«Comme entrepreneuse francophone en situation minoritaire, je me sens un peu comme une pionnière. Un monde de possibilités s’offre à moi, car je suis la seule à offrir ce type de services», affirme la fondatrice de Black Lantern, Murielle Jassinthe.

Au Nunavut, Murielle Jassinthe a fondé l’entreprise de conseil Black Lantern Inc. Elle aimerait que les ressources disponibles pour aider les femmes soient plus facilement accessibles.
La Québécoise, arrivée au Nunavut il y a 11 ans, a lancé sa société de conseil en arts et culture en 2019. Gestion des relations publiques et de l’image de marque, soutien au développement stratégique et créatif, elle offre une multitude de services à des artistes, des organisations culturelles et des entreprises.
Elle propose également du mentorat sur la diversité, l’équité et l’inclusion ainsi que des ateliers de sensibilisation au racisme systémique.
«Ce que j’aime dans l’entrepreneuriat, c’est la liberté de faire ce que je veux, de développer mes propres idées. Quel que soit son domaine d’expertise, on défriche beaucoup quand on est son propre patron», assure l’artiste interdisciplinaire de 43 ans.
«On porte toutes les casquettes»
Murielle Jassinthe ne cache pas les nombreux obstacles auxquels elle a été confrontée pour en arriver là : «En tant que femme noire entrepreneuse, qui en plus est francophone en situation minoritaire, le défi est de faire entendre sa voix.»
«À partir du moment où tu apprends à te positionner en tant que spécialiste, à exiger un prix juste pour tes activités, on te regarde différemment, on commence à t’écouter», poursuit-elle.
Élargir sa clientèle et convaincre de la pertinence de ses idées restent un travail de tous les instants.
Quand on est à son compte, on porte toutes les casquettes. On doit créer son marché, sa marque. Il faut être là constamment à faire de la publicité, du réseautage. Ça demande beaucoup de résilience et de créativité
«Quand on est à son compte, on porte toutes les casquettes. On doit créer son marché, sa marque. Il faut être là constamment à faire de la publicité, du réseautage. Ça demande beaucoup de résilience et de créativité», témoigne une autre entrepreneuse, .
La Guadeloupéenne, arrivée à Vancouver en Colombie-Britannique en 2017, a créé Griottes Polyglottes en 2020 en pleine pandémie de COVID-19. L’organisme permet à sa clientèle d’améliorer son français ou son anglais grâce au théâtre et à l’improvisation.
«Au début, je voulais y arriver toute seule, mais il ne faut pas être isolée quand on est entrepreneure. On se rend vite compte que l’on a besoin d’aide», rapporte-t-elle.
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Solidarité francophone
Ingrid Broussillon n’hésite pas à frapper à toutes les portes : la Société de développement économique de la Colombie-Britannique, Futurpreneur, le Réseau de développement économique et d’employabilité (RDÉE), The Black Business Association of British-Columbia, Women Entrepreneurs in BC ou encore la Chambre de commerce francophone de Vancouver.

