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le Lundi 2 Décembre 2019 14:10 Francophonie

Questions et réponses avec la géographe Luisa Veronis. Quartiers de vie : Où s’installent les immigrants francophones, et pourquoi?

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Les quartiers faisant partie de la recherche de Luisa Veronis et de ses collègues de l'Université d'Ottawa, Carleton University et de l'UQO.  — Photo : Lily Xia
Les quartiers faisant partie de la recherche de Luisa Veronis et de ses collègues de l'Université d'Ottawa, Carleton University et de l'UQO.
Photo : Lily Xia
Qu’est-ce qui est le plus attirant pour les nouveaux arrivants francophones? Les services en français? La proximité des écoles? Le travail? L’accueil en général? Avec la collaboration de collègues, la spécialiste en géographie sociale Luisa Veronis s’est penchée sur la question dans le cadre de l’important projet «Immigration et résilience en milieu urbain» du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.
Questions et réponses avec la géographe Luisa Veronis. Quartiers de vie : Où s’installent les immigrants francophones, et pourquoi?
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Bac en anthropologie à l’Université McGill de Montréal, études supérieures en géographie sociale à l’Université de Toronto, depuis 20 ans, Luisa Veronis s’intéresse aux enjeux d’inclusion et d’exclusion sociale, de la formation identitaire et des sentiments d’appartenance en lien avec les lieux/espaces. Pourquoi? «Probablement parce que j’ai moi-même grandi dans plusieurs pays et dans des contextes multilingues», répond celle qui est professeure agrégée au Département de géographie, environnement et géomatique de l’Université d’Ottawa et qui vient tout récemment d’être nommée titulaire d’une Chaire de recherche sur l’immigration et les communautés franco-ontariennes à l’Université d’Ottawa.

Son intérêt pour l’immigration francophone en contexte minoritaire et la réinstallation des réfugiés au Canada l’a donc amenée à intégrer pour une période de cinq ans (2016-2021) le projet bilingue «Immigration et résilience en milieu urbain» (BMRC-IRMU). Ce partenariat compte plus de 25 chercheurs universitaires à travers l’Ontario et le Québec, travaillant en collaboration avec des partenaires gouvernementaux et communautaires. Huit villes-réseau, soit Montréal, Sherbrooke, Gatineau, Ottawa, Toronto, la région de York, Kitchener-Waterloo et Windsor, font partie de l’étude. Luisa Veronis fait partie de la ville-réseau d’Ottawa-Gatineau avec d’autres collègues de l’Université d’Ottawa, Carleton University et l’Université du Québec en Outaouais (UQO).

Photo : Lily Xia

Francopresse : En quoi consiste cette recherche ?

Luisa Veronis : Dans le cadre de ce partenariat, nous menons plusieurs projets locaux. Nous avons pratiquement complété une étude comparative de trois quartiers à Ottawa-Gatineau : Overbrook-Cummings (juste à l’est du quartier de Vanier) et Ledbury-Heron Gate, juste au sud du centre-ville d’Ottawa; à Gatineau, il s’agit du quartier Mont-Bleu.

Nous avons présenté certains résultats à nos partenaires communautaires locaux, ce qui nous permet de vérifier nos interprétations en relation avec leurs expériences sur le terrain, et envisager ensemble des recommandations pour le développement de politiques publiques et pratiques par des fournisseurs de services dans divers secteurs (logement, éducation, programmes d’établissement, etc.).

Entre temps, nous avons développé un certain nombre d’autres projets, dont un qui démarrera en janvier sur les expériences des nouveaux arrivants sur le marché du travail dans le contexte unique d’Ottawa-Gatineau, dont l’économie est basée sur la fonction publique et qui est une région bilingue. Tous ces projets viendront se complémenter. Nous procéderons ensuite aussi à des comparaisons avec des projets sur des thématiques semblables dans les autres villes-réseau.

Francopresse : Alors, qu’est-ce qui pousserait selon vous des communautés culturelles francophones à s’installer à Ottawa, en milieu minoritaire, plutôt qu’à Gatineau ? Être en milieu minoritaire, cela renforce-t-il la résilience ?

