«Nous sommes là pour que tous les citoyens puissent parler français à l’extérieur de chez eux. Nous nous efforçons de créer un environnement où la culture francophone rayonne quotidiennement», affirme le maire du Grand Sudbury en Ontario, Paul Lefebvre.
L’élu insiste sur le besoin vital des francophones de pouvoir «s’entendre, s’écouter et se lire» dans les couloirs de l’hôtel de ville, mais aussi dans les rues et lieux publics de l’agglomération.
Le Grand Sudbury fait partie de la douzaine de municipalités ontariennes qui offrent des services dans les deux langues officielles. Ces villes ont décidé de leur plein gré de se soumettre à la Loi sur les services en français de l’Ontario.
Autrement dit, elles s’engagent à desservir leurs concitoyens en français, totalement ou en partie. Si elles manquent à leurs obligations légales, les résidents peuvent déposer une plainte auprès de l’administration municipale ou du Commissaire aux services en français de l’Ontario.
Sudbury et Nipissing Ouest, par exemple, ont adopté des règlements qui garantissent l’offre de services municipaux en français. D’autres, à l’image de Val Rita-Harty, ont voté une simple résolution d’une phrase ou deux.
Ottawa profite d’un statut encore plus particulier. Depuis 2017, une loi provinciale impose le bilinguisme à la capitale fédérale.
Des règles très hétérogènes
Ces variations créent une situation à géométrie variable. Dans certaines agglomérations, seuls les services de première ligne sont proposés en français. Dans d’autres, les réunions des élus et l’affichage public se font dans les deux langues, les arrêtés municipaux sont également traduits en français, de même que les délibérations et les documents internes.
Parfois même, les programmes culturels et les services sociaux sont disponibles en français. À Ottawa, 16 % des postes de la Ville sont désignés bilingues.
«Il n’existe pas de villes en Ontario où l’intégralité des services est offerte dans les deux langues, de manière égale et avec une qualité équivalente», tempère François Larocque, professeur de droit à l’Université d’Ottawa.
Quels que soient le type d’acte juridique adopté et l’étendue de l’offre bilingue, le juriste spécialisé en droits linguistiques y voit néanmoins «un geste fort pour défendre la langue de la minorité».
Il estime que la langue utilisée par les municipalités a un «très grand impact» sur la vie des citoyens, «car c’est l’échelon avec lequel ils interagissent le plus».
«Les villes jouent un rôle crucial dans le maintien et le rayonnement du français, elles légitiment la langue en lui donnant une place dans la sphère publique», poursuit François Larocque.
Fusion et assimilation
Un avis que partage Michel Doucet, professeur émérite de droit à l’Université de Moncton, au Nouveau-Brunswick : «Les municipalités sont le seul territoire politique [au Canada] où les gens peuvent parler français comme langue majoritaire.»
«Autrement, le français devient une langue familiale, parlée seulement à la maison et tout le reste des activités sociales se passe en anglais», ajoute l’expert des droits linguistiques.
Au Nouveau-Brunswick, les villes francophones dont au moins 20 % de la population est anglophone ont l’obligation de fournir des services dans les deux langues. Elles doivent notamment traduire les arrêtés municipaux en anglais.
L’an dernier, dix nouvelles municipalités ont dépassé ce seuil dans la province à la suite de leur fusion avec des communautés anglodominantes. Alors qu’elles n’étaient auparavant soumises à aucune obligation, elles doivent désormais offrir des services en anglais.
«Ça entraine des couts supplémentaires de traduction. Les villes reçoivent de l’aide financière de la province, mais je ne suis pas sûr que ça soit suffisant», observe Yvon Godin, président de l’Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick (AFMNB).
L’Acadien s’interroge sur la «légitimité» du 20 % : «Ça peut faire partie de l’assimilation, il faudrait peut-être revoir ce seuil à la hausse.»
Pour Michel Doucet, ce seuil est arbitraire et n’est plus «raisonnable» pour protéger les communautés francophones. Car, partout au pays, les villes ont tendance à s’angliciser.
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Moncton, «rôle de chef de file»
Moncton est la première ville canadienne officiellement bilingue depuis 2002. Les élus ont adopté la première politique municipale sur les services et les communications dans les deux langues officielles dès 1991.
«Nous avons un rôle de chef de file particulier à jouer dans la francophonie, insiste la conseillère municipale de la Ville, Paulette Thériault. Les gens oublient trop souvent que le Canada est bilingue.»
Recul du bilinguisme
Face au poids démographique des francophones qui diminue, Michel Doucet craint carrément la disparition des municipalités francophones.
«Il doit y avoir une prise de conscience des partis politiques, nous avons besoin d’actions concrètes pour valoriser le français. Le leadeurship doit venir d’en haut, les municipalités n’ont pas les moyens d’agir à elles toutes seules», insiste-t-il.
L’automne dernier, un rapport déplorait «un recul significatif» du bilinguisme au sein de l’appareil municipal du Grand Sudbury au cours des 50 dernières années.
«On a beau créer des occasions de travail en français, on a du mal à recruter des employés bilingues», confirme Paul Lefebvre.
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À Moncton, la conseillère Paulette Thériault reconnait que pendant les conseils municipaux, le personnel et les élus préfèrent souvent l’anglais au français. Certaines municipalités francophones néobrunswickoises offrent même des services en anglais alors qu’elles n’y sont pas tenues par la loi.
«Afficher le français dans le paysage»
Pour inverser la tendance, les municipalités font pression pour que les cibles d’immigration francophone hors Québec soient revues à la hausse.
Yvon Godin appelle également à l’adoption systématique de politiques linguistiques municipales strictes. Il parle «d’afficher le français dans le paysage» : «Les panneaux sur les bords des routes, toute la publicité doit se franciser. Les élus doivent demander aux entreprises qu’[elles] mettent le français en avant.»
Mais aux yeux de Paul Lefebvre, les francophones doivent aussi faire leur part contre l’anglicisation en demandant plus de services dans leur langue maternelle.
«Souvent, à cause du fort taux de bilinguisme, les francophones en milieu minoritaire acceptent plus facilement d’avoir un service en anglais», concède François Larocque.
Le spécialiste note cependant «un profond changement de cap» dans certaines municipalités, notamment en Ontario. Après s’être proclamée illégalement unilingue anglophone en 1990, Sault-Sainte-Marie a voté une résolution pour se dire bilingue.
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Le Canada en villes
La série Le Canada en villes propose un regard sur les succès et les défis des municipalités canadiennes.