En Colombie-Britannique, Ingrid Broussillon a créé Griottes Polyglottes et The WoW Culture. Elle se dit chanceuse d’avoir eu de nombreux appuis.
Ces organismes lui offrent du mentorat et de la formation dans les domaines de la vente, du markéting et de la comptabilité. Elle a également reçu des prix qui l’ont fait connaitre.
«Je me sens très reconnaissante et privilégiée. J’ai pu bénéficier d’aides en tant que femme, en tant que francophone, en tant qu’immigrante et en tant que noire», insiste la quadragénaire.
À ses débuts, Murielle Jassinthe, qui se qualifie elle-même d’«autodidacte», a aussi dû apprendre à naviguer dans les méandres de la bureaucratie. Choisir la forme sociale de sa compagnie, monter son plan d’affaires, faire sa comptabilité, autant d’épreuves à surmonter.
«Et puis en milieu minoritaire, trouver des comptables, des avocats capables de t’aider dans ta langue maternelle est un autre grand défi», relève Murielle Jassinthe.
Pour l’instant, le site internet de Black Lantern est uniquement en anglais, car «mon gars de l’IT est unilingue anglophone» : «Je pense engager quelqu’un pour le traduire, mais ça coute cher.»
Le fait de travailler en français à l’extérieur du Québec présente cependant des avantages. «On est comme une petite famille plus solidaire, on s’entraide, estime Ingrid Broussillon. Les organismes francophones me donnent de la visibilité et m’embauchent pour donner des ateliers. Ça m’aide à maintenir mon bizness.»
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Manque de ressources adaptées
Murielle Jassinthe a, elle, bénéficié de l’accompagnement de Carrefour Nunavut, l’organisme nunavois de développement économique. Elle considère néanmoins qu’il faut «davantage de soutien en personne» et «plus de programmes de financements clairement identifiés.»

«L’entrepreneuriat est encore plus difficile pour les nouvelles arrivantes qui ne maitrisent pas les codes sociaux et la culture de l’entreprise au Canada», explique Soukaina Boutiyeb de l’AFFC.
«Il n’y a pas assez de ressources adaptées aux réalités des entrepreneuses francophones, qui souffrent d’une vulnérabilité économique accrue et de difficultés d’accès à un réseau professionnel local», confirme la directrice générale de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne (AFFC), Soukaina Boutiyeb.
Dans un courriel de réponse, le RDÉE Canada reconnait que «l’accès au capital, le manque de ressources entrepreneuriales disponibles en français et la rareté des réseaux de femmes entrepreneuses à l’extérieur du Québec» constituent des «freins» à la réussite entrepreneuriale des femmes en situation minoritaire.
Mais l’organisme national assure les appuyer «à travers plusieurs leviers, qu’ils soient nationaux ou portés par ses membres dans les provinces et territoires».
«Dans tout le réseau, nos membres offrent du mentorat d’affaires, des services de démarrage, des webinaires et des activités de réseautage, incluant un appui spécifique aux femmes», précise le courriel.
La Société économique de l’Ontario propose par exemple les programmes d’entrepreneuriat Ambitions au féminin et Élan F, tandis que le RDÉE Nouveau-Brunswick appuie les femmes dans la reprise d’entreprises existantes à travers l’initiative Solution Repreneuriat.
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Des «modèles inspirants»
Aujourd’hui, Murielle Jassinthe ne parvient pas encore à vivre de son activité d’entrepreneuse. Elle est obligée de conserver un «travail de jour» dans le domaine de la communication.
«En situation minoritaire et en région reculée, le bassin de clientèle est forcément plus petit, mais mon objectif reste de faire grossir Black Lantern, notamment l’activité d’agente d’artistes», indique-t-elle.
En Colombie-Britannique, Griottes Polyglottes est plus florissante. La société compte cinq membres du personnel à temps partiel et enregistre plus de 200 clients et clientes depuis sa création. Ingrid Broussillon a par ailleurs fini de rembourser le prêt que l’organisme Futurpreneur lui avait consenti.
C’est rentable, mais c’est difficile de maintenir la balance entre ma vie privée et ma vie professionnelle. Je fais de très longues journées, parfois de 7 h à 2 h du matin
Passionnée, la Franco-Canadienne a démarré une nouvelle entreprise il y a deux ans, The WoW Culture. Elle donne désormais des ateliers de théâtre et d’improvisation afin de former à la diversité et à l’inclusion.
«L’entrepreneuriat amène un vrai dynamisme, renforce l’esprit de communauté. Ça donne de la visibilité économique à la francophonie», observe-t-elle.
Pour Soukaina Boutiyeb, les femmes offrent plus que jamais des «modèles inspirants» et contribuent à diversifier l’écosystème entrepreneurial, «souvent avec une approche inclusive et innovante».
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