le Samedi 12 octobre 2024
le Jeudi 14 mars 2024 6:30 Francophonie

L’éducation en français à l’épreuve du pouvoir et du multiculturalisme

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Sara El Zoghbi, doctorante en éducation à l’Université de Toronto, explique qu’à mesure que les communautés francophones se diversifient avec de nouveaux arrivants venus du monde entier, «des malentendus et des conflits culturels» apparaissent. — Photo : Courtoisie
Sara El Zoghbi, doctorante en éducation à l’Université de Toronto, explique qu’à mesure que les communautés francophones se diversifient avec de nouveaux arrivants venus du monde entier, «des malentendus et des conflits culturels» apparaissent.
Photo : Courtoisie
FRANCOPRESSE – Lors d’un colloque organisé à l’Université Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse, le 9 mars, des chercheurs ont évoqué les défis que représente la diversité ethnoculturelle pour l’éducation francophone en milieu minoritaire. Ils sont aussi revenus sur la lutte pour l’instruction en français en Ontario.
L’éducation en français à l’épreuve du pouvoir et du multiculturalisme
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Sous le thème «Échanges et appartenances en espaces francophones», le colloque a réuni de jeunes chercheurs du Canada, des États-Unis et du Maroc.

Quels que soient les enjeux qui traversent les communautés francophones en situation minoritaire au Canada, elles sont souvent «morcelées» et n’affichent pas toujours une unité «solide», estime Sara El Zoghbi, doctorante en éducation en justice sociale à l’Université de Toronto.

À mesure que ces communautés se diversifient, avec de nouveaux arrivants venus du monde entier, «des malentendus et des conflits culturels» apparaissent, en particulier dans le domaine de l’éducation.

Les écoles francophones hors Québec abritent une multitude de réalités culturelles auxquelles les enseignants doivent continuellement s’adapter. Le français est la deuxième, voire parfois la troisième ou la quatrième langue d’un nombre grandissant d’élèves.

C’est comme si tout le monde avait des lunettes et des écouteurs. Notre langue et notre culture influencent notre perception du monde et de la réalité. Il faut prendre conscience de ces biais et de ces stéréotypes pour savoir d’où ils viennent et les déconstruire.

— Sara El Zoghbi

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Changer la perception de la francophonie

Les pratiques et les sujets abordés dans les salles de classe canadiennes peuvent être jugés inacceptables par des parents fraichement débarqués de l’autre bout du monde, dont les référents culturels sont aux antipodes.

De même, à cause de ces différences, les relations entre le corps professoral et les familles peuvent se crisper, car «ce qu’un parent va entendre n’est pas nécessairement ce que l’enseignant lui a dit, la manière dont il va le comprendre n’est pas nécessairement la bonne», détaille Sara El Zoghbi.

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«J’ai réalisé qu’il y a avait énormément de travail à faire au niveau de la perception de la francophonie et de sa diversité», commente celle qui a été enseignante dans des écoles françaises au Liban.

«Supprimer la hiérarchie entre les francophonies»

«On ne doit pas oublier que la francophonie est un espace ouvert, fait aussi de traditions orales, capables de valoriser pareillement la langue française», ajoute Anouar Akki, doctorant en littérature française, francophone et comparée à la Faculté des Langues, des Lettres et des Arts de Kenitra, au Maroc.

Le doctorant marocain Anouar Akki rappelle que «la francophonie est un espace ouvert». 

Photo : Courtoisie

Aux yeux de Sara El Zoghbi, d’un côté, les curriculums canadiens ne sont pas assez adaptés aux élèves, de l’autre, les enseignants arrivant de l’étranger ne sont pas assez formés. Ils connaissent mal les programmes et doivent effectuer des recherches supplémentaires, «seuls, dans leur coin […] laissant une place énorme à l’erreur».

