le Vendredi 25 avril 2025
le Mardi 4 mars 2025 6:30 Éducation

Un «climat hostile» envers les francophones à la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa

Pourquoi faire confiance à Francopresse.
Des francophones de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa estiment être victimes de microagressions.  — Photo : Julien Cayouette - Francopresse
Des francophones de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa estiment être victimes de microagressions.
Photo : Julien Cayouette - Francopresse
FRANCOPRESSE – «Parlez anglais.» «Speak white.» Une lettre envoyée au provost de l’Université d’Ottawa dénonce des «microagressions chroniques et persistantes» à la Faculté de médecine. Un rapport de 2021 faisait déjà état d’une montée de la francophobie dans l’établissement universitaire.
Un «climat hostile» envers les francophones à la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa
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«Nous constatons avec inquiétude un climat hostile à l’égard de la communauté facultaire francophone, marqué non seulement par des microagressions chroniques et persistantes, mais aussi par la suppression ou la fusion de postes sans remplacement équitable par rapport à la contrepartie anglophone», précise la lettre adressée au provost de l’Université, Jacques Beauvais, et envoyée le 21 février. 

Le vice-recteur associé, Francophonie de l’Université, Yves Pelletier, a aussi reçu une copie conforme de cette lettre.

Cette communication ainsi qu’une autre envoyée le 15 janvier 2025 au doyen de la Faculté de médecine soulevait les inquiétudes de membres du personnel francophone quant au «leadeurship facultaire» et aux décisions qui «semblent mener à un démantèlement progressif des Affaires francophones». 

Les deux lettres ont été signées par une soixantaine de médecins, de membres du corps professoral et du personnel ainsi que de partenaires francophones qui forment la «grande équipe des Affaires francophones».

Francopresse a déjà rapporté les inquiétudes de la «grande équipe» par rapport au déclin progressif de la place du français à la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa.

À lire aussi : Université d’Ottawa : Des lettres dénoncent un «démantèlement» de la francophonie de la Faculté de médecine

«Speak white»

«Je n’étais plus capable d’être dans un environnement où le leadeurship n’était pas de notre côté. […] Tout ce que [je faisais] de mes journées, c’était essayer de défendre notre présence», explique une ancienne employée de la Faculté de médecine.

Francopresse a accepté de protéger son identité, car elle craint des représailles. Nous donnerons à cette personne le nom fictif de Claudine.

La «grande équipe des Affaires francophones» présente tout de même quelques points positifs dans ses lettres, comme les cours délocalisés à l’Hôpital Montfort pour les francophones. 

Photo : Archives – Avec l’autorisation de l’Hôpital Montfort

Comme elle, plusieurs autres francophones ont quitté la Faculté, en particulier la section des Affaires francophones, au cours des deux dernières années, indiquent trois personnes avec qui Francopresse a discuté. «Pratiquement tout le monde est parti, dit Claudine. L’incertitude constante, l’environnement mauvais, un peu toxique» expliquent en grande partie son propre départ.

En plus «des bâtons dans les roues» qui empêchaient de donner plus de place à la francophonie au sein de la Faculté, Claudine a entendu des commentaires désobligeants au fil des années.

Comme exemple classique, elle cite que les francophones se font demander de parler anglais lors de réunions. À l’Université d’Ottawa, un établissement officiellement bilingue, le personnel a le droit de parler dans la langue officielle de son choix. «Ce n’est pas [un commentaire] énorme, mais c’est un peu insultant», explique Claudine.

Employé actuel, Xavier (nom fictif) dit avoir déjà entendu pire : un collègue francophone s’est déjà fait dire «speak white» par un collègue anglophone.

Dans leur lettre au provost, les signataires demandent «un environnement exempt d’hostilité au sein de la Faculté de médecine, incluant des mesures concrètes contre les microagressions et un soutien institutionnel renforcé aux programmes francophones, garantissant leur pleine autonomie dans la gestion de leur formation ainsi que les ressources humaines et financières adéquates».