L. V. : Ceci est une question complexe! Pour ce qui est des immigrants francophones en contexte minoritaire, il s’agit là d’une thématique et d’enjeux très spécifiques – je mène d’ailleurs aussi des recherches à ce sujet-là. Dans le cadre de l’étude des quartiers, nous avons des participants, qui sont des immigrants francophones du côté de Overbrook-Cummings, et la majorité de ceux-ci nous ont dit qu’ils se sentent à l’aise dans le quartier, car ils trouvent des services en français. Donc être un immigrant francophone à Ottawa est généralement et relativement plus facile que n’importe où d’autre au Canada anglais, car somme toute il y a des services et une population francophone plus importante que dans d’autres villes ou régions. Mais il reste des défis importants, notamment en ce qui a trait à l’emploi (une question qui n’était pas centrale dans cette étude, mais le sera dans les autres).

D’autre part, parmi plusieurs recherches que nous avons menées au cours des 10 dernières années, nous remarquons que de nombreux immigrants francophones qui s’installent d’abord au Québec, notamment à Montréal, décident de venir à Ottawa-Gatineau, car ils ne ressentent pas toujours un sentiment d’appartenance au Québec et trouvent qu’ils sont mieux reçus en Ontario et qu’ils ont accès à plus d’opportunités malgré le contexte minoritaire.

Donc, la région à cheval sur la frontière interprovinciale leur offre la possibilité de vivre en français, tout en ayant accès à la société anglophone qu’ils perçoivent comme plus tolérante face à la diversité. Mais il s’agit-là d’une question très délicate…

Francopresse : Qu’est-ce qui fait que des communautés culturelles vont bien se sentir dans un quartier ?

L. V. : Nos résultats, qui sont assez comparables à travers les trois quartiers, indiquent les facteurs suivants :

-La disponibilité et le coût du logement sont le facteur le plus important qui détermine leur installation dans ces quartiers.

-La proximité des quartiers au centre-ville des deux villes respectivement, et l’accès par transport public aisé.

-La disponibilité de plusieurs services essentiels (écoles, garderies, cours de langue et services d’établissement, centres communautaires), ainsi que des parcs et services de loisirs (bibliothèques, programmes pour enfants/familles, programmes récréatifs/sportifs, etc.) et divers commerces, notamment des épiceries ethniques.

-La présence d’amis, famille et réseaux sociaux, ainsi que des réseaux qui leur fournissent les informations dont ils ont besoin en tant que nouveaux arrivants; dans une moindre mesure des réseaux culturels/ethniques et/ou religieux.

-La diversité des résidents fait qu’elles se sentent à l’aise et développent facilement un sentiment d’appartenance. Ce facteur est ressorti comme étant très important : tout le monde est différent, alors on ne se sent pas différent des autres. Cela permet aussi de faire des connaissances plus facilement, car tout le monde est passé par là et sait comment c’est. Il leur est aussi plus facile de trouver du soutien ou de l’aide (p. ex. : garde d’enfants), car il existe une culture plus orientée vers la communauté (contre une culture canadienne qui tend à être plus individualiste).


Francopresse : La résilience est-elle nourrie par l’interculturalisme voire le transculturalisme, soit quand la culture majoritaire adopte certaines valeurs de la culture minoritaire ?

L. V. : Je dirais que la diversité de la population dans un quartier donne lieu à la résilience des personnes, qui sont arrivées plus récemment pour les raisons expliquées précédemment. Par contre, je ne suis pas sûre que nous puissions vraiment parler d’interculturalisme ou de transculturalisme. Il y émerge certainement de l’interculturalisme entre populations immigrantes qui proviennent de divers pays et cultures différentes. Par contre, nombreux ont été les participants qui nous ont dit qu’ils ne rencontraient pas de Canadiens ou Québécois et avaient de la difficulté à développer des liens avec eux. Alors, c’est un phénomène d’interculturalisme entre cultures minoritaires, mais pas vraiment entre la culture majoritaire et les cultures minoritaires…

Francopresse : À l’inverse, à quel moment surgit la ghettoïsation et sert-elle la cause de la résilience ou au contraire, ça lui nuit?

L. V. : Dans aucun des cas que nous avons étudiés, nous ne voyons des processus, dynamiques ou rapports de force qui tendent vers la ghettoïsation. Il y a plusieurs forces structurelles qui ont des effets négatifs sur les populations issues de l’immigration dans ces quartiers – dont de l’exclusion, de la marginalisation, de la stigmatisation, etc. – avec des impacts néfastes, mais ce n’est pas de la ghettoïsation.

Photo : avec l’autorisation de