Je me souviens des bricolages que l’on me faisait réaliser, enfant, à cette occasion.
Il y a eu cette cuillère en bois, artistiquement peinte à la main et sur laquelle l’institutrice avait planté trois clous, à placer dans la cuisine pour y suspendre mitaines de four et torchons.
Je me rappelle aussi cette boite à bijoux éminemment grotesque, faite de pinces à linge – je ne l’ai d’ailleurs jamais revue après l’avoir offerte.
Et il y a eu bien entendu des dizaines de poèmes, tous plus niaiseux les uns que les autres, louant l’infinie beauté et la patience angélique de ma génitrice.
Pendant ce temps, mon père écopait d’un porteclé en feutre multicolore pour sa voiture, d’un kit pour regarder un match de foot (composé d’une bière et d’un paquet de chips – l’institutrice cette année-là devait manquer de temps ou de compétences manuelles) et d’innombrables chansons mettant de l’avant son courage et sa force.
Au grand dam des suffragettes
Nous devons la fête des Mères à l’Américaine Anna Jarvis. Cette dernière, excédée de ne voir que des hommes mis à l’honneur lors des fêtes nationales, milita ardemment au début du 20e siècle pour l’instauration d’un jour férié officiel pour les femmes.
En 1914, le président Woodrow Wilson accéda à sa demande… au grand dam des suffragettes, qui virent d’un très mauvais œil cette réponse «sentimentale» à leurs combats politiques, sociaux et économiques bien réels.
Particulièrement en ces temps de crise, où les mères ont dû redoubler d’efforts et de débrouillardise pour jongler entre des enfants à la maison et un télétravail imposé pour les plus chanceuses, entre une perte d’emploi et un loyer qui explose pour les autres.
Une énième fête de la consommation
Rappelons que les femmes sont à la tête de 80 % des familles monoparentales et qu’elles occupent majoritairement des emplois précaires, à temps partiel et sous-valorisés. Ces emplois-là qui se concilient le moins avec une vie de famille. Ces emplois-là qui payent difficilement les factures.
Rappelons aussi que les femmes passent toujours près d’une heure et demie par jour de plus que les hommes à préparer les repas, faire le ménage ou s’occuper des enfants. Pas parce qu’elles aiment particulièrement ça ou que c’est dans leurs gènes – juste parce qu’on leur a appris à faire comme ça.
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Rappelons enfin que les femmes subissent depuis l’adolescence une pression sociale infernale, sommées d’enfanter, oui, mais ni trop tôt ni trop tard, et surtout en restant minces et sans se plaindre.
Car c’est le plus beau métier du monde, n’est-ce pas? Et que ça ne se fait pas de parler de son épisiotomie qui a mal tourné, de sa dépression postpartum ou de cette fois où l’on a juste voulu mettre des bouchons d’oreille pour ne plus entendre pleurer notre petit dernier.
Je n’oserai pas dire du mal de la fête des Mères. Les mères méritent tous les compliments, tous les éloges, toutes les offrandes.
Mais je me demande tout de même : a-t-on vraiment besoin d’une énième fête de la consommation, de celles qui détruisent la planète à coups de colis Amazon et se nourrissent de l’exploitation des plus pauvres à l’autre bout de la Terre?
Pour la petite histoire, Anna Jarvis elle-même, affligée par la récupération commerciale de la fête qu’elle avait créée, avoua peu avant sa mort qu’elle regrettait amèrement avoir lancé l’idée de la fête des Mères.
Julie Gillet est directrice du Regroupement féministe du Nouveau-Brunswick. Ses chroniques dans Francopresse reflètent son opinion personnelle et non celle de son employeur.