«La réconciliation est beaucoup plus que de porter un gilet orange une fois par année», a rappelé Gaëtan Baillargeon, conseiller municipal à Hearst.
Mais encore faut-il en connaitre l’origine. L’idée de cette journée du chandail orange est une initiative de Phyllis Webstad, qui, à son entrée au pensionnat, s’est fait confisquer la belle chemise orange que venait de lui offrir sa grand-mère.
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Phyllis Webstad ?
Phyllis Webstad est une auteure de la Première nation Stswecem’c Xgat’tem et la créatrice de la Journée du chandail orange, une journée de commémoration célébrée au Canada en souvenir des enfants autochtones arrachés à leurs familles et placés dans des pensionnats autochtones entre 1830 et le milieu des années 1990. Elle est une survivante des pensionnats des Premières Nations.
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Comme le rappelle Christian Pilon, animateur de l’émission La Terre en nous, «on n’a pas encore fini de parler de vérité. On est encore loin de la réconciliation.» Et Page Chartrand, étudiante anishinabe d’ajouter : «Pour faire des progrès, il faut que les gens de la majorité [les Blancs ou les colonisateurs] soient conscients de ce que la minorité vit tous les jours.»
À eux la parole.
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Lynne Cormier – «Prendre conscience des douleurs infligées»
Comme le rappelle Lynne Cormier, la journée du chandail orange est une journée pour honorer les enfants qui ont été envoyés au pensionnat.
«Les pensionnats sont quelque chose dont nous avons beaucoup entendu parler cette année avec les milliers [de restes] d’enfants qui ont été retrouvés dans des tombes anonymes près de ces écoles. Ce sont les enfants qui ont été enlevés à contrecœur de leurs familles et qui ne sont jamais retournés chez eux.»
Au-delà des disparus, la journée rappelle les survivants, à l’instar de Phyllis Webstad. «Nous les appelons des survivants en raison de tous les traumatismes qu’ils ont vécus et de la résilience dont ils avaient besoin pour survivre», rappelle la guide.
En tant que peuples autochtones, les effets [des pensionnats] sont encore très actuels. Il est important pour le bien de la réconciliation que chacun soit conscient de ce qui s’est passé afin que nous puissions guérir ensemble en tant que peuple (autochtone et non autochtone), nous soutenir les uns les autres et avancer dans le bon sens.

Lynne Cormier est membre de la Première Nation de Matachewan. Elle habite à Latchford, sur le territoire du traité no9 et le territoire traditionnel du peuple ojibwé.
Connor «Petit Tonnerre» Lafortune – «Endosser la responsabilité de la réconciliation»
La réconciliation commence par une action très concrète, indique Connor Lafortune : «La responsabilité de la réconciliation devrait également être prise par [les non-autochtones], explique-t-il. Souvent, les personnes autochtones sont obligées de répondre à toutes sortes de questions et de tout fournir aux personnes non autochtones.»
Il lance un appel à l’initiative : faire de la recherche, accepter d’être mal à l’aise par rapport à ce que l’on constate et trouver un moyen de contribuer au changement.
Je crois que chaque école devrait regarder sa propre population autochtone et voir ce qu’elle peut faire pour aider la communauté. Le fardeau de la réconciliation ne devrait pas reposer sur la volonté continue des personnes autochtones à éduquer les autres.

Connor Lafortune vient de la Première Nation Dokis et habite à Sudbury, territoire du traité Robinson-Huron de 1850, territoire traditionnel de la Nation Atikameksheng Anishnawbek et de la Première Nation Wahnapitae. Il est l’un des créateurs de la boite à outils Life Promotion Toolkit, qui sera bientôt disponible en français.
Tammy Restoule des Ormeaux – «Connaitre la vraie histoire du Canada»
Il existe de nombreux gestes qui peuvent mener à la réconciliation : lire, écouter un film, par exemple. «L’important, c’est d’en savoir plus sur notre histoire, la vraie histoire du Canada, celle qui a été cachée. Il faut écouter les peuples autochtones et entendre leur version de l’histoire», affirme Tammy des Ormeaux.
L’enseignante ajoute que de créer des relations constitue un geste important de réconciliation. Elle souhaite que les communautés s’unissent et apprennent de leurs rapports.
Tammy Restoule des Ormeaux est de la Première Nation Dokis. Elle est conseillère pédagogique et habite à Nipissing Ouest, sur le territoire visé par le traité Robinson-Huron et sur les terres traditionnelles du peuple anishinabe, particulièrement de la Première Nation Nipissing.

Page Nandawab-i-kwe Chartrand – «S’ouvrir aux perspectives autochtones»
Pour Page Chartrand, «la réconciliation, c’est awesome, mais il faut de la vérité d’abord». Par exemple, elle croit qu’on peut expliquer aux enfants que d’autres enfants de leur âge étaient arrachés à leur famille pendant des mois pour fréquenter le pensionnat, sans aborder les détails plus sordides.
Il faut aussi mettre fin aux généralités, selon l’étudiante. Elle cite en exemple le vrai nom de chacune des nations. «Les gens disent Autochtones, Anishinabe, Mohawk… Il faudrait utiliser les noms des peuples autochtones plutôt que les noms donnés par les colonisateurs!»
C’est la responsabilité des personnes non autochtones de savoir tout cela.

