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le Vendredi 16 avril 2021 12:16 Éducation

Denis Constantineau : «Peut-être que M. Haché nous a fait une faveur»

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Les investissements gouvernementaux dans l’éducation postsecondaire ont un effet multiplicateur sur les collectivités, les francophones en particulier. — Mélanie Tremblay
Les investissements gouvernementaux dans l’éducation postsecondaire ont un effet multiplicateur sur les collectivités, les francophones en particulier.
Mélanie Tremblay
FRANCOPRESSE – Les compressions majeures à l’Université Laurentienne risquent d’avoir des répercussions importantes sur la vitalité socioculturelle du Grand Sudbury et sur le rayonnement de la francophonie ontarienne. Afin de préserver les acquis des 60 années d’existence de l’institution, tous s’entendent sur la nécessité d’un engagement financier à court terme de l’Ontario et du gouvernement fédéral.
Denis Constantineau : «Peut-être que M. Haché nous a fait une faveur»
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Avant les compressions du 12 avril, l’Université Laurentienne était l’un des principaux employeurs de la ville du Grand Sudbury, avec plus de 2000 professeurs et employés. L’impact direct de l’élimination de 69 programmes et d’une centaine de postes de professeurs pourrait s’élever à plus de 100 millions $ pour la municipalité. Des conditions qui soulèvent des craintes pour l’avenir économique et social dans la collectivité de 160 000 habitants.

Un groupe de travail s’organise

Le porte-parole de la Coalition nord-ontarienne pour une université francophone, Denis Constantineau, qui est aussi directeur général du Centre de santé communautaire du Grand Sudbury (CSCGS), témoigne des effets immédiats des compressions sur son organisme.

«On travaille depuis longtemps de près avec des professeurs de l’Université Laurentienne sur des projets de recherche, sur différents dossiers ; le dossier de l’immigration francophone dans le Nord de l’Ontario, entre autres […]»

Ce sont des gens qui ont contribué au savoir, à l’organisation de notre communauté, à la planification d’activités. On perd ce lien avec des gens qui nous aident à penser et à comprendre les problèmes d’une société.

— Denis Constantineau, directeur général du Centre de santé communautaire du Grand Sudbury

À la suite de la déclaration d’insolvabilité de la Laurentienne au début février, la Coalition a mis sur pied un groupe de travail afin de réfléchir aux besoins en éducation postsecondaire en français dans le Moyen-Nord de l’Ontario.

Courtoisie

«On a l’avantage que l’Université de Sudbury ait offert sa charte pour créer les assises de cette université-là, précise Denis Constantineau. Mais ça va prendre le gouvernement provincial qui dit : “Oui, on reconnait l’existence [d’une université francophone] parce qu’on sait que c’est essentiel au développement de la communauté franco-ontarienne dans le Nord de l’Ontario.”»

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Martin Meunier, professeur au Département d’études sociologiques et anthropologiques de l’Université d’Ottawa, fait preuve d’optimisme : «C’est tellement gros ce qui arrive que j’ai l’impression qu’on va trouver une solution dans peu de temps et peut-être qu’on va consentir, en pilant de l’argent d’un côté et de l’autre, soit à créer une nouvelle institution ou soit à refinancer l’institution existante. J’ai vraiment l’impression qu’on s’en va vers ça.»

J.-C. Demers

Dans l’attente d’engagements concrets

À ce jour, ni l’Ontario ni le fédéral ne se sont clairement engagés dans la sauvegarde de l’Université Laurentienne. Ils s’appuient sur le fait que la Laurentienne est toujours protégée en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.

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Lors d’un débat d’urgence à la Chambre des communes sur la sauvegarde des programmes à l’Université Laurentienne, mercredi, de nombreux députés ont réclamé que l’engagement du fédéral se retrouve dans le budget 2021 qui sera déposé le 19 avril.

La ministre des Langues officielles, Mélanie Joly, a réitéré lors du débat que c’est à l’Ontario d’en faire la demande étant donné que l’éducation postsecondaire est de compétence provinciale.

Mélanie Tremblay – Francopresse

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Jeudi, le gouvernement de l’Ontario a déposé un projet de loi pour établir l’autonomie de l’Université de Hearst et de l’École de médecine du Nord de l’Ontario.

L’Université de Hearst, qui n’offre que des programmes en français, deviendrait ainsi officiellement le deuxième établissement universitaire francophone en Ontario, après l’Université de l’Ontario français (UOF).

Le projet de loi a été accueilli favorablement dans la communauté franco-ontarienne : «On a fini avec le modèle d’institutions bilingues au postsecondaire, affirme Denis Constantineau. Les gens se rendent compte que, pendant longtemps, on s’est satisfait de ce qu’on nous offrait, on revendiquait un petit peu à l’interne. Mais en bout de ligne, en endurait notre sort à plusieurs égards, à plusieurs niveaux. Les gens en ont soupé!»

Le rayonnement francophone affecté

Les investissements gouvernementaux dans l’éducation postsecondaire ont un effet multiplicateur sur les collectivités selon le professeur Martin Meunier.

«Une université, ça amène d’abord des professeurs, ça amène des étudiants de partout. Ça amène également une somme de petites compagnies qui vont vivre grâce aux fonds publics donnés à l’université et qui vont faire vivre des centaines et des centaines de familles sur le plan économique, c’est très important!»

«Sur le plan culturel, c’est dur à chiffrer, mais il est évident que c’est une façon de diffuser le capital culturel partout dans la société à partir d’un investissement dans l’éducation», ajoute celui qui est aussi directeur du Collège des chaires de recherche sur le monde francophone (CCRMF).

Le chercheur insiste : ce sont les francophones qui ont fait les frais des compressions à la Laurentienne. En milieu minoritaire, la perte d’un foyer culturel comme les programmes en français de l’université a des conséquences importantes sur la communauté.

Je prends l’exemple d’un de mes collègues, Serge Miville, qui avait la Chaire en histoire de l’Ontario français. Le rayonnement de Serge Miville comme historien dépassait grandement ce qu’il faisait dans la salle de cours. Il essaimait partout. Maintenant, Serge Miville, il a perdu sa job et il ne sera plus un artisan de la culture francophone à Sudbury, malheureusement.

— Martin Meunier, professeur au Département d’études sociologiques et anthropologiques à l’Université d’Ottawa

Planifier pour les 50 prochaines années

Dans le but de sauver la situation, la Coalition nord-ontarienne pour une université francophone travaille à la fois sur la sauvegarde immédiate des acquis et sur la planification de l’éducation universitaire en français pour les prochaines décennies.

«Il y a des étudiantes et étudiants qui cette semaine, en plus d’écrire des examens, voient leur programme fermer et doivent planifier pour l’an prochain. Il y a des choses à faire immédiatement ; moi j’appelle ça sauver les meubles», avance Denis Constantineau.

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«Mais il y a une deuxième partie de cet exercice-là qui doit être planifiée. Il ne faut pas se presser pour rêver cette université de langue française pour le Nord de l’Ontario! Il faut que ce soit un projet gagnant. Il faut que ce soit une planification pour les 50 prochaines années», ajoute le porte-parole.

La Coalition tient à prendre le temps d’élaborer un plan de collaboration avec l’Université de Hearst et l’UOF pour assurer une institution solide dans le Moyen-Nord à partir de Sudbury.

«C’est toujours dommage de gaspiller une bonne crise. En bout de ligne, peut-être que M. Haché [recteur de la Laurentienne, NDLR] nous a fait une faveur», conclut Denis Constantineau.

Mélanie Tremblay

Rédactrice en chef

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