Selon Me Lepage, cette décision est importante, car la Cour fédérale reconnait que le gouvernement fédéral a des obligations dans le domaine de l’éducation primaire et secondaire.
Dans sa décision rendue le 12 décembre, le juge Guy Régimbald de la Cour fédérale a jugé qu’il était essentiel que les conseils scolaires francophones, dont l’expertise est reconnue et protégée par la Charte canadienne des droits et libertés, soient consultés localement et de manière effective, avec un préavis suffisant.
Le juge a déclaré que le Conseil scolaire francophone provincial (CSF) de Terre-Neuve-et-Labrador doit être invité et consulté lors de toute entente ou négociation future entre les paliers de gouvernement provincial et fédéral. Une consultation aurait permis de mieux répondre aux besoins de la communauté.
«Cette décision-là est très importante, parce que ça met des comptes sur le ministre de Patrimoine canadien : il doit consulter les conseils scolaires francophones. Ça fait que c’est une reconnaissance que ce sont des organismes qui ont un fondement constitutionnel», affirme Me Robert Lepage, du Cabinet Miller Thompson en Saskatchewan.
Il explique que la Cour fédérale reconnait pour la première fois que le gouvernement fédéral a des obligations de consultation dans le domaine de l’éducation primaire et secondaire lorsqu’il est question des minorités linguistiques.
«Normalement, on prétend que les deux sont strictement du ressort provincial et que le fédéral n’a aucune obligation», précise Me Lepage.
Le litige portait sur le Programme des langues officielles en éducation (PLOÉ). La Cour a reconnu les défis «existentiels» auxquels font face ces communautés et a statué sur l’obligation de consultation prévue par la Loi sur les langues officielles.
Pas de dommages et intérêts malgré le peu de transparence
Le juge a toutefois rejeté que les mécanismes de reddition de compte de Patrimoine canadien sont «insuffisants», comme le dénonçait le Conseil scolaire. «Hormis quelques exceptions, les récipiendaires sont identifiés dans les rapports annuels», écrit le juge.
Le conseil scolaire n’avait pas pu retracer plus de 250 000 $ à cause de «ce manque de transparence», a-t-il confirmé.
Mais la Cour fédérale ne s’en choque pas, estimant qu’il est «normal» que cette somme n’ait pas pu être tracée, car «plusieurs organismes bénéficiaient des fonds PLOÉ. […] Cela explique l’incapacité du CSF à communiquer avec et identifier tous les destinataires des fonds PLOÉ».
«Toutefois, cela ne prouve pas que les fonds n’étaient pas dépensés ou que le CSF se voyait priver de fonds dont il avait droit», nuance le juge.
Il accorde ainsi le «manque de transparence» de Patrimoine canadien et du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador, qui devaient tous deux attribuer des fonds au CSF. Mais il n’accorde toutefois pas de dommages et intérêts au Conseil scolaire, ce qui «déçoit» Me Lepage.
Selon lui, «la Cour ne prend pas pour acquis que Patrimoine canadien va violer de nouveau la loi sur les langues officielles. En d’autres mots, il n’y a pas un problème systémique ici. Donc, on donne la chance au gouvernement de rectifier le tir.»
Le fédéral était rentré dans les rangs à la suite de la plainte déposée par le CSF auprès du Commissariat aux langues officielles en 2015 et qui concernait l’Entente de financement de 2013-2018. C’est pour cela que le juge conclut ici qu’il n’a pas besoin d’accorder des dommages et intérêts.
Ajoutons que le juge a aussi souligné que le gouvernement fédéral est lié par les valeurs de l’article 23 de la Charte – qui garantit l’éducation dans la langue de la minorité – lorsqu’il prend des décisions touchant le CSFP.
Avec cette décision, les avocats du Conseil scolaire francophone de Terre-Neuve-et-Labrador, affirment que Patrimoine canadien pourraient se sentir davantage contraints avec cette décision, au regard de ses obligations envers les conseils scolaires des communautés de langues officielles minoritaires.
Les parties ont 30 jours si elles souhaitent porter l’affaire en appel.
Le juge Guy Régimbald a interprété cette affaire sous l’ancienne Loi sur les langues officielles, car la plainte a été déposée en 2015. De fait, les articles ciblés par l’affaire ont été depuis grandement modifiés.