En s’ouvrant et en comprenant, une relation de respect mutuel peut naitre. «Lorsque ces personnes entrent dans des espaces autochtones, ils doivent voir le monde d’une perspective autochtone.»
Page Chartrand est Anishinabe et habite à Sudbury, territoire du traité Robinson-Huron, territoire traditionnel de la Nation Atikameksheng Anishnawbek et de la Première Nation Wahnapitae.
Gaëtan Baillargeon – «Apprendre et reconnaitre chez qui on vit»
Pour Gaëtan Baillargeon, il faut apprendre qui sont les Premiers Peuples qui ont vécu sur le territoire où l’on vit.
Prenez le temps de les reconnaitre et d’apprendre qui ils sont. Ça se fait en participant aux évènements communautaires, comme les pow-wow ou les rassemblements liés à la saison de la chasse, et en visitant le friendship centre local.
«Notre génération s’est fait dire qu’on n’avait pas le droit d’y aller. Mais c’est toujours ouvert à tous. C’est simple, on a juste à se dire : «Bonjour, comment ça va» et à engager la conversation. On craint tellement de parler aux personnes qui ne nous rassemblent pas. On le voit aussi ici [à Hearst] avec les étudiants africains. On n’ose pas leur parler. Pourquoi?»

Gaëtan Baillargeon est Oji-cree de la Première Nation de Constance Lake. Il est administrateur de l’entreprise Amik Nuna Forestry Services JV et conseiller municipal à Hearst, sur le territoire visé par le traité no9 et les terres traditionnelles des peuples ojibwé/chippewa, oji cri, mushkegowuk (cri), algonquin et métis.
Lire aussi : Pensionnats autochtones : Gaëtan Baillargeon témoigne pour sa mère
Christian Pilon – «Aller à la rencontre du peuple chez qui l’on habite»
Christian Pilon invite à se poser une question toute simple : on habite sur le territoire de qui? «Il faut apprendre chez qui on vit et aller à la rencontre de ce peuple. On ne sait même pas qui sont nos voisins», déplore-t-il.
Il estime qu’engager ce dialogue passe par les rencontres, mais aussi par l’apprentissage d’une langue. Pour poursuivre sa quête identitaire, l’animateur et conférencier a décidé d’apprendre l’anishinaabemowin (qu’il prononce a-niche-nas-bé-mo-winne), la langue de l’ile Manitoulin où est né son père. Il a commencé son apprentissage au Centre d’amitié autochtone Odawa, près de chez lui, il y a plus de dix ans.
Les mots comme “S’il vous plait”, “merci” et “bienvenue”, ça n’existe pas en anishinaabemowin ou en ojibwe. Tout repose sur le respect. Miigwetch, ça ne veut pas dire “merci”, ça veut dire “assez”. Parfois, les gens trouvent ça bête, mais ils voient ça de leur perspective culturelle.
Christian Pilon est Métis. C’est un voyageur, conférencier et animateur de l’émission La Terre en nous. Originaire d’Azilda, il habite à Ottawa, territoire non cédé du peuple anishinaabe algonquin.
Roxanne Langemann – «Apprendre la langue du territoire»
«Souvent, dans les pays européens, les gens parlent plusieurs langues. On devrait avoir confiance en soi et en nos enfants et en la capacité d’apprendre», lance Roxanne Langeman.
Elle tente elle-même d’apprendre la langue de sa grand-mère crie et l’anishinaabemowin. Pour elle, apprendre la langue, c’est signe de respect et c’est aussi une mesure du bagage culturel. Elle cite l’exemple du mot grand-mère, mindimooyenh : «C’est quelqu’un qui détient toutes les connaissances.» Elle plaide que détruire une langue, c’est détruire une culture.

Selon elle, ça prend de la volonté et pour le reste, «il y a plein de sites [comme ce dictionnaire ojibwe en ligne], même sur Facebook et TikTok. C’est gratuit.»
Roxanne Langemann est une entrepreneure, membre de la Première Nation Moose Cree. Elle habite à Sudbury, territoire du traité Robinson-Huron, territoire traditionnel de la Nation Atikameksheng Anishnawbek et de la Première Nation Wahnapitae.
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La liste de lecture de Tammy Restoule des Ormeaux
Tammy Restoule des Ormeaux est conseillère pédagogique en éducation Première Nation, Métis, Inuit et construction identitaire et a partagé une liste de lecture.
«On peut regarder des films, lire des livres, mais il faut que la source soit crédible, insiste-t-elle. Il faut que ça expose la perspective autochtone.»
Voici ses suggestions :
- Pour les plus jeunes, Je ne suis pas un numéro, de Jenny Kay Dupuis et Kathy Kacer (Scholastic, 2017).
- Les bas du pensionnat, et Étrangère chez moi, respectivement de Christy Jordan-Fenton et Margaret Pokiak-Fenton (Scholastic, 2010 et 2012).
- Pour les élèves du secondaire, Le Cheval indien de Richard Wagamese (XYZ, 2017), adapté à l’écran et tourné à Sudbury. (Il est d’ailleurs à l’affiche le 30 septembre au Sudbury Indie Cinema)
- Pour les adultes, le site web du Centre national de vérité et réconciliation, propose beaucoup d’ateliers (notamment en rattrapage) dans le cadre de la Semaine de la vérité et de la réconciliation.