Le chef économiste adjoint à la Banque Nationale, Matthieu Arseneau, confirme que le manque d’employés pour certains secteurs de l’économie n’est plus une inquiétude.
«C’est une histoire du passé. Là, avec le taux de chômage à 6,4 %, on est peut-être désormais à un taux de chômage au-dessus d’une situation normale.»
Il fait référence aux nouveaux chiffres de Statistique Canada, publiés le 5 juillet, sur le taux de chômage en juin 2024 qui a augmenté de 1,3 point de pourcentage depuis avril 2023.
Depuis la pandémie de COVID-19, les besoins en main-d’œuvre ne sont plus les mêmes, dit l’économiste. Et en conséquence, la nécessité de recruter des travailleurs étrangers temporaires (TET) a diminué.
Pour évaluer la situation de la main-d’œuvre, la Banque Nationale regarde plusieurs critères, tels que le taux de chômage, l’évolution des salaires et les taux de postes vacants.
Le directeur adjoint du Centre de l’information sur le marché du travail de Statistique Canada, André Bernard, explique qu’il n’existe pas de définition claire de «pénurie de main-d’œuvre» à Statistique Canada, mais que «le marché du travail a ralenti au cours des derniers mois, depuis environ un an».
Dans une réponse par courriel, Emploi et développement social Canada (EDSC) confirme que le nombre de postes vacants avoisinait les 600 000 en avril 2024, une diminution importante comparativement à environ 1 million en avril 2022.
Le gouvernement s’ajuste
Le Programme de travailleurs étrangers temporaires (PTET) a pour but de combler les besoins en main-d’œuvre. Quand un employeur ne peut pas trouver d’employés au Canada, il peut faire appel à ce programme pour recruter à l’étranger.
Comme annoncé en mars 2024 par voie de communiqué, le PTET a été ajusté en fonction des plus récents besoins du marché du travail. Par exemple, depuis le 1er mai :
- les nouvelles évaluations d’impact sur le marché du travail (EIMT) sont valides pour une durée de six mois, contrairement à 12 comme avant;
- le pourcentage plafond de la main-d’œuvre provenant du volet des bas salaires du PTET, pour tous les employeurs ciblés par le Plan d’action pour les employeurs et la main-d’œuvre du PTET, passe de 30 % à 20 %, sauf dans les secteurs de la construction et de la santé;
- les employeurs doivent étudier toutes les options avant de faire une EIMT, y compris le recrutement auprès des demandeurs d’asile détenant un permis de travail valide au Canada.
«Nous avons annoncé notre intention de diminuer l’embauche de travailleurs étrangers temporaires au Canada et d’encourager les employeurs à trouver les talents dont ils ont besoin ici, dans notre pays», a déclaré le ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et des Langues officielles, Randy Boissonnault, dans le communiqué.
«Les mesures limitées dans le temps qui ont été prises en 2022 étaient nécessaires étant donné que notre marché du travail était dans une situation sans précédent, mais, à présent, les temps ont changé et nous devons veiller à ce que notre Programme des travailleurs étrangers temporaires reflète nos besoins actuels.»
En d’autres mots, le gouvernement encourage les employeurs à recruter parmi les travailleurs qui se trouvent déjà sur le sol canadien.
Revenir à un certain contrôle
Selon Matthieu Arseneau, la réflexion sur le modèle d’immigration actuel ne doit pas s’arrêter là.
«Je pense que la politique d’immigration axée sur les résidents permanents, avant 2019, a montré son succès. Avec une intégration des gens basés sur leurs qualifications, dans l’intérêt qu’ils s’intègrent plus rapidement dans le marché du travail, ça a fonctionné. On voyait que ça se passait très bien.»
«C’est plus par la suite que les choses se sont complexifiées, notamment via ces programmes-là, qui étaient plus marginaux avant 2019. On n’en parlait pas vraiment de la portion non permanente, poursuit-il. Je pense qu’il faut quand même revenir à quelque chose qui a un certain contrôle et que ça soit marginalement utilisé pour des pénuries de main-d’œuvre très ciblées.»
Rappelant la position pro-immigration de la Banque Nationale, il avise que dans un contexte de crise du logement et avec un marché du travail «qui se détériore», ce n’est pas le meilleur moment pour faire venir des gens. «C’est ne pas leur servir du tout, dit-il. Plusieurs sont très désillusionnés et [partent], dans un tel contexte.»
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L’économiste fait remarquer que même pour les nouveaux arrivants, le marché du travail est serré. En juin, dit-il, le taux de chômage pour cette population s’élevait à 12,7 %.
Une approche sectorielle
Matthieu Arseneau confirme que, dans un contexte de forte augmentation de la population et de faible création d’emploi, plusieurs entreprises sont en gel d’embauche. Certains secteurs, comme ceux de la santé et de l’éducation, ont des besoins plus graves.
«Le nombre de postes vacants a suivi une tendance à la baisse, mais il y en a toujours [environ] 650 000 au Canada, chiffre André Bernard. On a, par exemple, 94 000 postes vacants dans le secteur de la santé, 186 000 dans le secteur de la vente et des services et aussi 130 000 dans les métiers, transports, machinerie et domaines apparentés.»
Il y a encore des besoins dans tous les secteurs, explique-t-il. Mais ils ont aussi tous connu une baisse du nombre de postes vacants. Tous sauf un : celui de la santé.
Selon Matthieu Arseneau, le Canada aurait intérêt à adopter une «approche sectorielle», tout en conservant une vision globale de l’immigration.