La chercheuse appelle ainsi à les former plus efficacement à la diversité culturelle et au multilinguisme. Elle parle de leur apprendre à mettre en valeur l’identité culturelle et la langue d’origine de leurs élèves.

«Nous devons harmoniser les pratiques et supprimer les relations de pouvoir et la hiérarchie entre les francophonies. Les différents espaces francophones doivent se reconnaitre à égalité», insiste Sara El Zoghbi.

Démonstrations d’unité des Franco-Ontariens

De leur côté, les Franco-Ontariens ont su très tôt unir leurs forces pour défendre l’enseignement dans leur langue maternelle. «L’éducation en français en Ontario a toujours été une question de lutte», affirme Johnsly Ira, stagiaire à l’Observatoire Nord-Sud de l’Université Saint-Anne, en Nouvelle-Écosse.

L’étudiant évoque le combat mené contre le Règlement 17 du ministère ontarien de l’Éducation. Adopté en 1912, il interdisait déjà l’enseignement du français après la 2e année du primaire et comme langue de communication dans les écoles bilingues des réseaux publics et séparés.

Il revient surtout sur la mobilisation plus récente des Franco-Ontariens en faveur de l’ouverture d’une université de langue française. Si la province compte 19 universités, aucune université indépendante n’était exclusivement francophone avant 2021.

Pendant des décennies, la demande des francophones n’a pas été prise en compte, car cela coutait moins cher de financer des programmes en français dans des universités bilingues.

— Johnsly Ira

En Ontario, neuf établissements postsecondaires sont bilingues, comme l’Université Laurentienne et celle d’Ottawa.

«Au-delà de la volonté de desservir la population de langue française, ces deux universités ont privilégié la voie du bilinguisme institutionnel pour s’assurer des subventions du gouvernement provincial», observe Johnsly Ira.

Mais ce modèle du bilinguisme ne convainc pas les Franco-Ontariens, à cause du «risque trop élevé d’anglicisation» et parce qu’il «n’est pas adapté à leurs besoins», détaille celui qui est titulaire d’un baccalauréat en psychologie de l’Université d’État d’Haïti.

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«Les francophones montent aux barricades»

Le travail de longue haleine des Franco-Ontariens finit par payer. En 2017, ils obtiennent de la province le financement de l’Université de l’Ontario français (UOF).

Johnsly Ira, stagiaire à l’Observatoire Nord-Sud de l’Université Saint-Anne, considère que le mouvement contre la fermeture de l’hôpital Monfort en Ontario a «apporté une contribution centrale à la manière de penser les revendications pour que les minorités francophones aient leurs propres institutions». 

Photo : Courtoisie

Quelques mois plus tard, à la stupeur générale, le gouvernement progressiste-conservateur de Doug Ford fait brusquement marche arrière. «Les francophones montent aux barricades pour résister à la décision de Ford», résume Johnsly Ira. Près de 40 manifestations ont lieu à travers la province pour réclamer le rétablissement de l’UOF.

La mobilisation porte ses fruits. En janvier 2020, les gouvernements fédéraux et provinciaux signent une entente de financement de 128 millions de dollars qui sauve l’université.

Johnsly Ira explique que la lutte pour l’UOF s’inspire du mouvement de contestation de 1997 contre la fermeture de l’hôpital Monfort, le seul à offrir des services entièrement en français en Ontario.

À l’époque, grâce à une mobilisation sans précédent, les Franco-Ontariens obtiennent gain de cause devant les tribunaux et sauvent l’hôpital.

«Cette victoire a laissé un socle inébranlable pour d’autres mouvements de contestation, analyse John C. Kina. Elle a apporté une contribution centrale à la manière de penser les revendications pour que les minorités francophones aient leurs propres institutions.»

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Type: Actualités

Actualités: Contenu fondé sur des faits, soit observés et vérifiés de première main par le ou la journaliste, soit rapportés et vérifiés par des sources bien informées.

Charlottetown

Marine Ernoult

Journaliste

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