«On doit être comptable, psychologue, gestionnaire; c’est un métier hyperpassionnant, mais c’est loin d’être facile», partage Carol Doucet, agente d’artistes et directrice de l’entreprise Le Grenier musique, au Nouveau-Brunswick.
L’Acadienne, ancienne journaliste, s’est lancée dans l’aventure en 2001. Depuis, elle représente une quinzaine de musiciens et chanteurs au Canada atlantique et de la Gaspésie.
Les agents sont de véritables couteaux suisses. De quoi les artistes ont-ils besoin? Comment lancer leur carrière? Comment les vendre et accroitre leur renommée sur le long terme? Comment s’adapter aux nouvelles pratiques artistiques? Autant de questions qu’ils doivent se poser au quotidien.
Carol Doucet évoque également les relations avec la presse, la gestion des emplois du temps, les réservations de salles de spectacle et de festivals, la négociation des cachets et les nombreux déplacements à prévoir aux quatre coins du pays.
«Travailler avec un artiste, c’est un choix très personnel, selon ses inspirations et ses gouts, explique-t-elle. Il faut vraiment croire dans un projet pour le pousser jusqu’au bout, car le succès n’est jamais garanti.»
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«Tu es souvent tout seul, sans assurance de manger à la fin du mois»
Les agents doivent composer avec une industrie culturelle en profonde mutation, où les ventes d’albums se sont effondrées et où les plateformes de diffusion en ligne supplantent la télévision et le cinéma.
Depuis la pandémie, le public se montre également plus frileux à acheter des places de concert. «Les ventes de billets sont plus difficiles, l’offre est immense et seulement les gros noms vendent très bien», rapporte Carol Doucet.
La professionnelle pointe à cet égard le nombre insuffisant de salles de spectacle où les artistes peuvent se produire, sachant que «celles qui existent souffrent d’une santé financière fragile».
De son côté, Catherine Mensour, fondatrice de l’Agence du même nom à Ottawa, s’inquiète des conséquences de l’intelligence artificielle.
«Ça va faire une différence pour nos activités. Elle va prendre de plus en plus de place pour les voix des annonces publicitaires, des films d’entreprise, des dessins animés», prévient-elle.
Dans cet environnement en pleine révolution, les jeunes agents mettent du temps à tisser un réseau de contacts professionnels et à se dégager un salaire décent.
«Tout ça fait peur. Au début, tu es souvent tout seul, sans assurance de manger à la fin du mois. Ça peut être long avant de connaitre des gens dans le milieu, d’avoir la clientèle», confirme la responsable de l’administration et de la coordination de projets de l’Alliance nationale de l’industrie musicale (ANIM), Anne Dumas.
«Jusque-là, c’était un métier de passion avec des horaires intenses auxquels on dévouait toute sa vie. Il faut changer les codes de l’industrie. Le besoin de concilier vie privée et vie professionnelle se fait de plus en plus sentir», ajoute-t-elle.
En attendant, les sacrifices exigés rebutent de nombreux candidats et le métier ne suscite pas beaucoup de vocations. Mais, à l’inverse, les artistes à la recherche d’un agent ne manquent pas.
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Intelligence artificielle, effondrement des ventes
«Il n’y a clairement pas assez d’agents francophones. C’est rare qu’il y ait une semaine où un jeune musicien ne m’approche pas», confirme Carol Doucet.
«L’augmentation du nombre d’artistes et la croissance, hors Québec, des productions cinématographiques et des séries en français rendent les agences plus indispensables que jamais», poursuit Catherine Mensour.
L’Ontarienne vient de fermer les portes de son agence, ouverte en 1985 dans la capitale fédérale. Elle assure avoir replacé chez d’autres confrères «une très bonne partie» de la centaine d’acteurs, producteurs et auteurs qu’elle représentait.
«Ça me fait de la peine pour le côté francophone. Ça crée un vide, j’espère que quelqu’un prendra la relève», confie-t-elle.
Profondément attachée à son métier, elle accompagne encore certains auteurs et se dit ouverte à des collaborations ponctuelles.
«Les agences anglophones peuvent aussi représenter des artistes francophones, mais la relation avec les producteurs, les syndicats et les associations n’est pas toujours la même», reconnait-elle.
«Politiquement, il est difficile pour un agent unilingue de bien défendre l’importance de la francophonie.»
Selon Carol Doucet, face au manque d’agents francophones, un «gros pourcentage» d’artistes s’occupent de leur propre carrière.
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Une nouvelle agence dans l’Ouest «enlève un poids aux artistes»
Certains, comme Lisa LeBlanc ou Les Hey Babies, se tournent aussi vers des compagnies québécoises. «C’est une bonne chose. Jouer au Québec, c’est le nerf de la guerre, c’est là où il y a le plus grand marché», estime Carol Doucet.
En revanche, «les artistes franco-canadiens n’ont pas le gout de se tourner vers les anglophones», affirme Soraya Ellert, directrice générale de la toute nouvelle agence artistique franco-canadienne VANDAL.
Lancé en aout dernier en Saskatchewan, le groupe VANDAL souhaite pour le moment accompagner une dizaine de créateurs des arts de la scène partout au Canada. «Le vide se faisait sentir depuis plusieurs années dans l’Ouest, il n’y avait aucune agence francophone», observe Soraya Ellert, engagée dans le milieu culturel depuis plus de 30 ans.
«On connait parfaitement les défis et les réalités de l’Ouest, c’est plus facile pour nous. Ça enlève un poids aux artistes», renchérit-elle. Elle parle d’un «marché plus difficile et compétitif, car plus petit», et de réseaux de diffusion «pas forcément organisés».
Pour pallier la pénurie d’agents francophones, l’ANIM a de son côté monté un projet de pépinière d’entreprises au printemps 2022, grâce à un financement de trois ans du Secrétariat du Québec aux relations canadiennes.
Les agents débutants peuvent ainsi bénéficier de formations, de mentorat et d’aide pour financer leurs déplacements. Jusqu’alors, l’organisme a aidé 13 nouvelles entreprises à se lancer.