Dès qu’un nouvel arrivant pose le pied sur le sol canadien, une réalité complexe l’attend : la nécessité de maitriser un système financier où les notions de crédit, de cote de crédit, d’épargne et de fraude bancaire peuvent rapidement devenir un casse-tête.
Dans son pays, Bintou Ahouéfa* confiait son argent à une structure de microfinance et s’appuyait sur la tontine. Des habitudes loin des pratiques de l’Occident.
Qu’est-ce qu’une tontine?
Il s’agit d’une association collective de petits épargnants qui mettent en commun des fonds pour une période librement déterminée.
Par exemple, cinq personnes créent une tontine où elles versent 300 $ chacune par mois. Chaque mois et à tour de rôle, une des membres reçoit la totalité du 1500 $. Ceci donne un accès ponctuel à une somme importante d’argent sans passer par une institution financière ou avoir accès au crédit.
Ce système d’épargne – très populaire dans de nombreuses cultures d’Afrique subsaharienne – repose sur la confiance entre les participants.
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La tortueuse question du crédit
Installée en Ontario depuis quelques mois, Bintou Ahouéfa poursuit son processus d’intégration non sans difficulté.
«J’ai obtenu quelques renseignements sur la carte de crédit avant d’arriver au Canada. Malgré mes recherches dans les différents forums de discussion et sur des plateformes telles que YouTube, je n’ai toujours pas compris ce qu’était une cote de crédit», explique la trentenaire.
«J’ai été très surprise, dit-elle, lorsque je suis allée poser ces questions à un agent de ma banque qui a plutôt insisté sur les points» qui permettent, une fois accumulés, d’obtenir des récompenses pour les détenteurs de cartes de crédit de certaines banques.
Le crédit est l’un des besoins prioritaires des nouveaux arrivants au Canada. «Pour la location d’un logement, les propriétaires et les agences demandent souvent une vérification du crédit. Il en va de même pour la téléphonie et Internet», explique la vice-présidente régionale Mauricie et Centre-du-Québec de la Banque Nationale du Canada (BNC), Zineb Norry.
Fraude bancaire
Au quotidien, «la méconnaissance des subtilités du système bancaire canadien conduit à des erreurs qui peuvent s’avérer couteuses, ou exposer les immigrants à des fraudes», remarque Zineb Norry.
Certains immigrants apprennent à leurs dépens que la carte de crédit reste un outil à manier avec prudence. C’est le cas de Sébastien Fotsing à Gloucester, en Ontario.
Sa nouvelle carte de crédit a été livrée à son ancienne adresse. Sa banque l’a plus tard prévenu que celle-ci avait été utilisée chez un réparateur automobile.
«J’ai fait une déclaration à la police qui a mené des investigations à l’issue desquelles j’ai été blanchi de tout soupçon», se réjouit aujourd’hui Sebastian Fotsing. Il croit que la preuve de changement d’adresse demandée quelques semaines plus tôt auprès de Postes Canada l’a sauvé.
Si le père de famille a eu la chance de se voir attribuer une nouvelle carte, sans pénalités, Mariama Aboul Atchang a pour sa part vu ses comptes bancaires bloqués il y a quelques semaines à cause «d’une opération frauduleuse».
«En ouvrant l’application de ma banque, j’ai constaté avoir été débité à hauteur de 341 $ par une tierce personne au nom de “Parc Omega”. J’ai essayé de joindre le parc en question, sans succès», explique-t-elle.
Même si Mariama Aboul Atchang a désormais à nouveau accès à son compte, la banque poursuit l’enquête «afin de savoir s’ils vont me restituer les fonds, ou pas», conclut-elle.
Hameçonnage et fausses offres d’emploi
Un sondage réalisé par la société financière Interac indique que 70 % des nouveaux arrivants se sentent «plus susceptibles d’être victimes de fraudes financières que le reste de la population». De plus, 53 % des répondants déclarent qu’eux-mêmes ou un membre de leur famille ont été victimes de fraude.
L’hameçonnage, les fausses offres d’emploi et les individus se faisant passer pour des fonctionnaires sont les principales techniques employées pour tromper les immigrants.
À l’échelle de la population canadienne, les fraudes ont causé des pertes estimées à 530 millions de dollars en 2022 par le Centre antifraude du Canada (CAFC).
Éducation économique et à l’épargne
Pour l’experte-conseil en littératie et en éducation économique Carole Freynet-Gagné, l’éducation des immigrants aux questions de gestion du budget, d’épargne, d’impôts et d’assurances doit se faire rapidement.
«La littératie financière est un facteur important d’intégration au sein de la communauté. À mon avis, la protection du patrimoine doit faire partie des priorités du nouvel arrivant. Il y a ensuite l’employabilité et même l’entrepreneuriat.»
À New Westminster, Le Relais francophone de la Colombie-Britannique, un organisme d’aide à l’intégration des immigrants, insiste sur plusieurs aspects de la littératie financière, surtout le paiement des impôts et l’épargne.
«Parmi les nouveaux arrivants dans la province, il y a des réfugiés, très souvent des personnes âgées, qui n’ont pas mis assez d’argent de côté pour leur retraite. Il est alors important pour eux de bien gérer leurs épargnes», explique l’agente d’établissement, Raya Avazova.
À l’en croire, les immigrants s’intéressent particulièrement à l’investissement dans l’éducation de leurs enfants.
À travers les ateliers que Raya Avazova anime, les nouveaux arrivants apprennent par exemple qu’ils peuvent bénéficier de réduction d’impôts en épargnant pour les études postsecondaires de leurs enfants. «Le gouvernement britannocolombien encourage une telle démarche», explique-t-elle.
Raya Avazova encourage les nouveaux arrivants à consulter des conseillers financiers, «qui proposent souvent gratuitement des conseils sur l’épargne-retraite, les types de comptes bancaires, le crédit, etc.».
Ces professionnels, souvent liés à des compagnies d’assurance, intègrent ces échanges dans une démarche visant à présenter leurs produits.
Enseigner la littératie financière aux plus jeunes
Carole Freynet-Gagné, PDG et directrice du développement Apprentissage Illimité, un éditeur de ressources éducatives et littéraires, à Winnipeg, a créé le programme «Bons comptes, bons amis» afin d’initier les jeunes élèves francophones au système financier du pays et à la gestion de leur patrimoine.
«Quand les jeunes arrivent à l’adolescence, ils ont déjà accès à l’argent, mais ils n’ont pas encore accès à la connaissance. Nous nous sommes dit qu’il fallait commencer très tôt, en lien avec la famille.»
Le programme est enseigné dans certaines écoles francophones de provinces canadiennes, «pour préparer les jeunes, y compris ceux issus de l’immigration, à une citoyenneté engagée et responsable», conclut-elle.
* Le nom a été modifié pour des raisons de sécurité et de confidentialité.