prix ont augmenté en moyenne de 3,1 % sur un an en novembre.
Mais si l’on prend un pas de recul et que l’on regarde l’inflation depuis quatre ans, on prend toute la mesure de la croissance des prix. Le portrait est frappant.
De 2020 à la fin de 2023, l’inflation moyenne a été de 16 % au pays. C’est autant en quatre ans que pendant toute la décennie 2010.
Le prix de certains produits de base a cru encore davantage. Le cout des aliments a augmenté de 21 %, tout comme celui du logement.
Ces données sont des moyennes qui cachent cependant d’importants écarts. Certaines villes ou certains types de logements ont connu des augmentations de prix beaucoup plus importantes, alors que dans d’autres régions les prix ont été plus stables.
Les propriétaires qui renouvèlent leur hypothèque en ce moment subissent de plein fouet l’augmentation des taux d’intérêt, alors que ceux qui renouvèleront seulement dans 24 ou 36 mois seront épargnés par ces hausses.
Le pouvoir d’achat s’est maintenu
Cela peut paraitre surprenant, mais en moyenne, les salaires ont augmenté plus rapidement que l’inflation depuis quatre ans. La hausse moyenne de la rémunération hebdomadaire a été de presque 17 % au cours de cette période, soit environ 1 % de plus que l’inflation.
La pénurie de main-d’œuvre a permis aux travailleurs de nombreux secteurs de négocier de généreuses augmentations.
Ce portrait dissimule cependant une sombre réalité : quand on connait une hausse aussi rapide et inégale des prix et des salaires, peu de gens correspondent à la moyenne. Les écarts sont importants.
Pour ceux dont les salaires n’ont pas augmenté, pour ceux qui doivent se trouver un nouveau logement et qui voient que le prix d’un appartement équivalent à celui qu’ils occupent a doublé, pour ceux qui peinent à se nourrir adéquatement, les moyennes n’ont aucune importance.
Ces personnes ont véritablement perdu de leur pouvoir d’achat, et leur situation s’est empirée. C’est ce qui compte.
Même pour ceux dont le pouvoir d’achat s’est maintenu, la forte variation des prix peut leur donner l’impression que leur situation économique s’est détériorée. Peu importe que les prix n’augmentent presque plus depuis six mois, ils se rappellent très bien que les prix étaient beaucoup plus bas avant la pandémie.
Le ralentissement de l’économie affecte notre perception
Le ralentissement de l’économie qu’on connait à cause de la hausse des taux d’intérêt aggrave cette perception négative. On entend parler de récession possible en 2024 dans les médias. Le discours autour de l’économie est négatif.
Pourtant, malgré un ralentissement de l’économie et une forte croissance de la population en 2023, l’emploi n’en a pas trop souffert. Le choc aurait pu être bien pire.
Il s’est créé plus de 500 000 emplois au Canada en 2023. C’est énorme. Malgré cela, le taux de chômage a augmenté; il est passé de 5 % à 5,8 % depuis un an. C’est parce que le Canada connait une vague sans précédent d’immigration qui fait en sorte que davantage de personnes se cherchent un emploi.
Mais dans le contexte où la banque centrale a donné un coup de frein en augmentant les taux directeurs dix fois en quinze mois et où l’on se remet d’une crise inflationniste, l’économie canadienne est étonnamment résiliente.
Malgré tout, on l’entend, les gens sont inquiets.
Les chroniqueurs et les analystes économiques auront beau dire que l’inflation est jugulée, que l’économie se porte bien dans les circonstances, cela ne changera probablement rien à la perception négative des gens qui ont connu une hausse des prix inégalée depuis quarante ans.
En politique comme en économie, les perceptions sont souvent plus importantes que les faits.
Notice biographique
David Dagenais est journaliste économique indépendant et entrepreneur. Auparavant, il a été journaliste à Radio-Canada après avoir achevé des études supérieures en économie politique à l’UQAM et à l’Université d’Ottawa.