Point de départ d’un projet de cinq ans, la recherche servira désormais à mettre sur pied un «plan de renforcement» pour que les organismes de terrain sachent mieux accueillir et intégrer les femmes immigrantes francophones.
«Lorsqu’on a des données plus précises, on est plus en mesure de développer des solutions qui vont répondre aux besoins […] On est capable de tailler un peu plus sur mesure les interventions que nous faisons», a mis en lumière la consultante Denise Beaulieu, qui a préparé l’étude, à l’occasion de son lancement lors du congrès annuel 2021 de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne (AFFC).
L’évènement avait pour thème «Essentielles mais invisibilisées : les femmes francophones au cœur de la relance!».
Générer des impacts concrets
L’étude s’est concentrée sur quatre provinces et un territoire : la Colombie-Britannique, le Manitoba, la Nouvelle-Écosse, l’Ontario et le Yukon. Au total, 59 immigrantes francophones y ont participé par des entretiens individuels ou de groupe, ou un sondage en ligne.
La présidente sortante de l’AFFC, Lily Crist, explique que le choix de ces cinq provinces et territoires découle du fait qu’«IRCC [Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada] a donné un financement spécifique […] donc il y avait une limite [au nombre de provinces et territoires que l’étude pouvait couvrir]».
«Et bien sûr, c’est la phase un de notre projet ; il va y avoir toute une suite dans toutes les provinces et territoires», ajoute Lily Crist.
L’étude découle en fait d’un projet conjoint entre l’AFFC, la Commission nationale des parents francophones (CNPF) et la Fédération des aînées et aînés francophones du Canada (FAAFC) : «Intégration des nouveaux arrivants dans les communautés francophones au pays» – qui comprend un volet plus spécifique aux femmes intitulé «Intégration des nouvelles arrivantes».
L’ensemble de ce projet sur cinq ans (2020-2025) bénéficie d’une enveloppe de 2,5 millions $ d’IRCC.
«On va continuer sur les pistes qui ont été mises en lumière afin d’avoir des façons concrètes [de mieux appuyer les femmes immigrantes francophones] […] La phase deux va nous permettre de voir quel genre de politiques peuvent être mises en place», enchaine Lily Crist.
La présidente sortante estime toutefois qu’il y a déjà des impacts concrets : «En faisant cette étude, on a travaillé avec différents groupes qui sont le relai francophone en immigration, avec différents organismes qui travaillent directement [avec les femmes immigrantes francophones]. Notre recherche leur permettra, dès aujourd’hui, de faire des demandes de subvention pour des projets spécifiques et de baser ça vraiment sur notre recherche.»
Des services neutres et parfois inaccessibles
L’étude s’est intéressée à quatre principaux aspects : les besoins des immigrantes francophones établies dans des communautés francophones en situation minoritaire dans diverses sphères de leur vie ; la disponibilité et l’accessibilité des ressources pour répondre à ces besoins ; l’écart entre ces besoins et les ressources disponibles/accessibles ; et les mesures qui pourraient être mises en place afin de combler ces écarts.
De nombreux services sont actuellement offerts par divers organismes, notamment les 13 Réseaux en immigration francophone (RIF) : services d’établissement, cours de langue, activités de socialisation, recherche d’emploi et de logement, etc.
La consultante Denise Beaulieu apporte cependant une nuance :
Ainsi, l’une des principales doléances des femmes consultées est qu’un travail supplémentaire soit fait pour faire connaitre les services disponibles, mais aussi pour les rendre accessibles au plus grand nombre, en prenant en compte les multiples contraintes que peuvent rencontrer les femmes immigrantes francophones.
Enfin, la consultante note que les questions de racisme et de discrimination ont peu été évoquées par les participantes. Elle propose deux hypothèses pour expliquer cette absence : «Le caractère récent de leur arrivée au Canada fait en sorte qu’elles peuvent ne pas avoir pris la pleine mesure de comment la discrimination s’exprime au Canada», soit de manière moins évidente, mais réelle, avance Denise Beaulieu.
D’un autre côté, elle identifie aussi que «le peu d’expérience que ces personnes-là ont fait en sorte qu’elles ont peu de distance avec leur expérience […] Pour l’instant, c’est un peu l’éléphant dans la pièce».
Prendre en compte les réalités multiples
Française et Syrienne ayant immigré au Canada au début de l’an 2000, Nour Enayeh, également nouvelle présidente de l’AFFC, a livré un témoignage sur son propre cheminement, d’abord à Montréal puis à Vancouver.
«En Colombie-Britannique [où elle est établie], c’est très, très anglophone ; les services en français sont minimes. Il y a des organismes, mais c’était difficile pour moi de savoir ce qui était là. Ça m’aurait beaucoup aidée, j’aurais [aimé avoir] des cours d’anglais par exemple», souligne-t-elle.
Du côté de la Nouvelle-Écosse, des participantes ont d’ailleurs insisté sur la surprise qu’elles ont vécue à leur arrivée, en constatant qu’il fallait parler anglais. «Elles avaient une compréhension qu’elles pourraient y vivre en français», relate Denise Beaulieu.
Nour Enayeh, qui avait déjà un enfant puis en a eu un deuxième peu après son arrivée, ajoute qu’elle aurait souhaité avoir parfois de l’aide pour la garde puisqu’en Colombie-Britannique, «les services de garde sont extrêmement chers».
Plus que tout, la nouvelle présidente de l’AFFC invite les organismes à prendre en compte les différentes réalités des femmes immigrantes francophones. Pour avoir appuyé des réfugiées syriennes lors de la vague d’immigration de 2015, elle note que «quand on parle d’immigration, on met toutes les femmes immigrantes francophones dans un même panier, mais la réalité d’une femme française PVTiste [qui possède un permis vacances-travail, NDLR] est très, très différente d’une femme réfugiée […] Leurs besoins sont aussi importants l’une que l’autre, mais très, très différents».
Elle enchaine : «J’ai aussi réalisé qu’il faudrait peut-être voir ces femmes d’une façon différente – ne pas toujours les voir comme des immigrantes qu’on doit aider. Oui, elles ont des besoins, mais en même temps, ça serait bien de voir la richesse qu’elles nous apportent, leur expérience, et de leur donner une plateforme pour s’exprimer. Plutôt que de toujours décider de quoi elles ont besoin, de vraiment les écouter, de vraiment comprendre.»
L’AFFC vise à faire paraitre son «plan de renforcement» issu de l’étude d’ici mars 2022. Pour l’année à venir, l’organisme prévoit aussi la tenue d’un Forum pour contrer le masculinisme et la francophobie, prévu pour mars 2022.