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«De nombreuses microagressions» 

Lors d’une rencontre avec le doyen de la Faculté de médecine de l’époque, Bernard Jasmin, la doyenne intérimaire actuelle, Melissa Forgie, et le vice-doyen Alan Chaput, les membres de la «grande équipe» ont dénoncé les microagressions.

Cette rencontre a eu lieu le 5 février. Francopresse a obtenu copie du sommaire de la discussion rédigé par la «grande équipe» et envoyé à tous ses membres.

Le document commence par une reconnaissance des progrès pour la francophonie à la Faculté de médecine, comme l’augmentation du nombre d’étudiants et d’étudiantes dans le volet francophone et la possibilité de cours délocalisés à l’Hôpital Montfort pour les francophones. Situé à Ottawa, cet établissement est le seul hôpital universitaire francophone de l’Ontario.

«Bien que la Faculté ait fait des avancées pour étendre l’usage du français, plusieurs médecins, étudiants et membres de la communauté francophone ne se sentent pas respectés», poursuit le sommaire.

Ils continuent malheureusement de faire face à de nombreuses microagressions et subissent les conséquences de décisions prises sans consultation avec les acteurs du volet francophone.

— Sommaire d'une rencontre à propos de la Faculté de médecine à l'Université d'Ottawa

La lettre envoyée au provost fait mention des échanges entre des signataires, Bernard Jasmin, Melissa Forgie et Alan Chaput : «La discussion a été franche, et un retour par courriel de la Dre Forgie nous assure qu’une attention particulière sera portée à la lutte contre les microagressions […].»

«Bien que ces engagements constituent un premier pas, ils demeurent insuffisants», insistent les signataires. 

Bernard Jasmin, dans une réponse par courriel à Francopresse, a fourni des précisions sur les décisions administratives qui inquiètent la «grande équipe», mais il n’a pas répondu aux questions concernant le climat hostile et les microagressions. Il a remis une lettre de démission le 28 janvier sans évoquer un lien avec cette situation. Sa démission a pris effet le 2 mars.

Yves Pelletier et Jacques Beauvais n’ont pas fourni de réponses aux questions de Francopresse.

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Une vieille histoire

Ce n’est pas la première fois que la discrimination envers les francophones fait l’objet de dénonciations à l’Université d’Ottawa. En 2021, un rapport produit par une firme externe à la demande de l’Université mettait en lumière une hausse de la francophobie, de moins en moins de personnel bilingue et des entraves à l’accès à des cours en français.

Selon le média ONFR, ce rapport précise que des centaines de membres de la communauté étudiante, du corps professoral et du personnel administratif ont livré des témoignages faisant état de droits «bafoués», de «propos irrespectueux et parfois dénigrants» et d’une «certaine hostilité».  

En 2020, ONFR avait déjà publié un texte sur le climat antifrancophone qui régnait à l’Université d’Ottawa selon des membres du corps professoral.

La Faculté de médecine en est à la dernière année de son plan stratégique de 2020-2025, dans lequel elle s’engageait notamment à «assurer un environnement respectueux», à «promouvoir la francophonie», à «cultiver un environnement francophile» et à «élargir l’offre de programmes bilingues».

«La Faculté souhaite améliorer son image bilingue», prévoyait le plan. «L’objectif est de créer un environnement de respect et d’encouragement pour tous les membres du groupe minoritaire francophone, afin qu’ils puissent s’épanouir sur le plan intellectuel et personnel dans leur langue maternelle.»

Dans son plan stratégique de 2025-2030, la Faculté de médecine précise que la francophonie fait partie de ses cinq priorités unifiantes.

Type: Actualités

Actualités: Contenu fondé sur des faits, soit observés et vérifiés de première main par le ou la journaliste, soit rapportés et vérifiés par des sources bien informées.

Montréal

Marianne Dépelteau

Journaliste

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