Avec les informations de Marianne Dépelteau, Marine Ernoult et Inès Lombardo.
Le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), qui représente 55 000 membres, a déclenché une grève nationale le 15 novembre. L’employeur a imposé un lockout plus tard le même jour.
Le STTP demande, entre autres, des hausses salariales correspondant au taux d’inflation, de meilleures conditions de travail, plus de jours de congé payés pour des raisons médicales et personnelles ainsi que la fin du recours à la sous-traitance.
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Des pertes importantes
La société d’État perd de l’argent depuis plusieurs années. Selon son rapport financier de 2023, Postes Canada a enregistré une perte avant impôt de 748 millions de dollars en 2023, comparativement à 548 millions en 2022.
Le volume de courrier est passé de 5,5 milliards de lettres en 2006 à 2,2 en 2023, alors que le nombre de foyers était plutôt en augmentation.
La livraison de colis n’est pas une planche de salut. Postes Canada fait face à la concurrence d’entreprises privées. Si bien que ses parts de marché sont passées de 62 % avant la pandémie à 29 % en 2023.
Des communautés dépendantes
«Nos communautés sont dépendantes de plusieurs services offerts par Postes Canada, alors il est clair que cette grève a des répercussions au sein de nos communautés», commente par écrit la Fédération franco-ténoise (FFT), dans les Territoires du Nord-Ouest.
«[…] nous comprenons les revendications des employés grévistes et espérons que des solutions seront trouvées rapidement afin que les choses puissent revenir à la normale au plus tôt.»
Dans la ville de Moosonee, située sur la côte de la Baie James dans le nord de l’Ontario, la grève inquiète les habitants. «Postes Canada est un lien vital avec le reste du pays, c’est le seul moyen dont nous disposons pour recevoir notre courrier et nos colis», souligne le conseiller municipal Savion Nakogee.
La société d’État est en effet la seule compagnie à desservir cette communauté de plus de 1500 habitants, accessible uniquement en train ou en avion. «Postes Canada nous permet d’obtenir des services et des biens de base, car nous n’avons pas de Walmart ou de Canadian Tire ici», affirme l’élu.
En l’absence de services postaux, les habitants seront obligés d’aller faire leurs achats à l’extérieur de la ville et «de débourser plusieurs centaines de dollars pour prendre le train ou l’avion», assure-t-il.
Le bureau de poste en région rurale : un «centre communautaire»
En avril 2024, le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires a examiné des questions liées au service postal dans les collectivités rurales et éloignées du Canada.
«Le bureau de poste rural est un centre communautaire, ce n’est pas seulement un endroit où les gens prennent leur courrier : c’est aussi un endroit où ils se rassemblent pour parler», avait alors rappelé la présidente nationale du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, Jan Simpson.
«Dans de nombreuses régions du pays, personne ne connait mieux sa collectivité que les travailleurs des postes.»
Le président national de l’Association canadienne des maîtres de poste et adjoints, Dwayne Jones, avait pour sa part souligné le rôle crucial du service postal dans la livraison de médicaments, de fournitures médicales ou encore de denrées alimentaires dans ces communautés.
«Dans les régions rurales du Canada, les options pour envoyer et recevoir les produits de première nécessité sont beaucoup plus limitées.»
La grève bouleverse également les activités de certains organismes communautaires en ville, comme La Boussole, à Vancouver, en Colombie-Britannique. Elle pénalise notamment les bénéficiaires en attente de documents importants liés aux services sociaux, «qui peuvent changer de façon significative leur situation précaire», alerte la directrice des opérations, Nathalie Astruc.
La banque alimentaire de l’association n’est cependant pas directement affectée, car les fournisseurs sont locaux et ne dépendent pas de Postes Canada.
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La distribution des journaux perturbée
Certains journaux communautaires s’inquiètent aussi des conséquences de la grève sur la distribution de leurs éditions.
«Ça va avoir un impact sur les personnes qui sont abonnées au format papier de notre journal. Mais notre journal restera disponible dans la plupart des points de distribution habituels, dans les écoles et dans les bibliothèques», nuance la directrice et rédactrice en chef de l’Aurore boréale, Maryne Dumaine, au Yukon.
En Nouvelle-Écosse, les conséquences de la grève se font déjà ressentir. «On est pas mal dans le trouble, car sans Postes Canada, on n’est pas en mesure de distribuer notre journal comme d’habitude», confie de son côté le rédacteur en chef du Courrier de la Nouvelle-Écosse, Jean-Philippe Giroux.
L’édition de la semaine dernière est prête, mais attend chez l’imprimeur la reprise des services de poste. «Si d’ici jeudi la grève se poursuit, on va fort probablement mettre de côté le montage du journal papier du 29 novembre et mettre notre énergie dans des infolettres», complète-t-il.
Son équipe avait aussi travaillé sur une revue d’affaires, Avant garde, dont la première édition devait être distribuée ce mois-ci. Cela devra attendre.
«On va réévaluer au jour le jour et bien évidemment, nous n’avons pas d’alternative. C’est embêtant pour nos lecteurs, mais aussi du point de vue client, car nous allons perdre des revenus publicitaires si la situation perdure, reconnait le directeur du Courrier de la Nouvelle-Écosse, Nicolas Jean. On croise les doigts pour que la situation trouve une résolution dès que possible.»
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Pas d’arbitrage en vue?
Francis Drouin, député de la circonscription rurale de Glengarry–Prescott–Russell, en Ontario, se veut quant à lui confiant. Il croit que Postes Canada et le syndicat parviendront à une entente. «Je les encourage à retourner à la table.»
Il admet toutefois que «certains délais» pourraient se faire ressentir. «Mais quand une grève perdure, c’est là que les impacts sont beaucoup plus grands.»
«La plupart des gens ont fait la conversion en ligne pour recevoir leur courrier même si, je dois l’admettre, la connexion Internet peut être mauvaise ici», concède le député.
L’élu estime que le retour forcé au travail – comme cela a été le cas la semaine dernière dans les ports de Montréal et Vancouver après l’arbitrage du ministre fédéral du Travail, Steven MacKinnon – ne devrait pas être dans les cartons.
«Pour Postes Canada, l’enjeu est important, mais pas au point où est-ce que l’économie serait complètement en danger s’il y a quelques arrêts.»
D’après lui, l’autre différence entre les deux grèves repose sur le fait que l’arbitrage a été nécessaire pour les ports, car «on savait que les deux parties ne s’entendraient pas». Francis Drouin ne voit pas les mêmes signaux d’impasse dans le cas de ce conflit de travail.