«Il y a eu une grande augmentation de demandes d’asile des personnes nouvelles arrivantes dans les centres 2SLGBTQIA+», témoigne Rose-Eva Forgues-Jenkins, gestionnaire de la programmation au Comité FrancoQueer de l’Ouest, à Edmonton, en Alberta.
Parmi elles, certaines ne parlent pas ou très peu anglais. L’organisme se charge alors de leur traduire des documents, notamment pour les services sociaux et la santé.
Selon Rose-Eva Forgues-Jenkins, l’un des principaux obstacles reste administratif. «Quand ces personnes font une demande d’asile ou un statut de réfugié, le gouvernement leur demande de prouver qu’elles font partie de la communauté de 2SLGBTQIA+.»
«C’est quelque chose qui est fondamentalement incorrect, dénonce-t-elle. Parce que ces personnes, dans leur pays, c’est un traumatisme qu’elles ont vécu, parce que c’est illégal. Donc ce n’est pas quelque chose dont tu vas avoir des traces.»
Les associations peuvent alors écrire des lettres confirmant que ces personnes font partie ou ont des liens avec des organismes 2SLGBTQIA+. Mais pas question de leur demander une quelconque «pièce justificative».
«Personne n’a à prouver qu’il fait partie de la communauté. Il y a déjà tellement de stigmatisation», lâche Rose-Eva Forgues-Jenkins.
Se rendre dans les périphéries
L’organisme franco-ontarien FrancoQueer a réalisé à une recherche pour favoriser le bienêtre et l’intégration sociale de la communauté racisée francophone 2SLGBTQIA+ de Toronto et d’Ottawa.
Les chercheurs recommandent notamment aux organismes de réaliser certaines activités en périphérie. Ils suggèrent par exemple la mise en place de groupes satellites pour réunir les membres qui ne peuvent pas toujours se déplacer au centre-ville.
Pour améliorer l’accessibilité aux services en français dans les organismes de santé et les institutions gouvernementales et socioculturelles, «il est impératif de continuer à plaidoyer de concert avec d’autres organismes francophones», peut-on lire dans le document.
Le rapport insiste aussi sur la nécessité d’offrir une formation adaptée aux professionnels de la santé et des services sociaux pour inclure les personnes racisées nouvellement arrivées.
Isolement géographique
Les personnes éloignées des centres urbains ou des quartiers généraux des associations rencontrent également des difficultés pour accéder à leurs ressources.
«Le fait que nos services se soient élargis pendant la pandémie nous a en quelque sorte un peu aidés, parce qu’on a dû transformer beaucoup de nos programmes au format virtuel», explique Élisabeth Bruins, coordinatrice de l’engagement communautaire à FrancoQueer, à Toronto, en Ontario.
«On aimerait pouvoir offrir plus de services, d’activités et de programmation en personne à l’extérieur de Toronto», ajoute-t-elle. Mais les ressources manquent.
«On essaie d’obtenir plus de financement pour justement élargir la portée de nos services vraiment à la grandeur de la province. Parce qu’on a des demandes de personnes à Windsor, à London, dans le nord de l’Ontario, dans la région d’Ottawa, de Cornwall…»
Collaborer avec d’autres organisations locales est également crucial.
«On est vraiment ancré en ce moment dans la région de Toronto, un petit peu dans la région d’Ottawa. Alors c’est essentiel pour nous d’établir des connexions avec des partenaires qui sont déjà implantés ailleurs dans la province», témoigne Élisabeth Bruins.
L’éloignement entre les organismes et leurs bénéficiaires n’est pas seulement physique, il peut aussi être culturel.
Barrières culturelles
«Il y a cette idée comme quoi les personnes de la communauté de 2SLGBTQIA+, elles sont blanches, elles sont occidentales et ça, c’est juste faux», insiste Élisabeth Bruins.
«C’est au cœur de notre travail de reconnaitre et de célébrer qu’il y a des personnes queers, des personnes trans partout au monde, partout à travers la francophonie.»
Pour s’aligner avec cette réalité, FrancoQueer offre des services culturellement adaptés aux personnes nouvellement arrivées.
L’association intègre dans ses évènements plusieurs référents culturels pour refléter la diversité de sa communauté. Cela va de la musique jouée, à la nourriture proposée, en passant par les mots employés.
«On a une série d’activités qu’on appelle “Culture queer”, où des membres viennent et partagent la culture de leur pays d’origine, mais aussi la culture queer : ça ressemble à quoi, être queer dans ton pays?»
Mais malgré les efforts, «il y a encore du travail à faire», reconnait Élisabeth Bruins.
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Former pour ne pas traumatiser
Rose-Eva Forgues-Jenkins note aussi l’importance de la représentation et de la diversité au sein des équipes.
«C’est important pour que les personnes se sentent confortables à voir quelqu’un, qu’elles se sentent reflétées dans un organisme […] ou avoir au moins quelqu’un qui connait bien ces enjeux-là.»
Les organismes proposent ainsi des formations au bénéfice de leur personnel.
«On parle d’humilité culturelle, de reconnaitre que nos référents culturels, notre socialisation, ce n’est ni la seule façon de faire, ni la meilleure, et donc d’approcher des situations où il pourrait y avoir des malentendus, des conceptions différentes, de les approcher avec curiosité, avec générosité et avec humilité», complète Élisabeth Bruins, qui a récemment suivi une formation sur les bonnes pratiques interculturelles.
«C’est important pour nous de nous former en approche trauma-informed, qui tiennent compte des traumatismes et de la violence.»
Revoir le mode de financement
Mais toutes ces initiatives ne sont pas gratuites. «Il faut passer plus de temps sur des demandes de subventions […] au lieu de passer du temps avec la communauté», regrette Rose-Eva Forgues-Jenkins.
Pour Élisabeth Bruins, c’est la structure même des financements qui pourrait être revue.
À ses yeux, la façon dont les indicateurs de succès sont mesurés par certains bailleurs de fonds ne reflètent pas forcément l’impact des services proposés et empêche les organismes d’obtenir plus de fonds.
«Dans certains cas, peut-être qu’il suffirait de faire de plus petits évènements et en faire plus dans les régions», avance-t-elle.
Élisabeth Bruins appelle à changer les indicateurs et les manières de travailler pour mieux servir les bénéficiaires, en s’appuyant notamment sur les recherches et les rapports faits par les organismes.